FORTES TÊTES !
Henri Rochefort, journaliste polémiste
La
dernière fois que je suis allé au fort Boyard, ce devait être aux alentours de
l’année 1950. Il appartenait encore à la Marine Nationale, mais il avait été
complètement pillé : Quelques morceaux de planches traînées par-ci
par-là Quelques restes métalliques
non identifiables … Plus de portes, plus de fenêtres. La bâtisse, pendant la
guerre qui venait de finir ; avait été prise pour cible d’entraînement par
les canonniers allemands, mais les murs n’avaient pas trop souffert.
Fort Boyard - État actuel
Dans
la cour ovale, parsemée de fientes d’oiseaux, du persil poussait … Il poussait
là depuis longtemps puisque mon père nous racontait qu’il en ramassait déjà en
1938 !
Parfaite
désolation, donc … Et les orbites crevées des meurtrières ne laissaient voir
que le bleu pâle de l’Océan et le bleu encore plus pâle d’un ciel de septembre.
Ayant
escaladé les marches de pierre, j’accède au dernier niveau et me voilà debout
en plein air. Des cris retentissent de tous côtés à cet instant : Des
oiseaux qui me semblent innombrables, hargneux, certains noirs, d’autres
blancs, gris … Ils giclent et virevoltent … Ils me paraissent énormes. Goélands,
cormorans, mouettes, sternes ou labbes … Hérons cendrés … Ce sont les habitants
des lieux. Ils me témoignent leur adversité.
Hérons
cendrés ? – L’un d’eux est manifestement en détresse : Il se traîne
sur les pierres, ses grandes ailes battent le sol, il allonge le cou et le
bec : L’une de ses pattes est brisée : Elle se redresse avec un angle
étrange … Je me penche pour saisir l’oiseau … Mon frère, qui est resté à bord
du bateau puisque le quai d’accostage n’existe plus, me crie :
« Attention à tes yeux ! » …
Au
même instant le bec me frappe à la pommette ! … Chance : Mon œil n’y
eut pas résisté. Je cale le héron sous mon bras. Il ne résiste pas très
longtemps … Il doit être épuisé : Depuis combien de temps est-il là,
traînant la patte, incapable de s’envoler ?
J’emporterai
le héron jusque chez le vétérinaire … Il refusera de le soigner … Je le
déposerai près d’un bassin du square Para, à Rochefort, à côté de la place
« Pique-mouche », ainsi dénommée parce que c’est là que se trouvaient
les écuries … Mon héron … Qu’est-il devenu ?
Je
l’ai dit : Ce fut la dernière fois que j’allai au fort Boyard … Il fut
vendu à un Belge … Qui le revendit à un producteur de spectacles télévisés … Le
Conseil Général de la Charente Maritime l’acheta ensuite, le répara sommairement
et … Le concéda à l’organisateur de spectacles.
Personnellement,
je n’apprécie pas beaucoup ce genre de spectacles, Mais, bon … Il faut de tout
pour chaque public : Le fort Boyard, grâce à ces émissions, devint la
vedette de cettecôte atlantique … Tous les gens qui arrivent de l’autre bout du
monde demandent à voir le fort Boyard : Mes amis venant de Tahiti me
demandaient dès leur arrivée : - « Où est-il ? »
Conçu dès l’époque du Roi –
Soleil, achevé seulement sous Napoléon III … Conçu pour protéger le port de
Rochefort et empêcher les flottes anglaises de pénétrer en Charente, Le fort
Boyard, lors de son achèvement, était devenu parfaitement inutile : Nous
n’étions plus en guerre contre l’Angleterre et, de toute façon, les canons
modernes avaient acquis une portée telle qu’ils pouvaient parfaitement tirer à
partir d’Oléron ou de l’île d’Aix !
Seule la télévision lui trouva
une utilité !
Mais il fut un temps où son
utilité présumée était d’une autre nature : Il y eut une garnison au fort
Boyard : Ludovic Savatier, mon arrière grand-père en fut le médecin à sa
sortie de l’école de Santé Navale de Rochefort … Je crois qu’il fut plus occupé
par le choléra qui sévissait à ce moment en Oléron que par toute autre chose.
Louise Michel, anarchiste
1870 …. Sedan … Chute de Napoléon
III … Révoltes des Communards … Luttes des Versaillais … Henri Rochefort,
polémiste assez trouble … Louise Michel, institutrice anarchiste …
Condamnations … Incarcérations en « forteresses » … Louise Michel et
Henri Rochefort arrivent au fort Boyard … Rochefort quittera son cachot pour
celui de la citadelle du Château d’Oléron. Il sera transféré à la citadelle de
Saint Martin de Ré … Il sera rejoint par Louise Michel qui embarquera avec lui
sur un bateau qui les conduira jusqu’en Nouvelle-Calédonie … D’où ils
s’évaderont avec trois autres compagnons, seuls prisonniers ayant jamais réussi
à s’évader du bagne de ce territoire … Mais ce serait une autre histoire !
… Que pourra peut-être vous raconter un jour le Père Fouras ! …
Vous ne vous souvenez plus
d’Henri Rochefort, ni de Louise Michel ? L’un aurait pu devenir Président
de la République et le cercueil de l‘autre fut suivi par des milliers de
Parisiens …
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