Le moulin
tourne-t-il encore ?
La seule fois où je revins au château, à l'aube, quand je m'éveillai
dans mon fossé au bord de la route, me redressant, je m'aperçus que je me
trouvais au pied de la butte du moulin. Son nom m'échappe et j'enrage de ne pas
pouvoir le retrouver. Il appartenait à Monsieur le Marquis. On y pressait les
olives.
Je ne
saurais lui attribuer un âge : Il surgissait du fond des temps. Odeur des
fruits écrasés par la meule verticale et qui tournait ... Parfum un peu acide.
Fruits écrasés et réduits en pâte violette. Les ouvriers la tassaient dans des
couffins en forme de couronnes qu'ils entassaient sur le pressoir. On entendait
grincer la roue à aubes, dans le cours du ruisseau. Les axes en bois d'olivier
sans âge tournaient, luisants, forts, indestructibles. L'huile vierge coulait.
Mille parfums ! Nous étions sortis de la durée, sortis du temps ! Le moulin
existe-t-il encore ? Le moulin tourne-t-il encore ?
Quarante-cinq ans ont passé. Les feuilles des
oliviers sont toujours argentées sur une face, vertes sur l'autre. Le vent les
agite. La terre est rouge toujours. Passent les années, se transmettent les
noms, perdurent les vignes et les arbres. Y a-t-il des perdrix encore, aux
pentes du Thoronet ? Rappellent-elles leurs pouillards ? Le faucon crécerelle
décrit-il encore des cercles au-dessus des ravins et siffle-t-il encore ?
À droite, du collège, juste à le toucher, il y avait une fabrique de tomettes. L'argile rouge, malaxée,broyée, diluée, reposait dans de grands bassins. Elle y prenait consistance, se ressuyant au soleil. Qui dira la douceur de l'argile rouge quand la main se referme ? Comme il se doit, les tomettes étaient hexagonales, cuites, lisses, mates, elles étaient empilées et rangées avant l'expédition. Splendeur de l'humble tomette, fruit du travail des hommes ! Terre devenue autre chose que de la terre, et cela, depuis la nuit des temps ! Les tomettes, les couffins de paille tressée dans lesquels on pressait les olives, les bassins, les oliviers millénaires ... Hors du temps, comme les tours du château, comme les murs de la « Grande Bastide » . Pourquoi faut-il qu'à présent, ces repères soient pour moi perdus ?
Jaz - huile sur toile.
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