mercredi 31 décembre 2014

N'OUBLIONS PAS SAINT PIERRE











1902











L’angoisse ne s’était pas encore infiltrée

Dans les artères de la ville

Nous n’avions pas encore appris la peur

Le volcan avait prévenu pourtant








Il eut fallu savoir lire

Savoir lire dans cet alphabet oublié

Savoir lire les racines de feu gonflées

Les plumetis de cendres

La déroute des serpents

Savoir lire aux veines des ruisseaux

Les accélérations

Les changements de couleurs








On ne nous avait pas appris la méfiance

Maman Rosa partit chercher son pain

Comme chaque matin

Coiffée de son madras

Son panier à la main

Quelques-uns étaient montés voir

Ce qui se passait là-haut

L’Etang-Sec était plein d’eau rouge

En son milieu un cône noir

Crachait des fumées

Paisiblement

Mon Dieu mon Dieu

Que l’océan sait être bleu

Les voiliers en attente

Dodelinaient

Il eût fallu

Savoir lire les battements d’ailes du coq

Qui ne savait plus quoi chanter










C’était à huit heures du matin

Huit heures et deux minutes très exactement

A la cathédrale de la ville

Le bronze a fondu

Les carillons se sont tus

Nul ne saura jamais leur plainte

ni leur cri









Là où ton pied se pose prends garde

Tu marches sur la cendre des os brûlés

Murs noircis

Sans toits

Sans poutres et sans chevrons










C’était à huit heures du matin

Huit heures et deux minutes très exactement

Les amours se sont étranglées

Dans un monstrueux orage

C’était à huit heures et deux minutes très exactement

Et le verre a fondu









La ville a flambé

La rivière a bouillonné

C’était à huit heures et deux minutes très exactement

Le huit mai mille neuf cent deux

Et la terre tremblait










La rue Monte-au-Ciel s’est fendue

La nuée a dévalé

Les barriques ont éclaté

Dans les rhumeries et sur les quais

Noirs cumulus roulant se déroulant

Explosions de colères rouges et jaunes











Plages noires

L’océan seul vivant encore

Recouvre des carcasses de navires

morts










C’était à huit heures du matin

Huit heures et deux minutes très exactement

Un dimanche du mois de mai

Un jour de premières communions

Encens

Brassards et mousselines blanches










C’était à huit heures du matin

Huit heures et deux minutes très exactement

Le huit mai mille neuf cent deux

À huit heures et deux minutes très exactement

Et les mots à jamais se sont tus



















Texte original de Michel Savatier

mardi 30 décembre 2014

JE VOUS OFFRE VENISE ...






LA SÉRÉNISSIME





















Venise ...
Oui, Venise ...
Venise quand même !
En dépit des escadrons de touristes dociles
Parlant Chinois ou Japonais
Parlant Russe ou bien Allemand
Et les guides élèvent de petits drapeaux
Des ombrelles ou des mouchoirs
Suivez-moi à mon panache blanc !



















                                                        San Giorgio



Venise quand même
Bien que les zombies se serrent dans le vaporetto
Tout comme à Paris dans le métro du soir
Venise quand même
Malgré les foules qui se pressent sur la place Saint Marc
Photo !
Il y a toujours des pigeons et quelqu’un pour les nourrir
Sous les ponts, les gondoliers sont crânes et gais
Même si la promenade est hors de prix



















                                          Pont du Rialto





Venise quand même
Bien que dans chaque ruelle
se vendent à la sauvette des articles contrefaits
Venise quand même
Et toutes ses boutiques de luxe
Tous ses pas-de-portes de perles et de verroteries
Venise quand même
Ses restaurants attrape gogos
Ses moustiques et ses odeurs de moisi


















                                               Le palais des Doges




Venise !
Oui, Venise, ses palais, ses chapelles
Ses églises
Et ses cathédrales
Ses campaniles, ses dômes
Ses canaux et ses venelles
Venise, ses façades de marbre
Venise et ses toits de tuiles
Ses paquebots au coeur de la ville




    
                                        Le Pont des Soupirs




Oui, Venise
Du haut de la tour San Giorgio
La lagune et ses îles
Ses ponts et ses quais
Sa lumière
Venise à nulle autre semblable
Venise d’aujourd’hui et Venise historique
Venise des images, des sculptures et des noms
Titien, Véronèse, Tintoret, Bellini et les autres












Oui, Venise ...
Venise de Chateaubriand et de Byron
Thomas Mann, Proust et Musset
Venise des doges et des ambassades d’orient
Venise et le Bucentaure
La chimère du lion ailé
Venise des soieries somptueuses et des bannières
Des festivals et des carnavals
















Mais Venise morte quand tombe le soir
Ville vide
Dont les rues s’emplissent trop vite le matin
Et les guides élèvent bien haut de petits drapeaux
Des ombrelles ou des mouchoirs
Suivez-moi à mon panache blanc !






















                                       Texte original de Michel Savatier