mercredi 16 décembre 2015

LES CHEMINS DE COMPOSTELLE ...











LES CHEMINS DE

COMPOSTELLE







J’avais passé la nuit dans l’une des maisons d’un village abandonné, perché sur le haut de la colline. L’église était tout aussi abandonnée. C’était un peu triste et le paysage en Aragon est sévère, bien que superbe. À Jaca, où j’étais arrivé en passant par le col du Somport, j’avais rencontré au gîte une jeune Japonaise. Elle s’appelait Yoshimi : Charmante et primesautière. Nous avions poursuivi ensemble le chemin. Pour ne pas laisser abîmer son joli teint par le soleil, elle marchait en tenant, ouvert, un parapluie rose. L’une des baleines était cassée … Mais elle marchait bien. Le seul problème pour moi, c’est qu’elle ne parlait pas un mot de français, très peu d’anglais, vraiment très, très peu, et pas beaucoup plus d’espagnol.










Comme je n’entends pas le Japonais au-delà d’un mot : « sayonara », connu de tous, mais fort peu utilisable en la circonstance, la communication était restreinte. Yoshimi trottait devant moi. Je la perdais de vue à chaque virage de l’étroit sentier qui se tortillait à flanc de colline. Il m’arriva de faire une lourde chute en glissant sur les cailloux. Que pouvait-elle faire alors que je peinais à me relever, mon sac à dos pesant dix-sept kilos ? Elle tournait autour de moi en poussant de petits cris, toujours son parapluie rose à la main ! C’est alors que je ramassai ce fameux caillou rouge, rayé de blanc.



Il est là, tout près de moi, sur le haut de mon secrétaire, posé dans une coupelle de bois, entre un petit bouddha assis dans la position du lotus et une petite grenouille de bronze.

Le petit bouddha, je l’ai acheté en Thaïlande, à Aranyaprathet très exactement, le jour où s’ouvrit la frontière cambodgienne. La grenouille vient de moins loin … J’ai toujours aimé les grenouilles, allez donc savoir pourquoi !


Mais pendant que je parle de Yoshimi, que je rencontrai sur le chemin de Compostelle, il me vient un remords : Nous avons marché ensemble pendant une huitaine de jours, je crois, peut-être un peu plus, puis … Manquait elle d’entraînement? … En arrivant à Logrono, elle boitait bas, pieds couverts de douloureuses ampoules. Je voulus tenter de faire quelque chose pour elle, mais elle refusa d’ôter ses chaussures, de peur de ne pouvoir les remettre. Elle qui avait toujours marché devant moi, maintenant, claudiquait loin derrière. À Logrono, nous nous quittâmes. De cet abandon, je garde le remords un peu, mais c’est cela, le chemin : On se rencontre, on se rejoint, on se quitte … C’est la vie !









Du moins, en arrivant en Galice, après avoir dépassé Portomarin, à l’aide d’un petit caillou anonyme, j’écrivis sur une grande plaque d’ardoise dressée au bord du sentier un message d’encouragement pour Yoshimi … Est-elle allée jusque là et l’a-t-elle lu? Avouerai-je que je fus un peu soulagé de n’avoir plus à chercher les clefs d’une communication pratiquement impossible ?



Mais puisque je suis sur le chemin de Compostelle, il faut, pour ceux qui ne seraient pas avertis, que je dise les rencontres avec les cairns, dans les endroits les plus désolés et les plus arides. Un cairn, ce n’est rien d’autre qu’un tas de cailloux. C’est un repère, en principe. Il indique un croisement de sentiers, il signale un endroit dangereux, il marque un lieu particulièrement chargé de sens et de spiritualité. Vous l’avez aperçu de loin. C’est une petite pyramide. Rien qu’une petite pyramide de cailloux. Ajoutez-y le vôtre en passant. Posez le tout en haut, rien qu’un petit caillou, tout banal, sans forme particulière, sans couleur spéciale. Votre dépôt maintient la tradition et entretient le cairn. On appelle ces tas de pierres, aussi, des montjoies : Souvenez-vous du cri de guerre des Croisés du Moyen-Âge …



-« Montjoie Saint-Denis » !















          Après Astorga, ville romaine entourée par de hauts remparts, l’étape vous mène à Rabanal del camino, le chemin monte, monte. Vous passez à Foncebadon, village abandonné (La première fois que j’y passai, ce fut sous une tempête de neige), puis le chemin dévale et vous arrivez à la Croix-de-Fer. La croix est en fer, effectivement, mais elle est relativement petite, insignifiante presque, plantée en haut d’un mât de bois tordu. Au pied du mât, depuis bien des lustres, bien des siècles, tout pèlerin averti dépose un caillou qu’il a rapporté de son lieu d’origine. Ainsi, là, se trouvent des cailloux allemands, des cailloux français, d’autres brésiliens, japonais, italiens, australiens … Que sais-je encore ? Le montjoie est, ici, considérable, en épaisseur comme en hauteur. Vous devez l’escalader pour déposer le petit caillou qui vient de chez vous et que vous avez sorti de votre poche ou de votre sac.



Reprenez votre chemin, vous avez déposé là tout ce qui, dans votre conscience, faisait tache. Reprenez le chemin le cœur joyeux et l’âme claire et criez : « Ultreïa ! » : C’est le cri des pèlerins. Pousse-le, il t’engage à passer outre, plus outre, jusqu’à Santiago et au-delà !















Chemins de Navarre, grimpant les collines vers des bastides irréelles, parmi les torrents, les crocus et les violettes, chemins de la Rioja qui serpentent dans le thym et le romarin, parmi les vignes et les oliviers, chemins de la Castille, caillouteux, rouges, rectilignes dans un paysage plat de champs de blé sans horizon, chemins de Palencia et du Léon traversant des villages en ruines superbes et magnifiques dans leur délabrement, chemins ardus escaladant les monts du Cebreiro, chemins charmants de la Galice, bordés de genêts, de bruyères, de rhododendrons et de camélias ...













Bâtisses superbes aux façades ornées des mêmes blasons qui ornaient autrefois les poupes des vaisseaux sur les voies des Amériques, bâtisses aux murs d'adobe déliquescents à force de pluie et de vent, murs de moellons, tours, clochers habités de cigognes, ermitages, monastères anciens, fontaines, églises, cimetières, lieux déserts autrefois habités, ponts, chaussées, anciens gués, vaches, moutons et leurs bergers, chiens ... Ah ! La Sierra del Perdon dans le haut de laquelle tournent quarante éoliennes, élégants moulins d'acier qui froissent la soie du temps ! ... Ah! Le panorama que l'on découvre de là-haut sur le site de Pampelune, ville de Pompée, cathédrale où furent sacrés les Rois de Navarre, citadelle à la Vauban ! ... Ah! l'autre panorama, découvert dans une éclaircie, du haut du dernier rebord du plateau caillouteux, en venant de San Juan de Ortega : C'est toute la ville de Burgos qui se dévoile, grandiose cathédrale, sans doute la plus célèbre et la plus belle d'Espagne ! ... Ah! L'ouverture sur les monts, du haut du Cebreiro, à l'endroit où se découvrent la Galice, ses genêts et ses camélias ! Malgré les intempéries, découvertes splendides ... Et même les plateaux si monotones ... Mers de céréales traversées par des canaux et des tuyaux d'irrigation, mers propices à la méditation et au retour sur soi, mers infinies sur lesquelles pas un détail ne tranche à côté de l'autre ... Ah! Le long chemin entre Sahagun et Mansilla de las Mulas! Chapelet, pèlerinage, vénération des reliques, stigmates, suaire, adoration du corps du Christ, autant de pratiques nées ... au Moyen Age ! À l'époque des grandes pestes, des guerres, de la peur. Au moment où allait surgir un monde nouveau. Un peu comme aujourd'hui, n'est-ce pas? "



                           Cathédrale de compostelle

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