Ce tableau, j'en avais vu un semblable dans une galerie de la rue d'Antibes. J'ai reconnu tout de suite le sujet, le coup de patte, le grisé de la mer et du ciel, le blanc pur des bateaux, traités en figures géométriques : Un descendant de Nicolas de Staël ... Ce tableau était accroché n'importe comment, de guingois, au tronc d'un platane.
-" Je l'adore, me dit le brocanteur. Vous connaissez le peintre ?"
-"Non, je ne connais pas le peintre. Je ne l'ai jamais rencontré, mais je connais sa peinture. Je l'ai remarquée."
-" En galerie, ce tableau se vend quarante mille euros ..."
Je n'ai pas demandé combien il se vendait à la brocante : Je ne vois pas où je l'accrocherais dans mon appartement !
Je "badais", comme on dit chez moi. J'avais débouché, derrière la mairie de Cannes, sur un place oblongue qu'on appelle "les Allées". Elle est bordée de bistrots et de brasseries. En semaine, elle est occupée par les boulistes. Le samedi et le dimanche, c'est là que se tient la brocante, autour du kiosque à musique, (Sert-il encore parfois à jouer de la musique ?) ... On dirait un marché provençal, de ceux que chantait Gilbert Bécaud : Stands abrités sous des parasols ou des tentes, longues tables, badauds qui déambulent, brocanteurs qui boivent du café ou qui papotent en petits groupes. Vous vous arrêtez devant un éventaire ? - Un homme, ou une femme, quitte sa chaise et se détache du groupe pour venir vous faire le boniment.
Nous étions arrivés là par hasard, ayant poursuivi notre promenade au-delà de la Croisette. Il y avait de tout, ou à peu près de tout, dans cette brocante : Un véritable inventaire à la Jacques Prévert, mais beaucoup d'objets de qualité : Vases de cristal de chez Lalique ou de Baccarat, services de table en porcelaine de Limoges, bibelots et objets d'art, linge brodé, sacs de chez Vuitton ou de chez Prada, cannes à pommeau ou sans pommeau, vestes et manteaux de petit-gris ou de vison ... ( J'ai du mal à imaginer comment il se fait que les brocanteurs vendent autant de sacs ! ).
On vend aussi des encadrements, des cartes postales, des timbres poste ...
J'ai autant de mal à imaginer comment tous ces objets peuvent bien arriver là, quels qu'ils soient ! - Compte tenu de la qualité des objets, on peut penser qu'ils sont sortis de quelques demeures du haut des collines, ou de quelques villas du dix-neuvième siècle : Quel était le Milord qui avait offert à une Princesse ce sac à main ou cette parure ? Furent-ils utilisés ? - Et en quelles occasions ? Une vieille dame, très vieille, s'est elle séparée de ses souvenirs, pieusement gardés pendant de longues années ? - La vieille dame est-elle décédée et ce qui lui a appartenu est-il dispersé par ses héritiers ? - Ses héritiers, étaient-ils ses enfants, ses petits enfants, ou bien de purs étrangers ? - La vieille dame, l'ont-ils connue ? Ont-ils vendu tout en bloc, ou bien est-ce là le résultat d'une sélection dédaigneuse ? - Avec le produit de la vente, sont-ils allés acheter quelque meuble chez IKEA ? Un petit Monsieur a-t-il offert un Swarowsky à sa belle ... pour le prix d'une ménagère argentée ?
Cette nappe de dentelle, ces porcelaines fines, toutes ces coupes, ces flûtes de cristal, toute cette argenterie armoriée .... Était-ce pour toi, la jeune et belle alanguie à la robe de soie ? Était-ce pour toi, bel officier du tsar, galonné et décoré ? - Ces photographies passées, couleur sépia, ont-elles été prises le soir où vous avez gagné la chambre dans laquelle régnaient ces tapis et qu'illuminaient ces lampes précieuses ?
Qu'es-tu devenu, bel officier du tsar ? - Es-tu tombé dans les neiges du Caucase ? - As-tu joué ta vie à la roulette du casino ? - As-tu fini ta vie dans une villa, sur les pentes des collines ?
Un peu plus loin, mais juste à côté, l'espace est réservé aux peintres et aux marchands d'images ... Combien de temps mettront-ils, ces tableaux et ces lithographies, combien de temps mettront-ils pour passer des chevalets aux éventaires des brocanteurs ?
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