samedi 25 mai 2019
OLERON ET LE NAUFRAGE
DU Port -CALEDONIA
(Suite)
_ "On vous a raconté ... Vous savez ce que c'est, le Horn ... Avec le vent qui refuse ... Avec des montagnes d'eau qui s'abattent sur le navire, déferlent sur le pont, arrachent les écoutilles, brisent les mâts, surprennent le timonier, couchent le bateau ... Est-ce qu'il va se relever ? ... "Allez, relève-toi, Bon Dieu ... Relève-toi et je le jure : Je donnerai tout ce que j'ai aux pauvres, le jour de mon mariage au temple de mon village" ... "Vas-tu te relever?"
_ "On vous a conté le regard mauvais des grands albatros qui planent dans les vents, vous fixent de leur oeil méchant, vous menacent de leurs becs puissants, jaunes, crochus ... Ils vous attendent, eux-aussi. Ils ont tout leur temps ... Ils glissent sur l'aile et disparaissent ... Ils reviendront, soyez en sûrs ! Combien de matelots, combien de Capitaines ont-ils disparu là, entre la Terre-de-Feu et l'Antarctique! _ Le Malin, c'est là qu'ils vous attend!
_ "Eh bien, moi, je vous le dis, c'est là qu'il l'a pris, le Port-Calédonia. C'est là qu'il l'a saisi, pour ne pas le laisser échapper, cette fois.
_ "Une vague encore plus monstrueuse que les autres, bavant l'écume, crachant la rage vers le ciel, accourant du pôle sud ... Une vague ... Mais peut-on encore appeler ça une vague? Il en vient quelquefois, des furies comme ça ... Nos maris, nos gars les ont aperçues ... Bien rares sont ceux qui sont revenus pour le dire ... Il est même possible qu'il n'y ait pas eu de vent, ce jour-là. L'océan semble plat, calme. Il respire profondément, on dirait qu'il dort. Et puis ça vous vient dessus sans prévenir. La vigie a juste le temps d'ouvrir la bouche, pas le temps d'articuler un cri, un avertissement ...
*
_ "La vague les a saisis là, ceux du Port-Calédonia ...Elle a pris le bateau sur son dos. Elle a couru, couru ...Que c'est rien de le dire ! Et qu'en a -t-elle fait, je vous le demande? _ Elle a traversé l'Atlantique le temps d'un respire, d'un seul élan ... Le Cornu était dedans!
_"Elle a jeté le bateau sur le rocher d'Antioche ... Loin, tout ça ? _ Que sont les milles marins pour le Diable ? ... Et comme il n'était pas complètement brisé, comme les marins n'étaient pas encore noyés, Le Diable ... Eh ! Il fallait bien que je finisse pas le nommer!
"Le Diable s'est acharné ... Il a fait souffler tous les vents, tonner tous les orages, courir tous les rouleaux dans les brisants ... Il a tout secoué jusqu'à ce qu'il n'y ait plus un vivant. Alors il a repris le navire, d'un seul coup ... Il l'a remporté. Vous n'avez pas entendu parler de ces bateaux qui errent dans les étendues, démâtés, coques crevées ... Ces bateaux-fantômes ... Parfois on les aperçoit dans les brumes ... On dirait qu'ils volent. Ils passent, et on ne les approche jamais ... Voilà comment le Port-Calédonia a disparu, mes amis ... Et voilà pourquoi il est apparu tout d'un coup, au moment où l'on entendait hurler le chien du bord, malgré la tempête ... Voilà pour quoi il a disparu d'un seul coup, sans que peronne ne puisse en retrouver la trace : Pensez ... Quelques vieux sacs vides, des cadavres, dont celui du chien, une vergue de dix-huit mètres ! Et les photos ... Les photos des fiancées, retrouvées avec des marques de dents !
_ "Vingt trois corps ont été enterrés dans le cimetière de Saint-Denis, vingt trois, dans la même tombe ... Le Pasteur est venu, le Consul de Finlande aussi ... Il venait de La Rochelle. Il s'appelait Monsieur Érich Morch. Le service funèbre a eu lieu le douze décembre ... On n'avait pas encore retrouvé tous les corps.
*
_ "Elle vous paraît bizarre, ma façon de raconter les choses ? Les ports et les côtes n'en manquent pas, pourtant, des histoires de ce genre et il faut bien y croire ... Comment comprendre ? ...Et si vous ne croyez pas à ces histoires, à quoi pouvez-vous bien croire ? Je vous le dis, c'est lui, c'est le Cornu ... Je voudrais ne pas l'avoir nommé du tout ... Je l'entends souffler la nuit, du côté de Chassiron, quand je vais faire la cueillette des simples ... Ah ! Il m'aura bien un jour, tout comme Il nous aura tous! ... D'où viendra-t-Il ? Comment viendra-t-Il ? Il sort, les nuits d'ouragan comme celle-là. Il sort du feu de ses volcans ...
_ "Les marins du Port-Calédonia en ont aperçu, des volcans, tout au long de la Cordillère du Chili ! Le Malin sort des flammes de la Terre-de-Feu. Il sort de je-ne-sais-où ... Mais il vient jusque là, songez-y : Est-ce que la terre n'a jamais tremblé ici ?"
*
Il y eut un bruit sec : Le verre de la lampe avait claqué. Au-dehors, un éclair avait dû zébrer le ciel : On avait perçu sa clarté entre les fentes des planches. Aline alla chercher une chandelle. Au loin, entre les roulements de l'orage et les sifflements du vent, il semblait bien que l'on entendît un chien hurler ... Un chien !
La Mélie remettait son fichu, une charrette passait, tardive ... On entendait crisser les bandages de fer de ses roues, on entendait gémir les moyeux, on entendit un cheval hennir longuement ...
_ " Allez, je vais rentrer chez moi. Je n'ai pas loin à aller."
C'est moi qui lui ai ouvert la porte, et le carillon tinta de nouveau. Je l'entrebâillai juste ce qu'il faut, puis je m'arqueboutai pour refermer le battant.
_ " Soir, Aline. On s'en va aussi. Tiens, verse-nous le dernier coup de blanc ...
_ " Eh bien Monsieur, c'est dur à dire ... Mais la Mélie ... On ne l'a jamais revue. On a retrouvé une de ses chaussures... On les connaissait bien ses chaussures, toutes déformées ... Il n'y avait pas de doute possible ... On a retrouvé une de ses chaussures et son fichu noir, celui qu'elle mettait sur sa tête. Vous savez où on les a retrouvés ? ... Et c'est le Petit-Sifflet qui les a retrouvés, roulés dans les varechs, à la laisse de marée basse ... Là où la plupart des corps s'échouent après chaque naufrage : Il allait aux palourdes.
C'était il y a quelques années et depuis ... Depuis, Monsieur ... Tous les ans, le deux décembre, dans la nuit, on entend le vent et on entend un chien qui hurle à la mort. Et savez-vous encore ?
... "Quelques jours plus tard, de l'autre côté, à Sainte-Marie, dans l'île de Ré, un promeneur trouve une photographie sur la plage, une photographie un peu jaunie mais intacte ou presque ... Elle représente un beau gars aux cheveux blonds ... Et il y a sur la photo des traces ... Comme des traces de dents ... Comme si elle avait été serrée entre des dents ... Allez donc comprendre !
" Et savez-vous, Monsieur ? ... On avait entendu passer une charrette tirée par un cheval. Nous l'avons tous entendue, quand la Mélie a eu fini de parler ... Eh bien ... A Saint-Denis, à cette époque-là, il n'y avait plus un seul cheval depuis déjà longtemps ! "
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