samedi 27 décembre 2014

ON A PERDU SAINT ANTOINE DE PADOUE !





SEYCHELLES







Où EST PASSÉ SAINT ANTOINE DE

                       PADOUE ?






Eh bien ça alors, pour une histoire, cela a fait toute une histoire dans le pays !


Il faut dire, Monsieur ... Ici comme ailleurs, quand on a perdu quelque chose, c'est à Saint Antoine de Padoue que l'on va adresser ses prières ... Pouvez-vous seulement me dire pourquoi ?
Dans le monde entier c'est ainsi. Il y a certainement une raison pour cela .


Dans notre église, Saint Antoine de Padoue a sa statue. Une belle statue ma foi. Qui fait bien plus d'un mètre de hauteur. Elle se trouve à droite de l'autel ... Vous n'êtes jamais entré dans notre église ? Celle de la paroisse de l'Assomption ... Ne manquez pas d'y entrer lorsque vous viendrez chez nous. En débarquant du bateau, au petit port, vous prenez le chemin qui est sur votre droite. Vous ne pouvez pas vous tromper : L'île n'est pas si grande ... Comment voudriez-vous vous perdre ?








Dans le bateau qui vous amènera de l'île voisine, il y aura certainement des touristes, ( une demi-heure de traversée ) Les touristes monteront sans doute dans les chars à boeufs ... Eh oui ! C'est avec des chars à boeufs que l'on se déplace, chez nous, ou bien on peut louer une bicyclette. Les automobiles sont interdites.

-" Doucement, doucement ... Dans une charrette ... ou bien à bicyclette ..."

Dans cette île, on se déplace doucement.

"Sous les cocotiers et les takémakas ..." C'est la chanson qui le dit, et le chanteur s'accompagne à la guitare. Mais vous pouvez aussi bien vous déplacer à pied. Il n'y a jamais bien loin à aller.


L'église se trouve du côté gauche, quand vous avez dépassé l'école. Elle est peinte en jaune et porte une inscription en blanc au-dessus du portail : -" MAISON DE DIEU "








Entrez-y le matin, lorsque les premiers rayons du soleil la caressent à l'est : Les vitraux sont splendides à ce moment-là. Vous admirerez l'autel, tout en bois précieux, travaillé de balustres et de colonnettes. Aux arrondis, la lumière joue sur les vernis. C'est une impression de grande douceur et de grande paix. Asseyez-vous sur l'un des bancs des travées, alors que la fournaise embrase le chemin à l'extérieur. C'est une étape de fraîcheur et de recueillement.

Prenez le temps : Dans notre île, on vit "doucement ... doucement ".


Tout est propre, dans notre église, tout est doux. C'est Paulette qui entretient l'église. Vous la rencontrez sans doute et , sans doute sera-t-elle en train de disposer des fleurs dans les vases, au pied de l'autel : Des bougainvillées, des hibiscus, et probablement quelques uns de ces grands lys qui poussent dans tous les jardins, et dont les fleurs s'ornent de violet. Eh bien, justement ... C'est à cause de Paulette que toute cette histoire a commencé ... Et pourtant, Dieu sait si Paulette est pieuse et dévouée ! ... C'est la femme du boulanger ... Si, Si, chez nous, il y a un boulanger ... Vous le trouverez bien, dans sa boutique !


Mais Paulette, c'est à l'église que vous la rencontrerez : Elle y passe les trois quarts de son temps. Parfois avec un "balai-zig", elle entretient les abords du portail. Parfois, avec un " balai-fatak ", beaucoup plus souple, elle balaie le sol de l'église. Si elle n'est ni en train d'arranger les fleurs, ni en train de balayer, elle sera sans doute occupée à faire briller les boiseries, ou bien à passer un chiffon doux, soigneusement, soigneusement, sur une statue ou sur une autre : Alors vous la trouverez perchée sur un escabeau.


Ah les statues ! Ah Paulette ! ... C'est à propos de la statue de Saint Antoine de Padoue, que toute cette histoire a commencé. On a bien fini par en rire, mais on avait commencé par avoir bien peur ...







A droite de l'autel, donc, c'est là qu'elle se trouve, cette statue. Peut-être y verrez-vous prier quelqu'un ou bien quelqu'un y aura-t-il déposé une fleur ;.. L'ancien Abbé disait qu'il fallait prier Saint Antoine quand on avait perdu quelque chose. C'est peut-être pour retrouver une clef perdue que cette femme prie ? Ou encore pour un collier égaré ? Ou pour un billet, que le fils a perdu et qui aurait été bien nécessaire pour acheter le riz à la boutique ..;
L'Abbé que nous avons maintenant, il est là depuis cinq ans. C'est un Breton : -" Priez, priez toujours ... devant Saint Antoine ou devant la Vierge Marie, c'est toujours le Bon Dieu que vous priez ! ! Alors, pourquoi le Bon Dieu ne vous ferait-il pas retrouver ce que vous avez égaré ? "


Mais Paulette ... Que vient faire Paulette, dans toute cette histoire ?


_" J'y arrive. J'y arrive. Ne soyez pas impatient : -" Doucement, doucement. "

-"Eh bien, Paulette ? Vous l'avez vue, Paulette, vous ?- Je ne sais pas quel âge on pourrait bien lui donner ... Cinquante cinq ? Soixante ? Qui me disait soixante dix ? Je ne sais pas. Je ne sais pas ! Elle est toujours vêtue de blanc, tout de blanc ... aussi blanc que la farine de son boulanger de mari ! Car, vous vous en souvenez, Paulette, c'est la femme du boulanger ... Elle a un merveilleux sourire, et le visage luisant de bonté ! Qu'importe son âge, elle se tient droite comme un i ...

Cela fait, cela fait je ne sais pas combien de temps qu'elle entretient notre église, tous les jours. Je suppose qu'elle fait cela pour le rachat de son âme et le rachat de l'âme de tous les siens ... Eh bien voilà ... J'y arrive ! "










La première fois, c'était un samedi, un samedi soir, à l'heure du rosaire. Arrive une première paroissienne, puis une seconde, et puis les enfants ... Et puis tout un monde, en robes à volants, grands chapeaux et souliers vernis ... Chacun a trempé le bout de ses doigts dans l'eau du bénitier ... Celui qui se trouve à droite de l'entrée, ou bien celui qui se trouve à gauche ... Et tous les deux sont d'énormes coquillages.



On s'agenouille, tête baissée, et l'on prie. Et puis le prêtre arrive, en surplis blanc à croix rouge incarnat. On relève la tête dès que l'enfant de choeur agite sa sonnette et ... Je ne sais pas quel est le premier qui s'en aperçut ...

Un murmure a couru dans les travées des bancs ...

-" Saint Antoine, Saint Antoine ! "

-" Saint Antoine ? Eh bien quoi, Saint Antoine ? "

Le prêtre faisait face aux fidèles. Il tournait donc le dos à Saint Antoine, lui ... Il ne pouvait rien voir. Il arrête sa lecture un instant. Il relève le nez de son missel : Quel était donc ce chuchotement dans les travées ? Comme cela ne finissait pas, le prêtre regarde ses ouailles, d'habitude si recueillies et si disciplinées ... Même Marie-Thérèse qui chuchote et qui pousse du coude sa voisine Marguerite. Et pourtant, Marie-Thérèse ! - Rendez-vous compte, la responsable de la chorale !

-" Eh bien quoi, Saint Antoine ? "

L'abbé se retourne : il reste muet, la bouche ouverte ... Saint Antoine, aujourd'hui, tourne le dos ! On lui a mis le nez au mur ... comme à un gamin en pénitence ! Paulette, probablement, aura oublié de retourner la statue dans le bon sens après lui avoir dépoussiéré le dos ...

- " Prions, mes frères ..."

Et le chant débute. - Ce n'était pas bien grave ! ... La prière terminée, Saint Antoine effectua un demi-tour et adopta une attitude plus convenable ... On n'en parlerait plus et, par charité chrétienne, on s'abstiendrait de faire un reproche à Paulette et même de la questionner. - Allez donc faire un reproche à une femme si dévouée ! - N'en parlons plus, n'en parlons plus !


Ah bien oui, n'en parlons plus ! ... C'est que, le lendemain ... Qui était un dimanche,(bien sûr, puisque c'était le lendemain d'un samedi ) Quand on entra dans l'église, à l'heure de la messe ... Et je crois bien que c'est Marie-Thérèse qui était entrée la première, Marie-Thérèse, la directrice de la chorale ... Quand Marie-Thérèse entra, Paulette était déjà là, bien sûr, affairée, disposant les missels sur les chaises ...

-" Mais .... Saint Antoine ! "

- " Eh bien quoi, Saint Antoine ? "

Eh bien, Saint Antoine avait encore le nez contre le mur, comme si on l'avait mis en punition et c'était son dos qu'il montrait aux fidèles, son dos revêtu de la soutane brune ...

Ah ! Saint Antoine ! Et sur sa nuque, on voyait la tonsure qui luisait ...







On se tourna vers Paulette. Paulette avait disparu. Elle était introuvable ... Mais où était donc partie Paulette ? C'était bien la première fois qu'elle désertait l'église au moment de l'office ! Elle était pourtant là tout à l'heure, distribuant les missels au moment où Marie-Thérèse faisait son entrée ...

Bon, il n'y avait pas de quoi faire toute une histoire. Quelqu'un grimpe sur l'escabeau. Saint Antoine fait demi-tour, et tout est en place avant l'arrivée de Monsieur l'Abbé. La messe commence.

- " Tiens, mais elle est là, Paulette !, à sa place habituelle, au tout premier rang. Elle est là, la femme du boulanger ! On se pousse du coude un peu, on chuchote, mais Paulette est tout entière plongée dans la prière, le nez dans son missel ...
Chantez, fidèles !

La messe se dit ... Toutefois, Paulette n'a pas communié ... Quelqu'un s'en est-il aperçu ? _ L'abbé s'en est forcément aperçu, il n'a pas pu faire autrement que de s'en apercevoir ..;

- " Allez, la messe est dite ! "

Encore un cantique à chanter, et puis ... Tous les regards se tournent vers Paulette. La place est vide ! Paulette est partie !

- " Tiens, tiens, ce n'est pas dans ses habitudes ! "

Bon, ce n'est pas dans ses habitudes, c'est vrai, mais i n'est pas non plus dans ses habitudes de sauter dans le bateau et de se rendre à Victoria ... C'est pourtant ce qu'elle fait dès le lundi matin ... Et elle ne reviendra que le samedi suivant ...



- " Compère boulanger, mon bougre ... Elle est donc partie, la Paulette ? "

      Le boulanger, on n'en tirera pas un mot mais, après tout, on n'avait pas à se montrer curieux ! Arrive le samedi : C'est alors une toute autre histoire !








À l'heure de la prière, Saint Antoine de Padoue ... Figurez-vous, il n'est pas en pénitence cette fois-ci, le dos au mur ... Il a disparu tout à fait. Sa place est vide !


Vous parlez d'une affaire !

On cherche Paulette : Elle n'est pas à la prière. On se rend à la boulangerie. Ce bougre de boulanger répond que sa femme a les fièvres, qu'elle dort. On ne peut pas la déranger ... Et vous savez, le boulanger, il ne faut pas trop l'indisposer : Le sang lui monte vite à la tête ! _ On repart donc chacun chez soi, mais les langues vont bon train ...


Vient le dimanche. Personne encore n'a revu Paulette. Mais, à l'heure de la messe, personne ne voit Saint Antoine non plus !

- Pas de saint Antoine, la place est toujours vide ! Le prêtre, cependant, dit la messe, avec ou sans Saint Antoine, il faut bien que la messe soit dite ... Mais dès qu'elle sera finie, il faudra bien aussi que l'on sache à quoi s'en tenir !

-"Ah, bien oui !, on allait voir ...Ce qu'on allait voir !"

Tous les fidèles, petits ou grands, grand'méres et grands-pères, même le Curé ... Tout le monde se retrouve devant la boulangerie;


-" la Paulette ? - Elle est toujours au lit."

Tout à coup on entend un cri :

-"Regardez, regardez ce que j'ai trouvé ! "







C'est Marie-Thérèse qui a poussé ce cri. Pendant que personne ne faisait attention à elle, elle rôdait dans l'arrière-boutique du boulanger. Elle est passée dans le fournil. Mine de rien, et sans que personne ne s'en aperçoive ...

-"Ah ! Bien ça, alors !"

-Il était là, le Saint Antoine, Saint Antoine de Padoue ... tout enfariné comme un grand pain. Il était là, dans le coffre à farine du boulanger ... tout allongé dans la farine !

-"Ah, bien ça alors !"

On vous le sort de là en le prenant dans les bras comme un grand blessé et on le remporte à l'église, à sa place, à droite de l'autel.


À midi juste ... Regardez la statue à midi juste : un rayon de lumière traverse le vitrail du fond de l'abside, celui qui es bleu. Ce rayon de lumière vient caresser la joue de Saint Antoine. Il éclaire son oreille droite. Oh, il ne l'éclaire pas longtemps ... Regardez bien. Le soleil va tourner ! Voyez-vous, là, juste dans le creux de l'oreille ... Il reste de la farine encore un peu.

-"Mais ? "

-" Eh oui, bien sûr, c'était Paulette, tout le monde l'avait deviné ! Mais que voulez-vous ? Pouvait-on lui en vouloir ? Elle avait commencé, cette histoire, bien doucement, bien gentiment ... Comme elle avait perdu sa poule, sa poule noire, celle qui pondait un oeuf chaque matin, régulièrement ... Comme elle avait perdu sa poule noire, elle était venue prier le grand Saint Antoine, bien gentiment. Et puis, comme elle ne retrouvait toujours pas sa poule, elle lui avait offert des fleurs, à Saint Antoine, et je crois bien qu'elle lui avait même allumé une bougie "...


-" Vous croyez que c'était bien, de la part de saint Antoine, de ne pas lui rendre sa poule, à Paulette ? À elle qui venait tous les jours entretenir l'église ... À elle qui ne manquait jamais ... et Dieu m'est témoin du grand danger qu'elle courait ... Vous croyez que c'était bien, alors que Paulette montait sur un escabeau pour lui essuyer le crâne, à Saint Antoine, là où il y a la tonsure et où il n'y a pas de cheveux ...

Pourquoi ce grand saint ... alors que ça lui était si facile ... ! Et puis, c'est son travail, après tout ! Peut-être bien que Saint Antoine a réfléchi, et peut-être bien qu'il est là, le miracle : C'est que Marie-Thérèse ait soulevé le couvercle du coffre à farine. Et qu'on l'ait retrouvé, Saint Antoine ! Depuis, il n'a plus bougé de sa place, à droite de l'autel en bois verni. Et on le prie toujours, à chaque fois que l'on a égaré quelque chose. Certains disent que la leçon lui a été profitable et que, depuis, les prières sont exaucées beaucoup plus vite !

En tout cas, Marie-Thérèse avait à peine soulevé le couvercle du coffre à farine, Saint Antoine avait à peine retrouvé sa place, que la poule de Paulette était revenue ! Vous pouvez y aller voir : tous les matins, à huit heures précises, elle a pondu son oeuf et elle se perche sur le toit pour caqueter. Elle caquette presque autant que les vieilles femmes ... et souvent les plus jeunes aussi ! Et les garçons, alors !

Quelqu'un à qui j'avais raconté mon histoire m'a dit qu'il fallait la situer à La Digue, et que c'était de l'église de La Digue qu'il était question ...







-Peut-être bien que non, peut-être bien que oui ...

-" Doucement, doucement ... Avec nos charrettes et nos bicyclettes, sous les cocotiers et sous les takémakas ...


- Mais, si ce n'était pas à La Digue, ( ça pourrait l'être, non ? ) Il suffit de l'imaginer ... Pourquoi pas ?

En tout cas, regardez dans la "Maison de Dieu", à droite de l'autel : Saint Antoine est là. Je ne sais pas si vous verrez encore les traces de farine, derrière son oreille droite ... Regardez bien !


Connaissez-vous l'île de La Digue ?

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