LES CHEMINS DE
COMPOSTELLE (SUITE )
_"Alors, Nathanaël, ringard, le
pèlerinage à Compostelle, sans valeur ?"
_" Tu as rencontré des pèlerins
qui marchaient en égrenant leur chapelet - Peu nombreux, il est vrai, mais il y
en avait au moins un, qui marchait très fort d'ailleurs. Il ne faudrait
pourtant pas te croire autorisé à tout mélanger et à tout ranger dans la
catégorie des superstitions
- D'abord, si la comparaison des
époques semble judicieuse, il peut paraître hasardeux de se gausser de
certaines pratiques sous prétexte qu'elles remonteraient au Moyen Age !
_ Nombre d'autres choses, dans notre
bagage culturel, remontent au Moyen Âge sans être pour cela disqualifiées. Le
Modernisme est chose étrange, quand il se voudrait surgi du néant, faisant
table rase de tout ce qui l'a précédé. C'est bien là l'une des causes
essentielles de cette perte de repères dont nous parlions. On ajoutera, et
c'est l'essentiel en la matière, qu'il est fort douteux que beaucoup de
pèlerins de cette fin de siècle attendent quelque miracle au cours de leur
démarche : La poule rôtie puis ressuscitée, le pendu dépendu, tels qu'on les
commémore à Santo Domingo de la Calzada, on en sait l'histoire, qui demeure et
mérite de demeurer en tant que témoignage ... Il est peu probable que le
pèlerinage, de nos jours, ait exactement la même signification qu'aux temps
anciens.
Certains en font une prière. J'ai
bien connu quelqu'un qui marchait pour demander à Dieu le retour à la santé
d'un petit enfant myopathe ... Personnellement, je ne suis pas très sûr que
Dieu ait besoin que l'on marche sur les chemins de Compostelle pour
s'intéresser à un petit enfant myopathe ... Mais qui reprochera à un grand-père
d'essayer d'entrer ainsi en communion avec Dieu alors qu'il n'a rien obtenu de
la médecine ? D'autant, que, et c'est là parole que j'admire, ce grand-père,
Allemand du Nord, ajoutait :
_" De toute façon, et avant
tout, je marche vers Compostelle parce que j'ai soixante sept ans. J'entre donc
dans la dernière période de mon existence. Je veux remercier Dieu de tout ce
qu'il m'a offert pendant ma vie. "
_ "Ringard, Nathanaël ?...
Ringard ?
... Réponses d'un autre temps à des
problèmes existentiels actuels ?
_ "Nous avons actuellement
d'autres moyens. Il faut se baser sur la raison, là où le pèlerin cherche à
toucher par l'émotion."
_ "La Raison ... Vraiment ... La
Raison ? Ne soyons pas cruels !"
Le pèlerin ne réclame pas le retour
au passé. Il ne cherche pas, ce serait puéril, vain et inefficace, à
ressusciter les repères perdus de son enfance ... Il demande des repères
nouveaux, mais il demande des repères, là où le siècle ne lui en propose plus.
Il demande qu'on lui indique une voie clairement balisée et qui conduise à un
objectif clairement défini, cohérent ... Ce que sa marche exprime, c'est son
besoin de clarté et de solidité, là où on ne lui montre plus que des
incertitudes. Dans un monde de mieux en mieux connu, mais de plus en plus
incohérent, disloqué, l'homme a besoin de savoir ce qu'il est, d'où il vient,
où il va ... L'interrogation existe depuis toujours ... Les réponses semblent
de plus en plus improbables ou formulées de telle façon qu'on ne s'y reconnaît
plus.
Jan est Hollandais, (il y a beaucoup
de Hollandais sur le Chemin ....) Il est apparu à la porte du refuge de
Portomarin, je crois ... Il n'allait pas à Compostelle ... Pas cette fois-ci du
moins, car il y était allé déjà trois fois. C'est un grand gaillard d'une
soixantaine d'années, solide, habillé comme un chasseur. Il nous rejoint après
avoir suivi la "Via de la Plata", partant de Séville ... " Dure,
dure route, aux très longues étapes, disait-il, sur un chemin désespérément
rectiligne et désert :
_ " Sur sept cents kilomètres,
je n'ai rencontré que trois pèlerins ... "
Il nous a quittés à la Croix-de-Fer,
au point le plus élevé du parcours. Nous y étions arrivés sous la pluie, partis
de Rabanal del Camino. Nous étions las : Aucun panorama. Nous avions traversé
Foncebadon, village vide. Où était la Croix-de-Fer ? Elle nous est apparue
telle que nous l'attendions : Une longue perche de bois toute tordue surmontée
d'une croix de Fer tout aussi tordue ... Dérisoire ? - Emblématique ... Tout un
symbole ! La Croix-de-Fer surmonte un énorme tas de cailloux, gros et petits
... Au cours des âges, nous l’avons déjà dit, chacun de ces cailloux a été
déposé par un pèlerin qui l'avait apporté de chez lui. Jan, le Hollandais a été
chargé par un groupe d'amis de déposer là trente-deux petites coquilles, autant
qu'il y a de personnes dans le groupe d'amis... Le questionner pour en savoir
plus sur les motivations profondes des uns et des autres aurait été indiscret
sans doute ... Mais il faut se souvenir que ce que le pèlerin dépose là,
l'ayant apporté de chez lui, c'est le lot de ses soucis, de ses problèmes, des
difficultés qu'il a connues... Tout ce qu'il était avant d'arriver jusque-là !
... À la Croix-de-Fer, le pèlerin fait peau neuve, se défait de son passé et
repart vers un autre avenir, riche de ce que le Chemin lui a apporté. Cela vaut
bien la consultation d’un « psy », non ?
C'est donc une démarche qui s'oriente
vers l'avenir et non pas vers le passé. Le pèlerinage, ce n'est pas la visite à
la cathédrale de Santiago, c'est le Chemin lui-même ... Et le Chemin ne
s'arrête pas à Santiago, il n'a pas de fin ... C'est un personnage neuf qui
suivra l'étoile et cette étoile l'accompagnera durant toute sa vie nouvelle ...
Où est la "ringardise" ? - Il n'est peut-être pas innocent de constater,
je l'ai déjà dit, que ces pèlerins, rencontrés au mois d'avril, étaient pour la
plupart des ingénieurs, des médecins, des cadres ... Il y a là une démarche
avertie ... On est loin d'un pèlerinage de gueux !
J'ai rencontré des Français en grand
nombre, des Anglais, des Hollandais, des Allemands, un Norvégien, un Suédois,
et j'ai pensé que c'était l'Union de l'Europe qui réussissait, d'autant que les
deux derniers étaient de hauts fonctionnaires au Conseil de Bruxelles ... Mais
aussi une Japonaise, des Brésiliens, des Argentins...
Tu as déposé ton caillou blanc,
"Nathanaël" ...Va droit devant ! Tout le reste est anecdote. Mais
peut-on taire l'anecdote ? Nous avons vu des "pèlerins charters",
débarquant des autobus et des avions ... Comment ne pas évoquer les
"pèlerins boys scouts" ?
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