LA MARIE-JEANNE ( 4 )
( Récit d'après un document des Archives Nationales des Seychelles )
_ XVIII _
À cette heure, les enfants sortent de l'école... De Mont-Fleuri,
passant par le jardin botanique, les jeunes filles, jupes bleues et chemisiers
blancs ont cueilli des fleurs d'hibiscus ... Certaines en ont planté dans leur
chevelure ... Elles cheminent maintenant ... Elles monteront la côte du chemin
dit " La Misère ", passeront devant la boutique du boulanger ...
L'odeur du bon pain chaud ! ... Dans un parc, entouré de rochers, quatre ou
cinq tortues éléphantines dorment, le nez contre la roche ... De la musique
sort par la fenêtre d'une maison ... Romances ... À l'arrière d'un autobus, de
gros poissons d'argent sont accrochés par la queue... "Madame
Patton", le héron blanc, est perchée tout en haut d'un albizzia ... Elle
s'envolera pour aller quérir sa pitance, tout à l'heure, sur la place du marché
... En face, dans le lagon, des bateaux se faufilent entre l'île Sainte-Anne,
l'île Ronde, l'île Cachée, l'île Cerf et l'île Anonyme ... Des bateaux ... Et
... Au-delà du récif, la vague écume en se brisant sur une roche ... La vague,
la vague ... Regrets ? Pensées ? Désespoir ? ... Ou bien le délire déjà, sous
le soleil ardent ? Comment ne pas penser à ceux qui sont là-bas ? ... À ceux
qui sont dans l'angoisse ... À ceux qui cherchent ... À ceux qui désespèrent
... Car beaucoup désespèrent probablement ... Là-bas, les cloches sonnent ...
Sans aucun doute le prêtre dit l'Office ... Les gens prient ...
_ XIX_
La vie ne tient qu'à un fil. Le conteur sait beaucoup d'autres
histoires, beaucoup d'histoires. Chacune n'est qu'illustration de cet adage ...
Le hasard ... La malchance ... Un rien... Tout bascule au moment où l'on s'y
attendait le moins ... Au moment où les certitudes paraissaient les plus fermes
... À quoi tient le sort ? ...
Cette histoire, amis, vous montrera que nous ne sommes que peu
de choses en cette vie et qu'aucune certitude n'est jamais définitive ... Cette
histoire vous montrera que le malheur est souvent où on ne l'attend pas.
Écoutez- moi bien : Je vais vous surprendre encore ...
_ XX _
C'est un samedi ... C'est le trente et un janvier ... Le vent
d'ouest souffle, souffle avec violence ... Il pleut, comme il peut pleuvoir
sous l'équateur : Une pluie violente, serrée, continue... Dans une case de
bois, sur le mont Buxton, au-dessus de la ville, une femme âgée se meurt ...
C'est Edith Rose. Toute la famille est à son chevet ... Enfin ... Presque toute
la famille : Il manque la mère du gendre de la mourante : Elle n'a pas pu
quitter Praslin par le dernier bateau parce qu'elle était souffrante. Joachim
Servina se met en tête d'aller la chercher afin que toute la famille soit
réunie.
_ "Y a-t-il un bateau qui quitte Mahé pour Praslin" ?
_ "Va donc trouver un Capitaine qui accepte de prendre la
mer par un temps pareil ! »
Ce n'est pas qu'il y ait très loin, de Mahé jusqu'à Praslin ...
que l'on distingue très bien sur l'horizon, servant de fond à l'île Sainte-Anne
... Juste un peu plus d'une quinzaine de kilomètres ... Mais avec ce temps !
... On va jusque chez monsieur Corgat ... il vient de faire construire un
bateau à moteur ... Un beau bateau en bois de takamaka, un bateau de
trente-cinq pieds ... Un bon et solide bateau ... Prêt à prendre la mer. Son
propriétaire accepte de le prêter ... Mais qui en sera le Capitaine ?
_ Joachim ne perd pas de temps : Il court chez un armateur de sa
connaissance et le supplie de leur prêter les services de l'un de ses
capitaines ... Ce sera Louis Laurence qui viendra ... Un vieux loup de mer ...
À onze heures du matin, on s'embarque. Six personnes montent à bord : Monsieur
Corgat, son fils Selby, âgé de quinze ans, le Capitaine Louis Laurence, Antoine
Vidot, mécanicien, Joachim Servina et son cousin Auguste Lavigne. Le Capitaine
du port de Victoria, en bonne et due forme, accorde l'autorisation
d'appareillage ...
_ XIX_
La vie ne tient qu'à un fil. Le conteur sait beaucoup d'autres
histoires, beaucoup d'histoires. Chacune n'est qu'illustration de cet adage ...
Le hasard ... La malchance ... Un rien... Tout bascule au moment où l'on s'y
attendait le moins ... Au moment où les certitudes paraissaient les plus fermes
... À quoi tient le sort ? ...
Cette histoire, amis, vous montrera que nous ne sommes que peu
de choses en cette vie et qu'aucune certitude n'est jamais définitive ... Cette
histoire vous montrera que le malheur est souvent où on ne l'attend pas.
Écoutez- moi bien : Je vais vous surprendre encore ...
_ XX _
C'est un samedi ... C'est le trente et un janvier ... Le vent
d'ouest souffle, souffle avec violence ... Il pleut, comme il peut pleuvoir
sous l'équateur : Une pluie violente, serrée, continue... Dans une case de
bois, sur le mont Buxton, au-dessus de la ville, une femme âgée se meurt ...
C'est Edith Rose. Toute la famille est à son chevet ... Enfin ... Presque toute
la famille : Il manque la mère du gendre de la mourante : Elle n'a pas pu
quitter Praslin par le dernier bateau parce qu'elle était souffrante. Joachim
Servina se met en tête d'aller la chercher afin que toute la famille soit
réunie.
_ "Y a-t-il un bateau qui quitte Mahé pour Praslin" ?
_ "Va donc trouver un Capitaine qui accepte de prendre la
mer par un temps pareil ! »
Ce n'est pas qu'il y ait très loin, de Mahé jusqu'à Praslin ...
que l'on distingue très bien sur l'horizon, servant de fond à l'île Sainte-Anne
... Juste un peu plus d'une quinzaine de kilomètres ... Mais avec ce temps !
... On va jusque chez monsieur Corgat ... il vient de faire construire un
bateau à moteur ... Un beau bateau en bois de takamaka, un bateau de trente-cinq
pieds ... Un bon et solide bateau ... Prêt à prendre la mer. Son propriétaire
accepte de le prêter ... Mais qui en sera le Capitaine ?
_ Joachim ne perd pas de temps : Il court chez un armateur de sa
connaissance et le supplie de leur prêter les services de l'un de ses
capitaines ... Ce sera Louis Laurence qui viendra ... Un vieux loup de mer ...
À onze heures du matin, on s'embarque. Six personnes montent à bord : Monsieur
Corgat, son fils Selby, âgé de quinze ans, le Capitaine Louis Laurence, Antoine
Vidot, mécanicien, Joachim Servina et son cousin Auguste Lavigne. Le Capitaine
du port de Victoria, en bonne et due forme, accorde l'autorisation
d'appareillage ...
_ XXI _
Un bateau tout neuf, solide, beau et bien fait ... Un capitaine
aguerri, un mécanicien ... Le vent a beau souffler, la mer a beau être forte
... Où auriez-vous bien pu imaginer un danger, pour une traversée si courte et
si banale, en plein jour et en gouvernant à vue ? La vie ne tient qu'à un fil
... Le malheur est souvent à un autre endroit que celui où on l'attend ...
Le bateau prend la passe. Il longe l'île Sainte-Anne qui en
marque la sortie. La mer est dure, mais il y a ici de bons marins ... De quoi
aurait-on peur ?
_ XXII _
La panne ! ... La panne de moteur ! ... Crachotements, hoquets
... Une explosion ... Deux explosions ... Plus rien ... Rien qu'un petit nuage
de fumée bleue que le vent dissipe ... Pas de quoi s'affoler ... On en a vu
d'autres ...
Antoine se met au travail, démonte le carburateur ... Le gicleur
est bouché : Il suffit de souffler dedans un bon coup, puis de remettre tout à
sa place ... Le moteur repart, heureusement, on était tout de même assez loin
pour que le bateau ne soit pas drossé contre le récif... Pas de mal, même pas
de peur ! Pas de peur non plus lorsque la panne se renouvelle : Deux fois
encore ... Il ne faudrait pas que cela recommence pourtant : L'heure tourne ...
Avec une mer aussi dure, il faut toucher Praslin avant la nuit ...
_ XXIII _
Trois pannes de carburateur ... Et la nuit arrive ... La mer est
très dure ... On est presque arrivé, mais il faut encore doubler la Pointe
Chevallier pour aborder à Côte d'Or ... Y Arrivera-t-on cette nuit ? ... Rien à
faire pour y entrer : Les vents sont contraires et trop durs ... C'est à Baie-Sainte-Anne
que l'on entre ... Il est minuit.
Il est minuit ... Le bateau mouille à Baie-Sainte-Anne. On
l'amarre. Tout le monde est fourbu. On est accueillis chez Morley Green.
On n'ira pas plus loin ... Il faut se reposer jusqu'au matin.
Deux jeunes gens, néanmoins, partent à pied jusqu'à Côte d'Or ... C'est une
trotte !
_ XXIV _
Le lendemain matin ... Le lendemain matin ... Celle que l'on est
venue chercher refuse de partir : La mer est trop dangereuse ! ... Il était
bien utile de prendre tant de peine !
Il ne reste plus qu'à rembarquer pour regagner Mahé, ce que l'on
fait sans crainte malgré le vent qui continue à souffler avec rage. Quatre
personnes de plus montent sur le bateau : deux femmes, Ange Finesse et George
Arissol, Jules Lavigne, le frère d'Auguste, et un cuisinier du nom de Joël
Rondeau. Il est neuf heures lorsqu'on appareille ...
_ XXV _
Il est neuf heures lorsqu'on se prépare à l'appareillage ... Les
cloches sonnent ... _
" Et la messe ? ... C'est dimanche ... "
Bien peu de Seychellois manqueraient la messe du dimanche ...
C'est l'occasion où tout un peuple se retrouve dans ses églises. C'est le
moment de célébration de la fraternité, de remerciement pour les bienfaits du
soleil, pour les dons de la terre et de la mer, pour la mansuétude du ciel dont
les ouragans épargnent l'archipel ... La messe, c'est le moment de la communion
avec les siens : ceux du temps passé, dont les vies furent dures, ceux du
présent, dont la volonté et l'espoir font augurer d'un avenir meilleur sans
doute. La messe est dite en Français, « langue-mère », mais le prêtre, parfois,
prêche en langue Créole, véritable langue des îles. Les enfants sont venus en
marchant sur le sable de la plage, portant à la main leurs souliers vernis. Les
petites filles ont des robes mousseuses colorées, les petits garçons portent
pantalons, chemises à manches et noeuds papillons. Sous la nef ornée de bois
précieux les hommes se rangent d'un côté, les femmes de l'autre ...
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