vendredi 29 novembre 2019

PRIÈRE





PRIÈRE









































Adieu compagnons
Vous qui gisez là
Et retournez à la poussière
Adieu tabellions, souverains, rémouleurs
Hautes Dames et crémières
Tonneliers
Gueuses et tripières
Charpentiers
Dentellières et bourgeoises
Brassiers
Soldats ou capitaines
Tailleurs de pierres
Truands tire-laine
Compagnons adieu


Par le vautour sur son orbite
Par la brebis à tête noire
Par le berger à la patte des trois chemins
Par le bœuf blond dans la vallée
Et la palombe effarouchée


Par la cicatrice au droit de la colline
La claire fumée d’un écobuage saisonnier
Par la rocaille
La pierraille
Par la truite du torrent
La violette et le genêt
Par les traces des pas sur les dalles de schiste
Et par les ombres sur le mur au couchant






Vignes noires griffues
Vieux sorciers de l’olivier
Flèches, clochers
Façades ornées de blasons depuis longtemps engloutis
Campagnes vides


Depuis plus de mille ans
Voici l’étranger passant
Arborant ses coquilles
Le chercheur de lumière
Le porteur de désir


Soyez-lui favorables, compagnons
Il n’a d’autre chanson
Que celle même
Que vous chantiez autrefois

jeudi 28 novembre 2019

CHANSON POUR LES NOYÉS DE SEPTEMBRE ....




CHANSON POUR LES NOYÉS DE 


                   SEPTEMBRE







Chant 1


Fou
Fou le cheval noir
Battant l’air des deux pieds
Fou le cheval noir

Fou le cheval noir
Les naseaux ensanglantés
Ses yeux sont verts
Du vert des feux-follets
           










L’océan est noir
Écume noire aux grèves d’ardoise dure
Le cheval court sur le sable noir
Et le vent s’est étouffé

Qu’attends-tu
Qu’attends-tu
Le cheval court vers le village
Qu’attends-tu dans la nuit noire

C’est le cheval du malheur
Qu’attends-tu dans la nuit noire
L’entends-tu
L’entends-tu

                               



Chant 2


Treize sont partis
Compagnons
Treize qui chantaient
Le huit septembre dans le soir tombé

La marée reflue
Le huit septembre dans le soir
Notre Dame de la Nativité
Et le vent qui chantait

Huit septembre à minuit
La marée remonte
Qu’attends-tu sous la lampe
Dans ce silence de malheur

Qu’attends-tu sous la lampe
Qu’attends-tu
Treize sont partis
Douze à minuit entreront dans la nuit

Cloche du clocher
Combien de coups faudra-t-il sonner
Saint Michel lavera sa chemise
Avec du bleu de lessive


Chant 3


Quand l’océan se retire
Sans à-coups et sans bruit
Quand le vent se tait
Et quand la mer est lisse
La mer ne laisse sur le sable
Que des torrents infimes
Branchus comme des arbres
Sans effort l’eau retourne à la mer
Quand l’océan se retire
Sans aucun bruit
Nuit sans lune
Belle nuit
Nuit tiède
Nuit pleine
Caresse
Et l’envie d’un baiser


Chant 4

O mon amour !
Mon amour, mon amour
Amour de mes yeux
Amour de mes papilles
De mes mains
Amour de mes oreilles
Amour de ma peau
Amour de mes cuisses
Amour de mon ventre
Amour
Amour
Amour de mes instants
Que rythment l’horloge
Les battements de mon cœur
Tic tac
Tic tac
Tic tac
Les mouvements de la mer
Et que faire maintenant
Que faire de mes yeux
Que faire de mes papilles
Que faire de mes mains
De mes oreilles
Que faire de ma peau
De mes cuisses
Que faire de mon ventre
Que faire de l’horloge
Des battements de mon cœur
Des mouvements de la mer
Que faire de la houle
Des marées
Hautes
basses
hautes et puis basses
Que faire du sable
Que faire de l’eau salée
Que faire du souvenir
Souvenir mouillé
Inerte
froid
O mon amour
Mon amour
Mon amour
Que faire de la vie


Chant 5


Huit septembre à minuit
La marée remonte 
Qu’attends-tu sous la lampe
Dans ce silence de malheur

Qu’attends-tu sous la lampe
Qu’attends-tu
Treize sont partis
Douze à minuit
Entreront dans la nuit

Fou
Fou le cheval noir
Battant l’air des deux pieds
Fou le cheval noir

L’océan est aveugle et sourd

Fou le cheval noir
Les naseaux ensanglantés
Ses yeux sont verts
Du vert des feux-follets
Treize sont partis
Compagnons
Treize qui chantaient
le huit septembre dans le soir tombé

                               



Chant 6


Douceur
O douceur
Tiédeur
Tiédeur des chairs humides
Pas même un frisson
Les feux qui s’éteignent
Étoiles phares lanternes et falots
Rouges verts ou blancs
Fixes ou mouvants
Clignotants
Scintillants
Lénifiante douceur de la mer en gésine
L’air qui s’endort
Cœur qui bat
Cœur
Cœur
Cœur
Le cœur d’un bateau tout près
Ou bien très loin
Tacata tacata tacata
Continu
Régulier
Tacata tacata tacata
Cœur cœur cœur désorienté
Cœur
Tac tac tacata tac
Tac
Mon cœur affolé
Soudain dans le brouillard épais
Mon cœur
Mon corps
Mes yeux
Et mon âme qui ne sait où aller

Huit septembre à minuit marée montante
Treize sont partis
Un seul reviendra


Chant 7


Fou le cheval
Les naseaux ensanglantés
Ses yeux sont verts
Du vert des feux-follets


Entends-tu
Entends-tu
Crissant sur le pavé
Les roues cerclées d’acier


Cloche du clocher
Combien de coups faut-il sonner
Saint Michel lavera sa chemise
Avec du bleu de lessive

lundi 25 novembre 2019

GARDER LA LAMPE ALLUMÉE





GARDER LA LAMPE ALLUMÉE











Chant 1


Il y a des bouées rouges
Blanches et vertes
Il y a des mouettes
L’eau est calme dans le port
Les pavillons s’agitent
Les mâtures doucement
Se balancent
Les façades sont blanches
Les volets sont verts
Il y a un pin
Presque noir
Odeurs de varech
mais aussi de pralines
Il y a des marchands
De chapeaux
De lunettes
De maillots
Des marchands de barbe-à-papa
De beignets

Au carénage un chalutier
Comme un gros sabot
Incongru sur son ber






Chant 2




Les grosses vagues éclatent
Au musoir obstiné
L’une après l’autre
En gerbes de lumière

Embrassons-nous mon amie
Nous irons lancer
A l’océan
Une couronne
Pour les péris en mer






Chant 3





C’est le quinze août
Noces du soleil et de la mer
Fanfares
Glaces en cornets
Le surplis du Curé
La cravate de Monsieur le Maire
Il y a des filets sur le quai
Allongés
Il y a un cerf-volant
Qui monte et qui descend
Un carrousel
De chevaux de bois
Qui tourne lentement
Au son 
De l’accordéon





Chant 4




Il y a cinq ans
Peut-être
Peut-être six
Ou bien dix ans déjà
Peut-être plus






C’était le quinze août
Les fêtes de la mer
C’était hier assurément
Assurément c’est toujours aujourd’hui





Chant 5






Il y a un phare
A tête rouge
Deux pêcheurs à la ligne
Des coques d’acier
Des coques de bois
Dodelinant

Embrassons-nous mon amie
Nous irons lancer à l’océan
Une couronne
pour les péris en mer






Chant 6





Chapelle des marins
Croix de bois
Croix
Croix
Combien étions-nous
Sur le pont
Quand le bateau chavira ?
Croix
Croix
Croix de bois






Chant 7




Entendez-vous
Entendez l’accordéon
Entendez-vous pleurer
Entendez pleurer l’accordéon





Chant 8



                                   



Un goéland
Lentement
Sur un cercle
Toujours le même
Les ailes immobiles


Une âme ...
Toi l’oiseau ?

L’éternité

La vie est un désir
Quand le désir n’est plus
La vie s’en va ...

dimanche 24 novembre 2019

CHANSON POUR PIERRE




CHANSON POUR PIERRE

















Chant 1


Car vois-tu, mère
C’est mon fils que voici
Tu vois
Quand la mer se retire
Et remonte
A nouveau se retire
Sur le sable
Quand le flot se retire
C’est mon fils
Qui court à la laisse
Quand l’océan
Vient bêcher les œillets
Chardons
Chardons et tamarins
C’est mon fils
C’est mon fils que voici
Dans la vague
La vague douce douce
Qui déferle
Déferle et murmure




Chant 2


Le vieux pin n’est plus
Que père planta
O Mère !
Le vieux pin tordu
Étêté
Et ni le grand cyprès
Au tronc creux
Si moussu si penché
Vents orages
Le temps les a tous pris
L’oiseau a fui
La palombe est partie
O Mère !
Le puits même est tari
Asséché
Le cyprès est coupé
Le vieux pin
On a coupé le pin
Et la ronce
La ronce a tout caché ...





Chant 3




Roches roulées
De la jetée brisée
Rompue
O Mère te souviens-tu ?
Ce bateau
Dont les os blanchissaient
Enfoncés
Le port tout ensablé
Immobile
Le canal engorgé
Poisson crevé
Les grands bras du carrelet
Cassés
L’air vibrait sur le mur
De croches
Et de quadruples croches
Silencieuses
La musique de l’été
Au soleil
Et l’odeur de marée ...




Chant 4



Goémons goélands
Le craquement d’un cône
Paillettes au soleil
L’air immobile et chaud
La mer vivante encore
Mais la mer assoupie
Qui se rassemble et prie ...



Chant 5



Sur le rocher
Près duquel nos filets
Dormaient
Sur le rocher aux huîtres
Aux patelles
Aux congres et aux crabes
Le rocher
Au cormoran tout noir
Cou tendu
Ailes demi offertes
Au plein soleil
La balise a rouillé
Penchée
Sa tête en triangle est tombée
Le cormoran parti
Parti dans mon passé
Immobile
Immobile et muet ...




Chant 6



Écarquillés
Les cônes sont tombés
À terre
Du sommet des grands pins
D’autres pins
Qui sont pourtant les mêmes
Ont poussé
Les voici aussi grands
Qu’autrefois
Nous ne trouverons plus
Le mousseron
Aux bords des marais
Salés
D’autre ont bouleversé
Piétiné
D’autres ont acheté
Ont vendu
Ou bien tout ensemencé ...



Chant 7


Si vois-tu Mère
La dune s’est écroulée
Gommée
Si la mer a monté
Descendu
Les arbres ont basculé
Emportés
Si la maison d’été
La maison
Près de l’eau et des bois
N’est plus la nôtre
Si j’ai mis mes filets
Pliés
Tout en haut du grenier
C’est qu’ici
Le temps a tout changé
Coquilles vides
Où furent coquillages ...

Les terriers sont bouchés
Les coquilles vidées
Le laurier a brûlé
Et la mûre a séché
La charrette est cassée
Pourtant près du fossé
La trémière est éclose ...




Chant 8



Me voici Mère
Quand roulent la houle
Lourde
La vigne et la vague
Et voilà
Les enfants de juillet
Par volées
Dans les bois et dans les près
Dans les vignes
Et aussi dans les blés
Tant de voiliers
Tant de voiliers partis
Partis
Ne reviendront jamais
En septembre
Passeront les courlis
Les courlis
Passeront-ils encore ?
Me voici devant toi
Me voici ton enfant
Tant d’amis sont partis
Sur tant de blancs voiliers
Me voici ton enfant
Et voici mon enfant
Le raisin gonflera
Moi je n’ai rien compris ...

jeudi 21 novembre 2019

CHANSON POUR CEUX DU CRISTINA RUEDA ....



CHANSON POUR CEUX DU CRISTINA RUEDA













Chant 1




Quand fleurit le chrysanthème de la mer
Violet sur gris et vert
Quand fleurit le chrysanthème de la mer
Le vent souffle tant
Tant écume la vague courant courant
Le vent hurle tant
Un soir de février s’ouvrit le chrysanthème
Carême prenant
Le chrysanthème de la mer
Fleur de mort
Le vent souffle tant
Écume la vague courant courant
Corolle effeuillée par le vent
Entends le vent le vent le vent
Entends le vent carême prenant
Long beuglement porteur de misère
Le vent hurle tant
Fanée la fleur du chrysanthème
Nuages lourds courant dans le ciel noir
Courant vers le couchant
Ô courant !








Fanée sur la mer la fleur du chrysanthème
Longues lames déferlant
Coups sourds sur les sables
Le vent le vent le vent au goût du sel
Long beuglement annonceur de misère
D’où venu ?
Beugle dans le vent taureau blessé à mort
Hurlement du vent
D’où venu ? 
Dans la nuit des chrysanthèmes
Longs beuglements annonceurs de misère
O le vent !






Chant 2




La mort n’est rien vois-tu
Entends-tu bien le vent ?
O le cri de la sirène !
Au jour du grand mauvais temps


S’en va passer le goéland
Tout blanc
Indifférent


Aux allées du cimetière
S’en vient marcher le goéland
D’où venu 
Sur l’aile du vent ?




Chant 3






Dans le mauvais temps le navire
Haletant frémissant
Navire livré au vent tout vivant
O dans la nuit les déferlantes !
La roue de barre ne gouverne plus
Sous les pinceaux des phares naissent des fleurs
S’éteignent et se rallument
Chrysanthèmes violets ou blancs
Fleurs de la mer fleurs de la mort
Et ces longs beuglements qu’on entend
Du taureau qui va mourir et qui le sait
O le vent le vent le vent !
Le vent pousse à la côte inexorablement
Le navire halète et frémit
Livré vivant au vent au courant
José-Maria Marcelino Léandro Remigio
Bénito José José
Alvaro Grégorio Perfecto
Claudio Antonio Eugénio
Matias le mousse qui n’a que dix sept ans
D’autres encore dont rien n’a recueilli les noms
Dix neuf hommes
De San Sébastian en Corogne
Fleurs de la mer fleurs de la mort
O ce long beuglement du taureau blessé
Qui va mourir et qui le sait !




Chant 4




Ô le cri de la sirène !
Au jour du grand mauvais temps
S’en va passer le goéland
Tout blanc


La mort n’est rien vois-tu
Qu’un grand poisson froid
En cotte d’argent


Il glisse invisible
Indifférent
Infiniment




Le vent le vent le vent dans les volets
Entends sur le toit claquer les tuiles
Entends craquer les arbres dans les bois
Entends sonner la vague
Entends fouetter la pluie
Le Malin frappe chez nous
Celui qui fait les malheureux




Chant 5




Sainte Marie mère des marins
Nous te prions par Saint Jacques
Notre patron
Qu’une barque porta jusqu’à Iria Flavia
En Galice près de Padron
La première baleinière 
Emportée par le vent
Dans la seconde nous grimpâmes deux
Que la vague arracha et jeta dans les flots
Sang du Christ !
Comment garder son souffle entre les gorgées d’eau ?
Arracher les bottes et les habits
Nager nager
Roulé tout nu sur le sable
J’ai couru dans la dune
J’ai couru dans les champs
J’ai couru dans les vignes
Sainte Marie mère des marins
L’aurore ne fleurissait pas encore






La mort n’est rien
Qu’un grand poisson froid
En cotte d’argent
Invisible il glisse
Infiniment
Indifférent




Au jour du grand mauvais temps
Entends-tu bien le vent ?
S’en va passer le goéland
Tout blanc




Chant 6




Sainte Marie mère des marins
Nous te prions
Par Saint jacques notre patron
J’ai couru dans les vignes
J’ai couru dans les champs
Jusqu’à cette lumière là devant


Arrivé devant la porte
Nu et les pieds sanglants
Sang du Christ ! Une femme m’ouvre
Sainte Marie mère des marins
Par Saint Jacques notre patron
Qu’une barque porta jusqu’à Iria Flavia
En Galice près de Padron
Veille sur mes dix sept compagnons
Assiste mes amis sur le bateau
Dans le vent et dans les flots


Le chrysanthème refleurit sur la mer
Au jour levé
De la dune on voit l’épave penchée
L’océan gronde et le vent souffle
Ah ! Le vent souffle !
Les embruns et la pluie !
Les nuages courent !
Les marins dans les haubans
Hissent un lamentable pavillon




Chant 7




Premier canot
Safran brisé
Second canot
Pas assez d’eau
Le troisième
On le traîne sur un chariot
Pour le quatrième
Trop de vent beaucoup trop
Fracas de l’océan
Ô le cri des marins là-bas !


Au jour du grand mauvais temps
Entends-tu bien le vent ?
S’en va passer le goéland
Tout blanc
Aux pertuis il accompagne
Un grand poisson d’argent


Ô le cri de la sirène !
La mort n’est rien vois-tu
Qu’un grand poisson froid
En cotte d’argent
Il glisse invisible
Infiniment






Au jour du grand mauvais temps
Entends-tu bien le vent ?
Aux allées du cimetière
S’en vient marcher le goéland
D’où venu
Sur l’aile du vent ?