vendredi 31 mai 2019

TERRE DE DÉPARTS




TERRE DE DÉPARTS ...



















TERRE DE DÉPARTS










              J’étais là, à Brouage, lors de la naissance de Samuel de Champlain, aux alentours de 1567 (Je ne sais plus très bien la date exacte …).
      Samuel de Champlain ! … Navigateur, cartographe, soldat, explorateur, commandant, chroniqueur … Et tout cela à la fois ! … Fondateur de la ville de Québec … Samuel de Champlain, le père de la Nouvelle France … Il me semble bien que j’étais là, aussi, lorsqu’il s’embarqua pour la première fois pour l’Espagne, puis pour le Mexique. Je l’ai suivi dans ses explorations du Québec … C’était en 1975 et j’ai vu, malgré la neige qui recouvrait la ville, le monument qui rappelle la naissance de Champlain … à Brouage. 

      À Brouage, j’ai vu les fortifications du plus beau port de mer de Louis XIV … J’ai rêvé à Marie Mancini et reniflé les parfums d’iode et de sel … Les bateaux appareillaient pour porter le sel jusqu’aux pays du Nord. 
            Les pays du Nord … J’y suis passé en 1989, partant pour la Thaïlande. Je connaissais déjà le Laos.


Je suis né à Rochefort et je me suis promené dans les « Jardins de la Marine … Par dessus le mur, j’ai regardé les bâtiments de l’Arsenal. « Tu vois, René Caillé venait ici pour apercevoir son père, qui était forçat au bagne de Rochefort » … Au bagne pour une pécadille. René Caillé m’a fait rêver … Je ne  suis pas allé à Tombouctou, mais j’ai passé mon enfance au Maroc, puis j’ai séjourné en Algérie,au Congo … René Caillé est revenu. Il a été maire de Champagne.

Les « Jardins de la Marine » m’ont raconté l’histoire des frères Lesson et leurs aventures dans l’Océan Pacifique. Ils m’ont également parlé de mon arrière-grand-père, Ludovic Savatier, Médecin en Chef de la Marine, « Le père de la botanique moderne au Japon ». Je suis allé au Japon, j’y ai trouvé Pierre Loti. Je suis allé à Tahiti où j’ai retrouvé les traces de mon aïeul et celles des frères Lesson. J’y ai , bien sûr, retrouvé les traces de Pierre Loti. Des goëlettes m’ont emmené jusqu’à chacune des îles des Tuamotu, des Gambier et des Îles Sous -Le -Vent.

La bibliothèque du port de Rochefort et celle de l’ancienne école de santé navale m’ont ouvert les manuscrits de Colbert du Terron, les journaux de bord de la Méduse, dont Géricault immortalisa le célèbre radeau, de l’Alcmène, dont une partie de l’équipage périt en Nouvelle-Calédonie et dont le voyage finit par un naufrage en Nouvelle-Zélande … Je suis allé en Nouvelle-Calédonie et au Vanuatu.


      Au fort Boyard, j’ai rencontré les mannes de Henri Rochefort … Que j’ai retrouvées à Nouméa … au bagne ! Dans le cimetière de Rochefort, j’ai vu le monument dédié au Lieutenant Bellot … Cénotaphe porté par quatre ours blancs … Moi, c’est au Cap Horn que je suis allé, tout près des banquises de l’Antarctique, et à Ushuaia. 

      Dans ma famille, on parle encore de José Maria de Hérédia, dont la sœur habitait une maison voisine de celle qui fut la mienne, en Oléron. Une tante de mon père épousa l’un de ses enfants … Je suis allé aux Antilles et j’y ai séjourné.
      J’ai fréquenté les abords de l’île d’Aix, visité la maison de l’Empereur … Je suis allé aux Îles Seychelles. Pas à Sainte Hélène !

      J’ai vu flotter dans les airs, au-dessus du pont transbordeur, des ballons : Ballons libres, ballons captifs, ballons dirigeables … On les construisait dans les usines Zodiac, à Rochefort. C’est également là qu’est né le canot pneumatique Zodiac … Mon père en fit les essais à Rochefort et à Boyardville … Nous emportâmes le prototype, en 1939, jusqu’à Agadir !

      J’ai vu décoller, des bords de la Charente, le « Pou du Ciel », l’ « autogyre » et le coucou de Maryse Bastié. Et, maintenant, si je les totalisais, mes heures de vol en surprendraient plus d’un !
      
Départs … Départs … Mais il me faudrait parler des champs de colza si extraordinaires au printemps, des rangs de vigne bleuis par les pulvérisations de bouillie bordelaise, des forêts de pins, des marais salants et de la faune avicole qu’ils abritent. Il me faudrait parler des longues plages blondes, des maisons basses et blanches … Et puis des tours de La Rochelle et du Museum d’histoire naturelle dans les salles duquel j’ai tant erré. 

      Mais, à Rochefort, un jour, je retrouverai sans aucun doute les « Jardins du retour ».

     

mercredi 29 mai 2019

L'HOMME-ET-D' MIT '




L'HOM'-ET-D'MIT '


                                 *






Tout le monde l'appelait " l'Homme-et-d'mit'"... Il avait en effet forte bedaine, arrondie tout comme il faut. Mais ce n'est point tant pour sa bedaine qu'on le nommait ainsi ... C'était plutôt pour son importance dans le pays. Sans aucun doute, il était plus important de moitié que chacun ici. Nul n'aurait pu en douter, au vu de son justaucorps d'écarlate garni de boutons d'or galonné aux manches, de ses hauts-de-chausses de drap, de sa chaîne et de sa montre d'argent, de ses bottines fines et de sa cravate au point d'Angleterre.



" L'Homme-et-d'mit' " était représentant du Baron d'Oleron, Seigneur de la Cailletière. Fier, certes, et dur avec les fermiers. C'était lui qui négociait les baux, estimait les revenus, vérifiait les dûs. Il n'était pas très aimé, ni des sauniers, ni des laboureurs, ni du farinier, pas plus que du fermier du four banal chez lequel la règle voulait que chacun portât son pain à cuire. Après ses mesures et ses calculs, il se trouvait toujours qu'il manquât trois sous, pour le moins, à ce que vous remettiez entre ses mains ... Et les trois sous, il les inscrivait sur son grand livre !


Cette année-là fut particulièrement rude. L'hiver fut si froid que beaucoup y perdirent la vie. Ces messieurs de la garnison du Château d'Oleron firent des distributions de pain ... Le thermomètre marqua vingt trois degrés sous zéro ! La Charente charroya pendant tout le mois de décembre des glaçons si volumineux qu'on craignit pour les navires à l'ancre dans la rade. Puis elle se congela dans le voisinage de son embouchure où elle présentait, au commencement de janvier, une croûte de glace de cinquante six centimètres d'épaisseur. En juin, on se demandait de quoi on vivrait pendant l'année suivante : Les récoltes ne s'annonçaient guère bonnes.


Ce fut précisément à ce moment-là que le Prieur de Saint-Georges de Didonne prétendit faire payer aux Oleronnais les aydes et la taille. "L'Homme-et-d'mit'" vint se faire son porte-parole. On n'osa trop manifester, mais la grogne, si elle fut sourde, n'en fut pas moins violente. Le syndic réunit l'assemblée capitulaire, sur la place de Dolus. L'assemblée désigna " Trois-sous" pour la représenter auprès du roi, afin de rappeler les privilèges que celui-ci leur avaient accordés par l'arrêt privé du vingt cinq mars mille six cent quatre vingt dix sept et de plaider pour que soit maintenue l'exemption des aydes, de la taille et de la gabelle ... Plusieurs fois déjà, au cours des ans, les Intendants, Seigneurs et Prieurs avaient tenté de prélever en Oleron des taxes indues ... On avait toujours su se défendre !

" Trois-sous" était un homme long et sec. Il avait le visage buriné par le vent et le soleil. Il portait des pantalons, lui, et non pas des culottes comme ces messieurs les nobles et les bourgeois. Ses pieds étaient chaussés de sabots de bois garnis de foin. On l'appelait "Trois-sous" parce qu'il avait su, un beau matin, rabattre son caquet à "l'Homme-et-d'mit' " au moment où celui-ci, après avoir fait ses comptes, était venu lui réclamer ... Trois-sous ! ... Maître Barbeau et son fils, le petit " Mille-vices", avaient assisté à la scène, et la Chartrain était là aussi, ainsi que la Martineau ... Ils l'avaient tous vu et tous répété : Quand "l'Homme-et-d'mit" avait réclamé ses trois sous, son débiteur lui avait ... Montré son cul ! ... Les rires avaient été si tonitruants que " l'Homme-et-d'mit' " s'était bien gardé de le rapporter, et que Monsieur le Baron n'en avait rien su. C'est pour cela sans doute que l'assemblée l'avait choisi : Il saurait bien ce qu'il fallait faire ... On lui vota une bourse pour faire le voyage et pour couvrir ses frais. Ah, mais ! Les Oleronnais ont toujours su se défendre... Ce n'était pas encore ce coup-ci qu'on allait se laisser faire !



"Trois-sous", donc, rentre chez lui, tout près de la Vezouzière. Il ordonne de faire son bagage, de panser son cheval. Pendant les préparatifs, il se rend au bourg afin de compléter ses provisions. Il croise le Curé, il le salue, mais comme il n'est pas de ceux qui fréquentent les bureaux de la Fabrique, il ne s'attarde guère. Ses affaires à lui, ne sont pas celles du Curé. Même, chacun le sait, il fréquente la Loge Maçonnique de Dolus. Ses idées sont libertaires et égalitaires ... C'est aussi pourquoi on l'a choisi : Ce qu'il veut, lui, ce n'est pas seulement la conservation des privilèges oleronnais, c'est la suppression complète de la taille, des aydes, de la gabelle, de toutes les taxes, de toutes les obligations, de toutes les corvées ... La Liberté !


II y a foule sur la place. On crie, on s'interpelle, on menace, on appelle, on proteste ... Cancanements, piaillements, parlotes et discours ... Quelques-uns se battent, même. Il y a là des femmes, des hommes, une nuée de gamins et de gamines. Certains, demeurés juchés sur le dos de leur âne, brandissent cannes, bâtons et gourdins. Le doyen de la paroisse, qui a bien plus de quatre vingt ans, arrive en sabots, une fourche à la main, la moustache en bataille. La chienne du boucher a ramassé un coup de pied quelque part : Elle s'enfuit en glapissant, la queue entre les pattes. Son maître l'appelle à grands cris : elle s'est échappée en cassant sa corde et elle a ses chaleurs ... Le petit "Mille-vices" tape à grands coups de cuiller sur un poêlon de cuivre.


"Trois-sous", revêtu de l'autorité que lui donne sa charge nouvelle, monte sur un tonneau. Il demande qu'on lui explique l'affaire.

_ " Que l'on dise ce qui nous vaut ce beau carnage ! "


La mêlée s'éclaircit, chacun se redresse ... On voit alors, sortant de dessous le tas, le justaucorps déchiré et les boutons arrachés, .. Qui ? _ " L'Homme-et-d'mit' " en personne. La frayeur le rend blafard, mais son visage ne tarde pas à s'empourprer de colère .

_ " Je vais rendre compte à Monsieur le Baron. Il se plaindra au Gouverneur, et vous verrez si les geôles de la Citadelle sont confortables ! Messieurs les révoltés et leurs dames verront bien si les gardes du Roi portent des gants de velours, quand ils surveillent les déblais et les charrois de pierres pour les fortifications ! Aux galères, les meneurs et les batailleurs ! "

_ " Me dira-t-on enfin de quoi il s'agit ? "

Ce fut Geneviève qui répondit. Sans doute elle s'était bien battue : Son corsage était en piteux état, le sein gauche paraissant tout entier, malgré le tablier qu'elle essayait en vain de maintenir sur sa poitrine. Elle prit une longue inspiration, elle dit :

_ " Je vais vous raconter ..."

Tout un chacun faisait silence, "Trois-sous" était attentif, ayant réussi, malgré la tourmente, à maintenir son chapeau à sa place ... Un chapeau de paille à larges bords qu'il ne quittait, disait-on, que pour aller se coucher ... "Mille-vices" reçut une calotte, il détala en hurlant vers le chemin de Boyardville. Tous les gamins et les gamines le suivirent.

                     _" Voilà ... J'allais au moulin ... Celui qui se trouve entre le bourg et la Cailletière, sur le grand chemin. Je marchais à pied car mon âne était chargé de deux sacs de blé. C'était pour faire moudre le blé. Maître François, le farinier, était sur le seuil du moulin. Arrive Auguste, que l'on appelle " Quatre-oeils", parce qu'il n'en a plus qu'un, ayant laissé l'autre sur un navire du roi qui s'en allait dans les pays du Diable ...


_ " Au fait, Madame, au fait ! "

_ " J'y viens au fait ... J'y viens ! Arrive "Quatre-oeils", qui est le cousin de ma belle soeur Émilie. Bon, bon ... J'y viens, j'y viens ... Il y avait aussi la " Marie-Galette " et son frère, le gros Bouchu ... Et puis voilà que viennent des hommes avec des chevaux ... Toute une troupe d'hommes avec des chevaux. Ils étaient à pied et tenaient leurs bêtes au licou. Tous trassonneurs et charroyeurs ordinaires du sol de la Paroisse de Dolus, requis par le Baron pour effectuer le transport de son blé de sa maison de la Cailletière en celle de Maître Jean Maton, son procureur fiscal. Parmi eux se trouvait le fils de Robert Gabou, l'un des trassonneurs, un gamin de dix ou onze ans ... Même qu' il n'a plus de père ... Le pauvre, il est mort l'hiver dernier alors qu'il faisait si froid, le même jour que l'Antoine Baudureau, mon voisin ..."

- " Au fait, madame, au fait ' "

On entendit à ce moment-là un grand cri : Le boucher revenait, toujours courant après sa chienne, laquelle avait trouvé compagnie, le chien du curé la suivant, la langue pendante, puis encore le chien du tonnelier, et encore celui du forgeron ...


_" Arrêtez la : Elle a ses chaleurs ! "



_ " Qu'est-ce que vous dites ? " Hurla Geneviève dont le visage s'était empourpré.

_ " Au fait, Madame, au fait ! "

Mais Geneviève allait s'étrangler de fureur, ce fut la " Marie-Galette qui reprit :

_ " Oui, eh bien c'est vrai, quoi ! Tous ces trassonneurs et ces charroyeurs étaient là, sur le chemin. Il y avait ce pauvre gamin, le fils de Robert Gabou qui menait trois chevaux au licou ... Trois chevaux à la fois, pour un si petit gamin ! ... Ce qui devait arriver est arrivé ! Juste au pied du moulin, l'un des chevaux se cabre, il fait un écart ... Le cheval rencontre une des verges du moulin, elle se brise sous le choc. Bon, le farinier a plutôt gardé son calme ... Mais c'est " l'Homme-et-d'mit' ", avec son beau justaucorps garni d'écarlate aux boutons d'or, sa montre en argent et ses bottes fines ... Il s'est mis à crier, à hurler, à tempêter, disant que le moulin appartient à Monsieur le baron, que le farinier n'en est que le fermier, que c'était à lui qu'on allait avoir à faire, vu qu'il représente les intérêts de Monsieur le Baron, Seigneur de la Cailletière ... Il s'en est pris à la mère du petit, laquelle était accourue pour voir ce qui se passait ... Il prétendait lui faire payer, pour les dégâts causés au moulin, pour les frais et les dépens, plus de cent livres tournois et louis d'argent et deniers ! Criant de plus en plus fort, il voulait traîner la mère et l'enfant jusqu'à Painturbat, devant Messire Louis Le Magnan, Seigneur de Painturbat, du Chastellier et autres places ... "

_ " Qu'est-ce encore que ceci ? Va-t-on nous laisser en finir ? "

C'était à nouveau la chienne du boucher. Elle filait entre les jambes de tout ce monde qui était là, et quinze chiens derrière elle, de toutes tailles et de tous poils, de toutes couleurs aussi, chacun tirant la langue, bavant et s'égosillant. Le boucher, qui venait loin derrière, s'égosillait aussi :

_ " Attrapez la, vous dis-je ... Elle a ses chaleurs ! "


Cette fois-ci, personne ne se formalisa. Il n'y avait que le curé, sourd un peu, qui demandait autour de lui :

_ " Qu'est-ce qui lui arrive ?"

Tout le monde éclata de rire. C'était un rire tellement immense, tellement gargantuesque que "l'Homme-et-d'mit' " lui-même manqua s'en étouffer. La Geneviève reprit la parole :

_ " Vous pensez que l'on pouvait laisser faire ça, nous ? C'était une injustice sans pareille ... Le petit, il n'avait pris les chevaux au licol que parce qu'on le lui avait demandé. Pourquoi essayer de rendre responsable sa maman ? La pauvre, depuis la mort de son mari, c'est tout juste si elle a de quoi se nourrir ! On ne pouvait pas laisser faire ça ! Alors, nous étions, lorsque vous êtes arrivé, en train de lui expliquer tout ce qu'on en pensait, à Monsieur " L'Homme-et-d'mit' "... C'était juste ce qu'on était en train de faire, lorsque vous êtes arrivé, Monsieur "Trois- sous"...
C'est qu'elle lui donnait du Monsieur, la Geneviève, maintenant qu'il était chargé de mission !



"L'Homme-et-d'mit'" ... Deux gaillards le maintenaient à grand peine, en le tenant par les bras. Deux autres maintenaient les ménagères à distance, qui l'auraient bien étripé. Une troisième proposait de lui arracher les yeux ... On n'y allait pas de main-morte ! "


_" Bon, du calme ... Cela suffit ! ... Monsieur "l'Homme-et-d'mit'", l'heure n'est plus aux taxes, aux impôts, à la taille, aux aydes et à la gabelle. C'est l'ère de la Liberté qui commence aujourd'hui. Nous entrons aujourd'hui dans l'ère de la Liberté, de l'Égalité, de la Fraternité ... Et la Fraternité, elle commande de ne pas accabler injustement ceux qui sont dans la misère ...

" Nous entrons aujourd'hui dans l'ère de la Justice ... Et la Justice, elle commande de ne pas condamner un pauvre enfant qui n'a pas demandé à faire ce qu'on lui a fait faire ... La Justice, elle demande que la mère de cet enfant soit laissée en paix. Elle est encore moins responsable de ce qui s'est passé. Monsieur "l'Homme-et-d'mit'", est-ce que vous ne ramassez pas assez de sous pour réparer les ailes du moulin ? " Allez-vous cesser d'affamer les pauvres diables qui n'ont pas de quoi payer la cuisson de leur pain au four du Baron ? "


_ " Au pilori, criait la foule ! "


On mena l'"Homme-et-d'mit'" au pilori. Quand il fut là, la tête et les deux poignets coincés sous la planche, on l'arrosa de quolibets ... Et de bien d'autres choses encore, que je ne saurais nommer ... Monsieur le Curé se tenait dans un coin, s'essuyant le front dans un large mouchoir :

_ " Demain ... Quand le Baron saura ça ! "

Personne ne l'entendit, car le hurlement du boucher couvrit tout le bruit :


_" Tonnerre ... Une si belle chienne de race ... Il l'a eue !"

... Il l'avait eue ... C'était le chien de Raboliot, le braconnier, qui avait gagné ... Un affreux bâtard aux courtes pattes et au poil hérissé ...

_ " Hé ! Laissez-les donc ... C'est aujourd'hui jour de Liberté !


Et puis, de toute façon, le lendemain, Monsieur le Baron ne dirait rien ... Monsieur le Baron avait d'autres choses à faire ... Est-ce qu'il sut, même, comment son représentant avait été bafoué par les gens de Dolus ? .




Tout cela s'était passé le treize juillet mille sept cent quatre vingt neuf .... Le lendemain, c'était le quatorze juillet, les Parisiens prenaient la Bastille ... La Révolution était commencée ! On l'apprit en Oleron grâce à l'arrivée d'un pigeon voyageur au pigeonnier du Prieuré de La Perroche.. On sortit les fourches. Peut-être bien, même, qu'on roula quelques canons jusqu'aux bourgs et aux villages ... On alluma des feux de joie sur les places publiques, on planta des arbres de la liberté, on brandit des drapeaux et des étendards. Oleron fut rebaptisée l'Ile de la Liberté ... Pas moins !

Monsieur le Baron, Seigneur de la Cailletière, brûlant les étapes, sur le dos de son destrier, galopait à fond de train vers on ne sait où, Monsieur le Curé en faisait autant, mais il partait à pied, lui, en direction de l'Espagne ... On avait oublié l'"Homme-et-d'mit' " à son carcan. Ce fut Marie-Galette qui y pensa ...



_ " Et qu'est-ce qu'on lui fait, à cette moitié d'homme ? " demanda " Trois-sous", à nouveau grimpé sur son tonneau puisque les événements rendaient sa mission inutile et caduque ... " Qu'est-ce qu'on lui fait ? "

Toute la population de Dolus s'était retournée:

_ " On lui montre son cul ! "

Voyez le spectacle ! ... Les hommes baissaient leurs braies, les femmes levaient leurs jupes et leurs jupons, " Mille-Vices " et tous ses copains en firent autant. Culs nus, dentelles au petit point, culottes fendues, caleçons de toile de lin ... Jusqu'au farinier, qui se trouvait là et qui montrait ses larges fesses.

_ " Tiens, l'Homme-et-d'mit' ", et c'est gratuit... On ne te demandera pas trois sous !


Il y avait deux mille sept cent cinquante habitants dans la Paroisse ... Deux mille sept cent quarante huit si l'on décompte le Baron et le Curé ... Les deux mille sept cent quarante huit habitants réunis sur la place ( On avait traîné jusque là les invalides et les vieillards ... Tout le monde vota, même les nourrissons je crois bien ... ) Par acclamations, la population tout entière accepta la proposition faite par " Trois-sous " : La ville du Château était devenue la Commune de l'Égalité, celle de Saint-Pierre était devenue la Fraternité, à Saint-Georges, on avait choisi pour nom l' Unité, à Saint-Denis la Réunion, et à Saint Trojan la Montagne ... A Dolus, aussitôt proclamée, la Commune prit le nom de "Commune des Sans-Culottes !"

_ N'était-ce pas justifié ?


_ "Et le condamné ? "


_ " On l'a libéré de son carcan, bien sûr : Il avait juré tout ce qu'on avait voulu. Il faut reconnaître qu'il tint parole : On le retrouve quelque temps après. Il est devenu le meilleur ami du nouveau curé ... Celui qui avait épousé la Citoyenne Marguerite Guinot, sa servante...
Une ancienne marchande de sardines ... Celui qui devint le papa d'un petit garçon prénommé Guillaume-Cyprès ... L'"Homme-et-d'mit' ", devenu pour tout et un chacun l'"Homme-à-d'mit' " se parait du titre de " Sans-Culottes, Sergent dans la Garde Nationale de la Commune des Sans-Culottes, Ile de la liberté, ci-devant Dolus, Ile d'Oleron " Pierre Delacoste Dulac, prétendu Curé, se parait du même titre !

lundi 27 mai 2019

LA FICELLE




LA    FICELLE















Lutin, farfadet, galipote ... haut comme trois pommes ou même comme deux pommes et demie, apparaissant toujours là où on ne l'attendait pas, au moment où on ne l'attendait pas, on l'appelait La Ficelle, et c'est bien dire le millier de tours, tous plus pendables les uns que les autres, qu'il avait dans ses poches percées. Eh bien il était apparu là dès que les soldats avaient eu le dos tourné ...



Monsieur Michel Begon, Chevalier, Seigneur de Murbelin, la Picardière et autres lieux, Conseiller du Roy en son Conseil et Parlement de Provence, Intendant de la Marine à Rochefort et Commissaire départi par Sa Majesté pour l'exécution de ses ordres au Pays d'Aunis, Gouverneur de La Rochelle, Brouage, Isles de Ré, Oleron et autres adjacentes .... ( Fermez le ban, battez tambours ! ), suivi de Monsieur le Comte de la Vogadre, Gouverneur de l'île et de la citadelle d'Oleron, se trouvait encore sur le chemin du pont-levis. On ne les apercevait plus que de dos, par-dessus les bonnets des Sergents de la Compagnie du Roy, juchés de fort belle façon chacun sur sa monture. Devant eux, à pieds, un page portait, tel un ostensoir, dans un pot de terre vernissée, une plante à fleurs roses et feuilles charnues que l'on appellera bégonia, dont Monsieur l'Intendant ne se séparait jamais.



Ah ! Cela avait été une belle cérémonie, je vous le dis : La garnison de la citadelle du Chateau d'Oleron était importante, elle se composait de vingt compagnies, se répartissant entre le Régiment de Pièmont, le Régiment Royal, le Régiment de la Marine et celui de Navarre. Ils n'étaient pas tous venus, bien entendu, mais on avait vu du beau monde, et en quantité ... A pieds, à cheval ...



La fanfare avait sonné, les cavaliers s'étaient alignés. Le petit peuple était accouru et s'était massé derrière les notables. La Ficelle s'était débrouillé on ne sait comment ... (Mais on ne sait jamais comment se débrouille La Ficelle) ... D'abord, était-il ou non un farfadet ? ... Les avis étaient partagés. Certains, avaient bien essayé, à un moment ou à un autre, de lui flanquer leur pied au cul pour quelque raillerie ou quelque rapine ... Va te faire voir, il filait comme un aspic ! ... Ceux-là le tenaient pour un représentant du Diable.



Quelques ménagères disaient qu'il était bien garçon comme les autres ... Il devait avoir dix ans à peine. C'était sans doute le fils d'un de ces couples de Parpaillots qui s'étaient enfuis au moment de la révocation de l'Édit de Nantes ... Ses parents ne l'auraient pas trouvé lorsqu'il fut pour eux l'heure de s'embarquer ... Ils seraient partis sans lui ... Il couchait dans une écurie ou dans une autre, vivait de rapine ... Quoique le boulanger de la Citadelle lui glissât une demi-boule de pain de temps à autre ... Il portait une chemise taillée dans une méchante pièce de lin, des culottes s'arrêtant au genou, un chapeau de feutre rouge et pointu, sortant d'on ne savait où, bosselé, décoloré, percé ... Bien entendu, il avait les pieds nus.



_ " Quoi de plus sympatique qu'un chapeau percé? ... On peut s'en servir pour attraper les petits poissons dans les fossés, pour ramasser les mûres ou les fraises ... Pour regarder à travers : Dans le ciel, on voit alors des étoiles ! "



Donc Monsieur l'Intendant avait passé les troupes en revue, toujours suivi par Monsieur le Gouverneur, à trois pas en arrière. Superbe ! Il était superbe, Monsieur l'Intendant de la Marine : Justaucorps bleu galonné d'or, veste bleue garnie d'agréments d'argent, surtout d'écarlate garni de ganses d'argent, culotte de velours violet, chaussures à boucles d'argent ... La Ficelle en siffla sa chansonnette, juste au moment où Monsieur le Gouverneur présentait les armes ... Monsieur le Gouverneur : Veste rouge de brocard d'or, manteau d'écarlate ...



_ " L'as-tu vue, la casquette, la casquette ...? disait la chanson de La Ficelle ... Elle disait d'autres choses aussi, que je ne répèterai pas ici, mais où il était question de chemise et de bonnet de nuit ...


Va donc attrapper La Ficelle ! Le Sergent qui s'y essaya ne le retrouva pas.


En grande cérémonie, aidé par le Syndic des habitants de la ville, Monsieur l'Intendant dressa la borne de granit, que six hommes avaient portée jusque là. On devait agrandir la Citadelle et en améliorer les fortifications ... Une descente sur nos côtes était possible : Le prince d'Orange armait une flotte considérable.





La borne que l'on avait plantée devait servir de témoin pour l'arpentage des nouvelles installations ... Une bonne partie de la ville devait être rasée ... Pour tracer l'ouvrage à cornes, sa demi-lune et ses glacis, on devait démolir et niveler tout ce qui se trouvait entre le fossé de protection de la Citadelle et la Place d'armes. Le cimetière, l'église et le couvent des récollets devaient disparaître. Sept mille hommes devaient travailler là, paysans amenés de force sous l'escorte de prévôts, et travaillant "à la journée du Roy". Le transport des pierres et du sable fut affermé à Messire Nicolas, qui recruta cent dix sept sauniers et leurs chevaux à cet effet. Aux habitants dont on abattrait les maisons seraient versées des indemnités et attribués des lots de terrains pour rebâtir. Alors, vous pensez bien ... Les gens du Château, qui commençaient déjà à être las des embarras de leurs relations avec la troupe, et qui avaient, la tête près du bonnet ... Il n'était pas étonnant qu'on les entendît grommeler pendant que Monsieur l'Intendant plantait sa borne en grand apparat ...



Ils étaient tous là, les habitants du Château d'Oleron, autour de la borne de granit, à l'endroit que l'on appelle "le Pavé du Roy", parce que le Grand Louis Quatorze, descendant de son cheval, avait, en mille six cent soixante, posé là le pied droit, puis ensuite le gauche. 



C'est un grand éclat de rire qui fit se retourner Monsieur l'Intendant et Monsieur le Gouverneur sur leur selle ... Un éclat de rire comme on peut seulement en entendre le jour de la Saint-Jean, lorsque Monsieur le Baron perce la barrique et boit le premier pour donner le signal de liesse à la population ...


Ces messieurs et leur escorte se retournèrent et s'aperçurent que tout le monde, même le Syndic, se tenait les côtes : Hommes, femmes, demoiselles et jeunes-gens. Même les filles du couvent de la Sagesse se tordaient de rire, (Que Dieu veuille les absoudre !) ... Cette hilarité était scandaleuse : La Ficelle, réapparu, issu de l'on ne savait où, son chapeau, en plein soleil, dansant comme flamme au vent ... La Ficelle, légèrement penché en arrière, avait baissé sa culotte ... Il était en train de pisser sur la borne, tenant son zizi à deux mains : Un jet bien dru, qui montait avant de redescendre en courbe gracieuse, comme le jet de la fontaine du marché ! La borne en était tout éclaboussée. Les gouttes scintillantes en rebondissaient. Tout en pissant, il chantait, et sa chanson disait :



_ " L'avez-vous vu, le chapeau de Zozo ?
C'est un chapeau tout c'qu'ya d'plus rigolo,
Sur le devant, une plume de paon,
Sur le côté, une plume de perroquet ..."

              















     
Toute la population, toute sans exception, reprenait :


_ " Sur le côté, une plume de perroquet ..."



... In-to-lé-ra-ble ! _ Mais qu'auriez vous bien pu faire ? ... Essayez donc d'attrapper la Ficelle : Autant courir après un feu-follet ! ... Il était parti depuis longtemps alors que la troupe amorçait seulement son demi-tour pour le poursuivre ! Tra, tra, tra ... On essaya bien cependant !


On avait vu la pointe de son chapeau disparaître au premier tournant du grand chemin. Ce fut un grand chien jaune, qui passait par là, qui reçut une volée de coups de bâton ... Il en faut bien un qui paie ! Je crois qu'on s'en prit aussi au bedeau : On l'avait confondu avec l'amant de la mercière, que courtisait le Sergent-major.


Dans les jours qui suivirent, on n'entendit plus parler de La Ficelle. Du bedeau non plus on n'entendit plus parler pendant quelques jours : Il soignait les ecchymoses de son dos avec le baume de ces Dames de la Sagesse ... Il en eut bien pour quatre jours ...


Arrivèrent les géomètres, avec leurs lunettes, leurs mires et leurs chaînes. Partant de la fameuse borne, il devaient lever le plan, tant des maisons démolies que des héritages voisins du bourg, et faire piqueter et tracer, dans les dits héritages, les lots destinés au remplacement. On devait aussi tracer les nouveaux murs de la Citadelle. Cela n'était pas une mince affaire et il y fallut du temps ... D'autant que chaque citadin voulait se hâter de récupérer la pierre qui lui appartenait , et de la porter au nouvel emplacement où il voulait construire sa maison : Roulez, chariots ! ...


_ "Si tu ne te remues pas assez prestement, la pierre ira disparaître dans les fortifications ! "


... Cela créait dans tous les environs des embarras de circulation dont on ne sortait parfois qu'après bien des jurons et des coups. Tous ces embarras ne facilitaient pas les occupations des arpenteurs. Monsieur l'Intendant grondait, envoyant de Brouage missive après missive. La population, elle, ne cessait de grogner : Avec tout ceci, on n'avait plus le temps de porter le grain au moulin, on n'avait plus le temps d'aller mettre les huîtres dans les parcs, on devait veiller tard le soir pour panser les ânes et les chevaux ... Toutes ces allées et venues creusaient les chemins et les fondrières étaient pleines de gadoues ... Et puis, on n'était pas forcément d'accord avec les choix de Messieurs les arpenteurs : pourquoi ce lot était-il attribué à celui-ci plutôt qu'à celui-là ? Le mécontentement s'exacerbait, la grogne montait ...


_ " Et les indemnités, quand est-ce qu'on va les toucher ? Pendant combien d'années l'État servira-t-il la rente?"


Les rues, les allées et les avenues que l'on traçait avaient pourtant belle allure, nettes, droites, se coupant à angle droit, avec de belles places rectangulaires ... La ville allait devenir une véritable ville et la Citadelle devenait une place-forte de première catégorie. Au fond, on en était un peu fier tout de même ... Mais rendez-vous compte de tous ces bouleversements !


Certains disaient qu'ils avaient aperçu La Ficelle et son chapeau-rouge-à-regarder-les-étoiles, rien n'était moins sûr : Monsieur le curé le cherchait encore, pour le convertir, s'il était vrai qu'il fût Parpaillot ... Il demeurait insaisissable.



Les géomètres et leurs arpenteurs plantèrent leurs piquets de châtaignier, à intervalles égaux. Ceux qui étaient plantés aux angles étaient peints en jaune. L'ensemble commençait à prendre forme : On eût dit un grand jeu de marelle. Les galopins, sortant du catéchisme, ne se privaient pas d'y organiser de grandes courses et de grandes parties de ballon.


Et puis un jour on annonça le retour de Monsieur Michel Begon, Chevalier, Seigneur de Murberlin, la Picardière et autres lieux, conseiller du Roy en son Conseil et Parlement de provence, Intendant de la Marine à Rochefort et Commissaire départi par Sa-Majesté pour l'exécution de ses ordres en Pays d'Aunis, Gouverneur de La Rochelle, Brouage, Isles de Ré, Oleron et autres adjacentes ... ( Fermez le ban ... Roulez tambours ! )


... Le piquetage était achevé, Monsieur l'Intendant venait inspecter les travaux et donner ses avis. La troupe l'accueillerait à la Porte d'Ors, à l'avant du pont-levis. La population et son syndic étaient priés de pavoiser et de témoigner sa fidélité et sa satisfaction ... Sa fidélité, on le voulait bien ... On était tous de loyaux sujets de Sa-Majesté, mais pour ce qui était de la satisfaction!


... On racontait que la sentinelle placée devant le logis d'un Lieutenant avait donné plusieurs coups de baïonnette au cheval de Pierre Barraud, le saunier, sous prétexte que ses passages trop fréquents avaient abîmé le pavé. Le cheval était mort ... Et ce n'était pas le premier disait-on ! Allez donc passer ailleurs, pourtant ...C'était bien là, et là seulement, que passait le chemin ! Non, vraiment ... Pour ce qui était de la satisfaction ! ... Et puis ne disait-on pas que Monsieur l'Intendant était escorté par la relève de plusieurs régiments ... Cette relève ... Les Sergents étaient déjà en train de réquisitionner partout chambres et maisons pour la loger ! Et puis on parlait de réquisitionner tous les gorets pour les provisions de ces messieurs... Pour de vrai, parlez-nous de contentement ! ... On irait pourtant accueillir Monsieur Bégon à la Porte d'Ors, au jour dit ... On irait ... Allez donc faire autrement !


                              *


_ " Turlutu ... Chapeau pointu ! "



Mais oui, le Major de la Garde n'en croyait pas ses yeux ... La Ficelle!
... C'était bien La Ficelle que l'on voyait là, en plein milieu de la porte de la ville ... La chanson aux lèvres et la malice plein les yeux. Il disparut une seconde ...


Il revint en poussant un cochon devant lui ... Un beau cochon ma foi, tout rose et tout propre ... Et l'animal glapissait comme si on lui avait montré le couteau du boucher ... Les glapissements couvraient l'éclat des trompettes, lesquelles sonnaient justement pour saluer le débarquement de Monsieur l'Intendant ...



On comprit tout de suite la raison de ces glapissements : La Ficelle avait attaché un bouchon de paille à la queue du cochon ... Il y avait mis le feu. Le goret fit un démarrage à vitesse supersonique,(Tant et si bien qu'il ne devait pas s'entendre glapir lui-même ...) Mais il est vraisemblable aussi qu'il avait vu le chien jaune, le grand chien jaune qui avait été battu l'autre jour, et qui lui courait après. Le bedeau apparut à son tour : Il courait après le chien ... Et derrière arrivait Monsieur le Curé, tout entravé par sa soutane, mais courant tout de même très vite ... Il courait après le bedeau ...


Ce fut une belle pagaille ! Le cochon partit tout droit vers le port, suivant l'avenue fraîchement tracée. Il était suivi du chien, lequel était suivi du bedeau, et celui-ci du Curé ... Et tout ce monde-là, pressé, qui par les flammes, qui par son poursuivant ...


Tout ce monde-là bousculait la Garde, passait entre les jambes des chevaux, déstabilisait les porte-étendards, jetait à terre trompettes et porte-enseignes ... La garde voulut s'en mêler et se mit à courir elle-aussi. Les Sergents hurlaient après les soldats. Les soldats s'apostrophaient les uns les autres. Les Officiers mettaient sabre au clair ou brandissaient leurs épées, que leur ordonnances n'avaient pas manqué de bien fourbir et qui luisaient par conséquent de tous leurs feux au soleil ...

                                  Les chevaux se cabraient, hennissaient, battaient l'air de leurs sabots, agitaient queue et crinière. La mêlée se transmit de rangée en rangée, de Compagnie à Compagnie, de Bataillon à Bataillon. Elle fut bientôt complète. Les troupes qui avaient formé le carré sur l'esplanade du port, elles-mêmes, ne formaient plus qu'un vaste tas de bras, de jambes, de bottes, de vestes bleues, de justaucorps garance à brandebourgs, de crinières et de sabots, duquel dépassaient des oriflammes, des drapeaux, des bannières, des lames, des hallebardes, des piques, des mousquetons, des cartouchières, des baudriers, des casques, des bicornes et des tricornes, des shakos et des oursons, des plumets et des panaches, des selles et des harnais, des trompettes, des tambours et des timbales ... L'air était rempli de cris, de jurons, de hurlements, de gémissements, de plaintes, d'appels, d'interrogations, de prières, d'interpellations, de malédictions, de couinements, de rugissements, de commandements, de feulements, de borborigmes, de menaces, de cliquetis, de chocs, de grincements, de sifflements, de gargoullis, d'aboiements, de miaulements ...



Il en fallut, du temps, pour démêler tout cela! ... Au bout du compte, La Ficelle avait encore disparu et le Major de la Garde, qui était le seul à ne pas avoir perdu son sang-froid, rapportait qu'il avait suivi longtemps à la lorgnette la course du cochon, du chien, du bedeau et du Curé : Ils avaient fini par disparaître à l'horizon sans ralentir la vitesse de leur course ... Le Syndic des gens de la ville, lui, prétendait que le Curé, s'étant pris les pieds dans sa soutane, s'était étalé dans la gadoue, au dernier virage de la route d'Ors ... Un autre disait que le chien avait réussi à attraper le cochon, et que le bedeau les avait emmenés tous les deux ... Allez donc savoir !



Si, encore, cela avait été fini ! ... Mais ce n'était pas fini ! ... On le vit bien lorsque Monsieur Michel Bégon, Chevalier, Seigneur de Murberlin, la Picardière ... etc., etc. ... étant revenu de sa surprise et, accompagné de Monsieur le Gouverneur de la Citadelle, découvrit le piquetage matérialisant l'odonnance des nouvelles installations : La Ficelle avait eu le temps (Mais on avait bien dit qu'il s'agissait d'un farfadet !) ... Il avait eu le temps de déplacer tous les piquets de chataignier : Les jaunes comme les autres ...


Il s'en était servi pour effectuer le tracé ... Nul ne s'en rendit compte parce que ce jeu n'avait pas encore été inventé par les Anglais (Ils en auraient eu le temps cependant, puisqu'ils avaient occupé l'Aquitaine et Oleron pendant si longue période ... ) ... Avec tous ces piquets, La Ficelle avait délimité et tracé un parcours de golf à dix-huit trous ! Ce ne fut que deux siècles plus tard que l'on comprit ce qu'il avait fait.