jeudi 30 juin 2016

AH ! LA VASQUE AUX EAUX CLAIRES !







Ah ! La vasque aux

   eaux claires !













Lame d’un sabre chauffée à blanc aux braises de la forge du soleil
Rose de gypse, éclose dans les sables
De ses antennes tactiles une fourmi tâte la lèvre d’une fissure
ouverte dans le sol craquelé

Crâne d’un chameau
Couleuvre de vertèbres blanches
Monde sec
sans ombre

Je suis né dans un double cri
Soif
L’âme comme la terre cuite
est avide d’eau







Soif de vie
Soif de savoir

de sensations
Soif d’espace
De temps
Soif d’amour donné et reçu
D’absolu

Chemin pierreux
Rivière tarie
Arbres fossiles
Mais toujours l’espoir de la fontaine ou du puits
Ah ! La vasque aux eaux claires !




AS-TU, PARFOIS...








As-tu parfois …

















As-tu parfois posé un doigt là où l’on sent
Battre la vie
La vie qui passe

La vie

As-tu entendu couler
Doucement
Couler l’eau ?




mercredi 29 juin 2016

CAR IL Y A UN CHIEN, SUR L'ÎLE ....







Car il y a un chien,

       sur l’île …















                   Des atolls, il y en a qui sont tout petits. Vus d’avion, on dirait qu’un ange a laissé tomber une alliance sur l’eau. L’île Maria, quand on va vers l’archipel des Gambier, est un anneau parfait. Son lagon est versicolore.

De temps à autre la goélette mouille son ancre près de chaque atoll pour embarquer la récolte de coprah. Si l’océan est trop profond pour qu’on puisse y mouiller une ancre, le bateau fait des ronds dans l’eau pendant que les chaloupes font le va et vient. Mais sur ces petits atolls, il n’y a pas de résidents permanents. On n’y vient que pour la récolte.






                L’atoll dont je vais vous parler est tout petit, mais il est habité toute l’année et ceci depuis longtemps. Il y a eu deux familles, installées ici depuis des lustres et des lustres. L’une demeurait à l’extrémité sud de l’atoll, l’autre à l’extrémité nord. Je ne connais pas l’histoire de ces deux familles, toujours est-il que le temps a passé ... Il ne reste plus, au sud, qu’une vieille seule, bien vieille. Au nord, il ne reste plus qu’un vieillard, bien vieux.

Il faudrait connaître leur histoire pour savoir pourquoi ils sont fâchés : Ils ne se parlent plus, ils ne se voient plus, ils ne se rencontrent plus ... Et ce n’est pas facile sur un atoll si petit ... Il faut y mettre du sien!

Bien entendu, sur l’île, il n’y a pas d’eau, pas plus que sur toutes les îles ... Il y a une ancienne citerne en béton, que les hommes de La Légion Étrangère ont construite il y a longtemps ... Du temps où les deux familles n’hésitaient pas à se rencontrer. Cette citerne collecte les eaux de pluie, qui ruissellent sur son toit de tôles. Il manque d’ailleurs des tôles : Elles ont rouillé et puis le vent les a plus ou moins arrachées, un jour où le vent d’un cyclone a soufflé.














              Le vieux, la vieille, vont jusqu’à la citerne, quand ils ne peuvent pas faire autrement. Mais alors, qu’il s’agisse du vieux, qu’il s’agisse de la vieille, on emmène le chien avec soi. Car il y a un chien sur l’île. Un grand diable de chien efflanqué. C’est le seul qui n’a pas été mangé.
 Il n’a pas été mangé parce qu’il rend des services : Quand on va jusqu’à la citerne, on emmène le chien. Il fréquente indifféremment l’un et l’autre des habitants et , semble-t-il, il n’a rien à faire de leurs vieilles querelles. Mais quand on va à la citerne ... Si “l’autre”y est déjà, le chien se met à japper. On sait alors que ce n’est pas le moment d’y aller !

Quant à sa nourriture ... Quand il ne pêche pas assez de poissons sur le récif, ( car les chiens savent pêcher!) il fait le chemin entre le nord et le sud, le chemin qui est sa trace et n’est rien d’autre que sa trace. C’est lui qui assure la seule liaison entre la vieille et le vieux !

Et cela fait des années que cela dure ! Ne me demandez pas le nom de ce petit atoll, je l’ai oublié. Je le regrette.
Les deux vieillards sont-ils toujours là ?  ...   Et le chien ?



lundi 27 juin 2016

LA FLEUR DE LOTUS ...







C’est là que le lotus

         fleurit







Rouge l'eau de la mare

morte

Noirs les naseaux du buffle

Mais c'est là que le lotus fleurit





SEYCHELLES - UNE HISTOIRE D'OUTRE TOMBE.





Elle était belle,

Monsieur, très,très

belle !













-“Ah ! Monsieur ! J’en ai encore des sueurs !”

Le conteur était assis dans sa voiture, toutes portes ouvertes, dans un coin ombragé de la place qui, partout ailleurs, était écrasée de soleil. C’est l’heure où les passants se font rares, l’heure à laquelle les chauffeurs de taxis font la sieste.

Pour parler, celui-ci prenait son temps. Il ne se faisait pas prier pourtant. Sa parole était lente, mais sa phrase était sans hésitations ni ruptures. On avait un peu l’impression qu’il lavait sa langue entre ses lèvres. Ses mains étaient serrées sur le volant, côte à côte. Ses tempes perlaient un peu.

Je vais vous raconter l’histoire qu’il m’a rapportée. Il y manquera le sel de la langue créole, et sa mélodie inimitable.












-”Ce n’est pas une histoire “d’homme de bois”, Monsieur. C’est une histoire vraie. Elle m’est arrivée, à moi, il n’y a pas trois mois. Comprenne qui pourra, mais c’est à moi que c’est arrivé !”


Je compris que le récit serait long. L’homme ferma les paupières. Il parlait sans presque bouger les lèvres.

-”C’était un soir, Monsieur, un soir de pleine lune. La montagne était blafarde mais claire. Chaque arbre, chaque détail se détachait avec une netteté surprenante. Pas un souffle d’air. Les roussettes grinçaient et couinaient dans les manguiers Il n’était pas tard encore...
-”Je venais juste de conduire un couple de touristes au casino de Beauvallon. Le téléphone sonne à la borne. Je décroche : Voix féminine, créole, jeune.













-”A minuit, au Katiolo, le dancing de l’Anse Faure. Je serai à la porte, à minuit très exactement. Il faudra me ramener chez moi, au Niole.
-”Le Katiolo à minuit, pourquoi pas?”
Un instant, l’homme cessa son récit. Il avait ouvert les mains. À plat, il en promenait les paumes sur le bord du volant. Les paumes, elles étaient moites un peu. Il renversa la tête. Il avait les yeux mi-clos maintenant. Il poursuivit :

-” À minuit, Monsieur ...Pourquoi pas ? Les impôts sont lourds et j’ai cinq enfants !

- ”Je fais le nécessaire pour être à l’Anse Faure à l’heure voulue. La lune est haute, toute ronde. La route est nette. Les arbres défilent, palmiers et feuillus.Je traverse un hameau désert. Deux chiens qui se poursuivent. Un chat aux yeux brillants. Je ne roule pas vite, j’ai le temps ...

- ”Pointe Larue, l’aéroport est éteint. Au portail du camp militaire, une sentinelle est à son poste. On voit luire le canon de son arme.
- ”Voici le Katiolo, un peu un en retrait du bord de la route. Tandis que ma voiture prend le virage, mes phares éclairent la boutique du boucher, peinte en rouge. La mer est juste derrière, plate, toute plate.
Au dancing, la soirée bat son plein. Les lumières clignotent, rouges, vertes, bleues. La sonorisation donne très fort : C’est l’heure de la lambada.














- ” Je roule sur les graviers, lentement, vitres ouvertes. J’arrive devant la porte. Une femme en surgit au même instant. Une seconde plus tôt, on ne voyait personne.

- ”Elle était belle, Monsieur, très, très belle ! Grande, mince, jeune ... Vingt ans peut-être ? Une antilope ! Une gazelle ! D’abord, on ne voyait que ses yeux, étincelants comme des braises. Ses cheveux étaient finement tressés et tirés en arrière.
-   
- « Elle portait une robe de mousseline blanche, Monsieur, comme une robe de mariée ! Elle s’assit à l’arrière. Elle avait de longues jambes d’ébène. Je me préparai à refermer la portière
Le récit du chauffeur de taxi s’accélère. Ses yeux maintenant, sont grands ouverts, le regard perdu au loin.














- ”J’allais donc refermer la porte. Je m’aperçois que ma passagère frissonne. Elle était très jeune, Monsieur, je vous l’ai dit. La fraîcheur avait dû la saisir au sortir de la danse. Je lui couvris les épaules avec ma veste.

Nous voilà partis pour le Niole. La route est étroite
et sinueuse, mais elle voulait arriver avant la demie. J’accélérai.

La maison est un peu à l’écart, juste avant le pont. Elle est verte, avec des balustres blancs. Elle s’accroche au rocher. La façade était bien visible, mais un petit nuage, descendu des Trois Frères la cache en partie.



On eût dit que les pièces étaient éclairées de l’intérieur. Un katiti se met à crier ... Puis l'oiseau se tût.


La jeune femme bondit, court dans l’allée. Ses pieds ne faisaient pas de bruit, comme s’ils n’avaient pas touché le sol.

Elle avait laissé sur le siège un billet enroulé : Le montant de la course.












Ici, le conteur se tut. Il se passa la langue sur les lèvres avant de reprendre, comme s’il était pressé d’en finir. Sa voix se fit plus flûtée, mais aussi plus monocorde ...

- ”Je m’aperçus tout de suite qu’elle avait oublié de me rendre ma veste. Mais je me dis que je la récupérerais le lendemain matin, en passant par là.

- ”Le lendemain, Monsieur ! Je reviens au Niole. Je frappe à la porte de la maison. Arrive une pauvre femme, vieillie avant l’âge, vêtue de noir”.


- ”Une jeune femme, dites-vous ?
La nuit dernière !”


- ”Croyez-en ce que vous voudrez, Monsieur, mais c’est à moi que c’est arrivé, à moi-même. Il y a moins de trois mois !
 Ce n’est pas une “histoire d’homme de bois !”













- ”Eh bien, Monsieur ... Il n’y avait pas de jeune fille dans cette maison. Il n’y en avait plus ! La fille de la maison, elle s’appelait Flora. Elle était morte depuis deux ans, jour pour jour, le soir de mon aventure. Jour pour jour ! Quand je l’ai ramenée chez elle, à minuit et demie, il y avait deux ans qu’elle était morte, jour pour jour, heure pour heure ! Comprenez-vous cela Monsieur ?

- ” Morte au soir de ses noces, deux ans plus tôt. Ah ! Monsieur !










- ”Le lendemain matin, je me suis rendu au cimetière de Bel-Air, tout là-haut. La tombe était bien là où on me l’avait dit, près d’un gros rocher...
Elle s’appelait bien Flora, Monsieur : C’est écrit sur la croix. Et sur la dalle, soigneusement pliée .... Il y avait ma veste, Monsieur, la veste que voilà !”







dimanche 26 juin 2016

JE SUIS PASSÉ PAR LÀ ...








J’ai attaché un brin de laine rouge

Ex Voto sur une clôture.
     
Je vous écris d'un siècle lointain
D’une autre planète
Mon langage sûrement n’est pas le vôtre
Ni les voix
Ni les mots
Ni les codes
Et je pense aux peuples évanouis
Dont nul ne comprend ce qu’ils ont écrit



                        Ex-Voto - Orisson - sur le chemin de Roncevaux.



Pourtant j’ai marché sur la piste
Et je marcherai
Sentes fangeuses
Caillouteuses
Le temps d’un soupir




Et je dirai le buisson
Le buisson des pèlerins
Épineux
Sec
J’ai noué à sa branche un brin de laine
Rouge
J’ai accompli le rite
Dont les raisons se sont perdues

Les vents se sont étouffés
Pendent mille brins
Bandelettes et rubans
Inertes


Depuis des temps très lointains
Et venus de pays inconnus
Tous les pèlerins ont ici accompli le rite
Le buisson d’épines semble un fantôme
Un épouvantail à moineaux
Mais il n’y a pas de moineaux ici
Et quand se lève le vent
C’est en vain que le buisson agite ses guenilles

Commémoration ?
Prière ?
J’ai attaché un brin de laine rouge
Que décolorera le temps longtemps

Sentes fangeuses
Caillouteuses
J’ai marché sur la piste
Et je marcherai
Le temps d’un soupir




J’ai posé ma pierre
Sur le cairn au bord du chemin
J’ai accompli le rite
Comme tout pèlerin qui passe ici
J’aurai posé une pierre sur une autre
Prière
Ou bien commémoration
Marque d’un code perdu ?


Croix sur un treillis de grillage
Deux brindilles en croix
Prières ou mémoriaux ?
Milliers de croix toutes petites
Les rites sont accomplis

Ô vous pour qui j’écris cette lettre
D’un siècle lointain
Et d’une autre planète
Le vent aura depuis longtemps arraché le buisson d’épines
Le cairn aura disparu sans aucun doute
Et les brindilles des croix




Je suis passé là
Pèlerin d’un siècle oublié