jeudi 28 février 2019

LE RENIEMENT HISTORIQUE ....








LE RENIEMENT HISTORIQUE.















Au livre des ans ... Au livre des siècles ... Ce sont les mêmes questions,

toujours, que répète chaque page :

_ Qui sommes-nous ?

_ D'où venons-nous ?

_ Où allons-nous ? 











Gauguin y exerça ses couleurs et y prêta des visages. Il ne paraît pas que la

 réponse ait été trouvée. Pour chacun, le présent ne peut se justifier que par

 l'avenir ou par le passé. Ou bien il faudrait penser, comme certains, que le

 présent se résout tout entier dans la sensation : La dignité humaine n'y

 trouverait guère son lot. 




La science prétendait naguère à l'avenir ... Elle ne nous laisse que peu

 d'espoirs ... En ce qui concerne le passé, elle ne nous propose plus que le

 "Big-Bang" : C'est ne rien expliquer du tout _ Ni la raison, ni la passion n'y

 trouvent leur part. 




Ne rêvant plus au futur, il nous reste à gérer la continuité, travail de

comptable, nécessaire ... 







Quant au passé : Chacune des pierres soulevées en Mésopotamie nous

dévoile de nouveaux millénaires, et plus dignes, plus brillants qu'on ne le

croyait : L'homme a toujours imprimé sa pensée sur les stèles qu'il dresse. 




 



C'est pourquoi il y a attentat, aux profanations des cimetières ... Attentat

contre l'esprit.


Mais que dire des pierres oubliées, que le temps effrite et couche ? 



 




Très loin là-bas, dans mon village, à l'emplacement de l'ancien cimetière,

 on a créé un jardin ... 

Pas même un marbre pour conserver la mémoire de nos pères ... Du moins,

 des arbres poussent. On peut les songer éternels ... Sous leurs feuilles, en

automne, nul ne soupçonne la cendre du temps. 




 



Hier, j'étais à La Digue. Un bateau laissa son nom à cette île, au temps des

 découvreurs ... Et c'était il y a si peu de temps ! ... La rêverie dans les

cimetières ne marque pas une mode nouvelle ... On peut se demander

même, si elle est de mise encore. 





Des évènements récents, et qui ont fait la chronique hexagonale montrent

pourtant que là réside encore le symbole ... 

A La Digue, j'ai donc erré dans le cimetière abandonné. 



_ " Le nouveau est beaucoup plus loin, vers le port ..." 

_ "L'ancien ? _ O ! _ Il y a bien cent ans qu'il est délaissé !

" Cent ans ... C'est si proche : En mille neuf cent quatre naissait mon père ... 




Personne ne vient plus là. Huit stèles ... Peut-être neuf seulement, sont

 encore debout. La pierre est dure à La Digue : Le granit rose est trop dur

pour le ciseau : Les tombes sont faites de moëllons liés à la chaux de corail

 mal brûlé. 




 






Et puis le temps ... Et puis le vent ... Et la pluie ... Et les embruns ! On lit

 encore quelques noms, très rares ... Mais, ici rassemblée, c'est toute l'

 histoire des archipels ... Des noms qui vivent encore, qui ont fonctions, et

qui figurent dans l'annuaire du téléphone. 






_" Antoine Payet, né à l'île Bourbon, le ... Mort à La Digue le ... 1889." 

_ On prononce " Payette", comme on dit "canote" pour canot, dans le Sud-

Ouest de la France... 



_ Didasse, né le ... Mort le ... 

_ Houareau ... De nos jours, ce dernier nom s'est quelque peu modifié,

sous plusieurs formes, dont la plus fréquente est : Hoareau ... Mais il est

 toujours en usage : Les noms sont vivants et se perpétuent par-delà les

morts. Mais, Dieu ! La mémoire de ceux-là qui furent les premiers se meurt

 quant la chaux s'effrite et quand s'éboulent les pierres

... D' où vient qu'il reste si peu de noms sur les stèles ? _ Que sont

 devenues toutes ces plaques disparues ? Pierres taillées en croix, creusées

 de niches pour y placer chandelle, obole ou fleurs ... 




_ "Underwood, Père et Fils" ... Et ceux-là, d'où venaient-ils ? 

Je ne connais rien de plus triste que ces pierres disloquées, dispersées :

 Scandale contre la mémoire, scandale contre l'esprit, au long des allées

envahies par les herbes sauvages ... Sacrilège d'oubli. 


 



Ah ! Que, par décence, on rase les tombes et que l'on pose ici une plaque,

une seule : 



_" Ici reposent des Femmes et des Hommes. Venus de France, de Bourbon,

 de Zanzibar, d'Irlande ou bien d'ailleurs ... Ils furent les premiers ... Leurs

descendants sont toujours là. "


 

Peu de choses : Pourrait-on espérer que la tradition dépose quelques fleurs

 chaque année ? _ Un peuple qui perd la mémoire n'est pas loin de se

perdre. Nos anciens n'étaient pas si sots, qui veillaient la lampe. 















mercredi 27 février 2019

PÉLERINAGE AUX TROIS FRÈRES






UN PÉLERINAGE ...







 








Il y a occasion de s'enrichir beaucoup, là où s'assemblent les hommes, et il

 y a beaucoup à penser aux actes de foi. C'est pourquoi je conterai cette

histoire ... 



 



Elle débute au moment où se lève Jeanne d'Arc, ( oui, ici, c'est un prénom

 fréquent ...) Jeanne d' Arc va sur ses soixante douze ans ... On ne saurait

 parler de printemps sous ces latitudes ... Sa jambe est bonne, encore

qu'elle grippe un peu. Et qu'importe si l'échine n'est plus tout à fait droite

 ... 


Elle passe sa robe à mille fleurs. Ce n'est pas la plus belle, mais elle est

 légère, et puis, le col blanc, bien repassé et amidonné a de l'allure encore.

 Après avoir bu une tasse de thé, grignoté un biscuit, Jeanne d' Arc se coiffe

 d'un chapeau blanc à larges bords : Celui du dimanche. Elle saisit son

bâton : Un bambou sec et noueux, prend dans l'autre main son réticule et

 son missel. La voila partie chez Jean-Baptista, ( Mais oui ! ). 



 




C'est là, juste à deux pas ... Jean- Baptista achève de chausser ses souliers

 plats. Elle doit avoir à peu près le même âge que son amie. Son visage est

d'un brun sombre, creusé des longs sillons que tracent au long de toute

 une vie les labeurs et les peines. Elle ajuste ses lunettes, met , elle-aussi,

 son chapeau blanc. Le rendez-vous est à huit heures, en haut du col de

"Sans-Soucis". 

 


Il y a déja là toute une suite de voitures, rangées à la vaille-que-vaille, au

bord de la route étroite. Jeanne d'Arc et Jean-Baptista sont arrivées, elles,

en autobus. Au moment où elles mettaient pied à terre, un camion rouge

déchargeait une pleine benne de jeunes-gens rieurs. 



 




Il fait chaud déja : Les lunettes sont essuyées au revers de la robe. On

s'engage sur le raidillon. Il est embroussaillé, étroit, et râpeux : Un vrai

 sentier de chèvres ! Les enfants y courent, les jeunes-gens le gravissent

 d'un pas déhanché, avec la démarche balancée que donne l'habitude des

 pentes raides. Certains transportent des postes de radio, portés à pleins

 bras. C'est par bouffées, au détour du chemin, que parviennent des bribes

de chansons françaises. 


 



Les vieux sont plus lents, bien sûr, mais le bâton trouve son appui, le pied

trouve son assise. Il y a toujours une main secourable qui se tend aux

dénivellations les plus ardues. Jeanne d'Arc et Jean-Baptista, je crois bien,

 chantent un cantique. A-t-on grimpé pendant une heure, un peu moins ?

Les canneliers embaument. De ci- de là, un agave s'accroche au rocher,

acéré. Quelques fleurs mauves font taches sur le granit gris. Un, deux blocs

 énormes, plissés, tels des éléphants couchés. Il faut les contourner. Le

granit s'est figé là il y a des millions d'années. La fausse-vanille l'enserre

du réseau de ses lianes sans feuilles. 




Depuis longtemps déja on a dépassé les grands albizias. On émerge tout à

 coup, ébloui : La mer envahit l'espace, montant à la verticale, jusqu'à

 Praslin, jusqu'à La Digue, et Cousine, et l'île Aride. Il n'existe nulle part un

 tel retable, nul vitrail n'offre de semblables couleurs. Les glacis tombent à

 pic, lisses comme sucre coulé, scintillants de micas et de cristaux. Des

arbres nains se cramponnent, pareils à ceux des jardins japonais.



 



Erigées là par on ne sait quelles épouvantables forces, les roches forment

 entassement, accumulées, bousculées, droites ou de guingois. On s'assoit

 où l'on peut. Jeanne d'Arc s'évente avec son chapeau. La scène est

biblique, faisant songer au Sermon sur la Montagne. Jeunes nu-tête,

couleurs des robes, hommes en bras de chemises et le prêtre a le teint

 cuivré ... Il porte une soutane longue. Tout en bas la ville, ses bâtiments

 neufs, ses maisonnettes en bois grimpant dans la verdure, sa jetée, les

bateaux, l'aéroport à droite, et les remblais gagnés sur la mer, et les petites

 îles de la rade...




                               



Un cantique s'est élevé et je crois bien que tout le monde l'a repris. On se

 compte par centaines maintenant. Combien de centaines ? _ Peut-être

quatre, peut-être cinq ... 





Le pic sur lequel on se trouve est l'un de ceux que l'on appelle "Les Trois

Frères", le plus petit, le plus au sud. Il y avait là, érigée en mille neuf cent

cinquante six, une croix de bois. Chaque année, pour le Vendredi-Saint, la

jeunesse montait nettoyer la croix et la repeindre. Le temps, les insectes, les

 pluies et les vents ont fini par en avoir raison. 


 



Aujourd'hui, c'est Vendredi-Saint. Un vrombissement, comme le

ronflement d'un orgue qui enfle, approche, s'amplifie

encore : Un hélicoptère monte à la verticale et parvient à hauteur de la

foule. Pendant en-dessous, au bout d'un câble, une immense croix de béton

 tourne lentement sur elle-même. Au souffle des rotors, chacun se courbe,

 puis se redresse : L'hélicoptère est maintenant stationnaire. Manoeuvre

parfaite : La croix est en place dans son trou. On y coule du béton ... On

 cale, en attendant la prise. 




                           


Le père Lafortune, ( Ce nom ne s'invente pas ! ) se dresse plus haut que

tous et bénit la croix. De ses quatre mètres, elle domine la roche, à six cents

 mètres au-dessus de la ville et des flots. On doit la voir de très loin, quand

 on vient par la mer 





 




... O ! Foi ! Qui se perd ici, se conserve là, ressurgit ailleurs ou bien flambe !

 - Ira-t-on, dans ce pays qui se dit marxiste, dès l'an prochain, en

 procession, repeindre la croix au jour du Vendredi-Saint ?