LA ROCHELLE
Que dire, de La Rochelle ? –
C’est une ville dans laquelle je ne me suis jamais senti chez moi. J’y ai
habité pourtant, juste derrière les parcs, dans un quartier dit « La
Trompette », non loin d’un autre quartier qui, lui, s’appelle
« Jéricho»!
– Peut-être le malaise vient-il, justement, de
toutes ces références bibliques : La Rochelle, place forte protestante …
Richelieu et la digue qui bloqua le port, à la hauteur de la tour à bonnet
rouge qui porte le nom du cardinal … La Rochelle et les débris de ses
remparts, les deux tours qui montent la garde à l’entrée du port … La tour des
« Quatre Sergents » et ses relents de carbonarisme … La cathédrale,
massive, balourde, pompeuse … On dirait prétentieuse : Tout ce qu’il y a
de plus « Roi Soleil », sans la grâce.
« La Rochelle, Belle et Rebelle
… » Tel est le slogan adopté par la ville. Mais de quelle ville
parle-t-on là ? D’une ville boutiquière, marchande, commerçante,
besogneuse, usurière … - Rue des Merciers, rue de la Buffleterie, rue des
corderies, rue des cordouans, rue des Fuseaux, rue des Gentilshommes …
J’imagine une ville pleine d’échoppes, d’ateliers, d’éventaires. J’imagine sous
les toits les greniers pleins de sacs : On peut voir encore, en haut des
façades les crochets où se fixaient les palans. Les fenêtres sont hautes et
donnent sur les combles.
Ou bien parle-t-on d’une ville où des
ombres se cachent sous les arcades qui bordent les rues : Les ombres
vêtues de noir ou drapées dans les plis amples des capes ? Casernes de
l’arsenal, églises, couvents, et la cour des « Grolles » et la cour
du Temple … Hôtel de la Monnaie, bastion de l’Évangile, bastion Saint Nicolas,
porte Dauphine et porte Royale, et l’arc sous la tour de l’horloge, par lequel
on pénétrait dans la ville autrefois. … Rue des Dames, rue des Templiers, rue
des Augustins, rue du Temple, rue des Saintes Claires, rue Saint Louis, rue
Saint Yon, rue Saint François, rue Saint Nicolas … Imposants bâtiments de la
Chambre de Commerce : dans la cour pavée, on imagine les pas mesurés ou
pressés, feutrés le plus souvent, les bonnets carrés des scribes et des
comptables. Juste à côté, sous les arcades, la prison très austère et le palais
de justice : On imagine les robes noires et les jabots blancs. On imagine
le va et vient des avocats et des juges. Derrière l’hôtel de ville aux
airs de palais de carton, on voit encore le balcon des échevins. Les échevins,
on les voit graves, imbus de leur grandeur et fiers de tous les secrets
de la ville. On imagine les apothicaires et les alchimistes, couvant leurs
secrets.
La Rochelle est un port, c’est là
l’origine de ses richesses et de ses fiertés : Trafics en tous genres sur
les côtes d’Afrique, convois vers les Antilles et les Amériques … Mais c’est un
vieux port : comme il y a le vieux port de Marseille. Ce vieux port, avec
ses quais nus et ses fortifications, il donne son cachet à la ville : La
Rochelle, c’est son vieux port. Pourtant, il est devenu bien encombrant, ce
vieux port, aux siècles de l’automobile ! …
Par où entrer dans la ville ?
Les terrasses des cafés et des restaurants sont toutes en bordure des rues dans
lesquelles se suivent les voitures … Les consommateurs ont juste le nez à
hauteur des pots d’échappement … Un vrai plaisir !
Le vieux port … On en a fait tant de
cartes postales, tant d’aquarelles, tant de tableaux ! C’est vrai qu’il
est pittoresque, c’est vrai qu’il est beau ! J’aime les ports et j’aime
les bateaux. Sur les vieilles lithographies, on voit les grands voiliers qui
chargent et qui déchargent au bord du quai de la Grand’Rive. Des marins vont et
viennent. Des hommes roulent des tonneaux … Justement … De nos jours, les
bateaux sont des voiliers de plaisance, ils ne bougent guère, amarrés à leurs
pontons flottants. Personne ne roule plus de tonneaux. Personne ne charge
ni ne décharge … Deux ou trois vedettes, aux beaux jours, emmènent les
promeneurs … Ô ! Le mugissement de la corne de brume, par les longues
nuits d’hiver angoissées !
Il faut maintenant parler
« des » ports : Les pêcheurs ont été exilés à Chef de
Baie : On a construit pour eux des installations grandioses … qui restent
déficitaires ! Les cargos et les navires de croisières, eux, sont exilés à
La Pallice depuis le début du vingtième siècle. On ne les voit pas, mais ils remplissent
d’énormes silos à grains, ils alimentent des chenilles entières de wagons plus
ou moins rouillés qui passent dans les faubourgs, vers la Porte Royale et la
Porte Dauphine … Ils remplissent les trémies d’engrais agricoles, ils déversent
sur les quais les grumes de bois « coloniaux » .… Aux jours de
passage des paquebots, des cars prennent les touristes pour les emmener à la
ville et, dans les rues de La Rochelle, on ne parle que l’Anglais … Ces
touristes vont de boutique en boutique, s’intéressant tout particulièrement aux
parfumeries et aux bijouteries … Il y en encore quelques unes ! Je dis qu’il y en a
encore, car le commerce déserte de plus en plus le centre ville : Il faut
choisir, et le choix est difficile … Ou bien on parvient à limiter
la circulation automobile dans la ville et celle-ci deviendra vivable, ou bien
on laisse aller les choses … Mais si on limite la circulation et le
stationnement des voitures, les commerces ferment … Dans la vieille ville, on
ne trouve plus guère que des magasins de chaussures et des boutiques de
« fringues» … Allez donc contenter tout le monde !
Nous n’entendrons plus les
crieuses de sardines au retour des fileyeurs …
-« À la sans sel ! »
Le nouveau port de plaisance ? –
C’est le plus grand de la côte atlantique, c’est vrai, et j’aime beaucoup les
bateaux, mais ces garages à bateaux ! Combien de fois verrez vous un
bateau hisser les voiles ? – Quelques uns, bien sûr, mais bien peu de
bateaux qui bougent ! - Une forêt de mâts, immobiles, tristes et
nus ! Un port de plaisance n’est plus un lieu de promenade ! …
Ah ! Rendez-moi ces petits ports où les barques venaient s’échouer et où
fleurissaient les focs parmi les mâtures !
– « En voulez-vous, de mes chinchards ou de mes maquereaux ? » -
Le mousse vendait sa part de tacots et emportait quatre sous à son foyer … Il
était fier, le mousse : Il était un homme de mer !
Les parcs ? – Le parc Charruyer,
les jardins du Mail, le parc d’Orbigny, celui de Chef de Baie, celui des
Minimes … C’est vrai, il y a les parcs, ils sont superbes et vastes. Ils
occupent tout l’espace marécageux qui restait autrefois hors les murs. On peut
s’y promener et y faire son jogging matinal. Avouons cependant qu’ils ne sont
pas aussi fréquentés qu’on pourrait le croire … Aurait on peur des marginaux
qui passent la nuit sur les pelouses avec leurs chiens aussitôt les beaux
jours venus ?
Comme toutes les villes du monde, La
Rochelle s’est agrandie et, à la fin d’une journée de travail, tout le monde
prend le volant de sa voiture pour regagner sa maison dans les villages
alentour : La Jarne, la Jarrie, Lhoumeau, Esnandes, Beaulieu, Angoulins,
Saint Xandre, Saint sauveur voire Chatellaillon ou même Rochefort , l’île de Ré
…
Plus de magasins dans le centre
ville ? – Eh ! Ils sont dans la périphérie : La grande
distribution, comme partout, s’est installée hors les murs ! Pour acheter
deux écrous et trois boulons, il vous faudra prendre votre voiture et vous
rendre à Périgny ou à Beaulieu. Vous pouvez également vous y rendre en prenant
l’autobus, mais il vous faudra presque la demi journée pour faire l’aller et
retour !
Les maisons à colombages, les ruelles
étroites, les belles pierres et les hôtels particuliers des anciens armateurs
rochelais, les tours et les remparts … Ils sont en passe se retrouver dans un
espace muséal, certes rénové, protégé, ravalé, nettoyé, sacralisé … Mais qui
n’en sera pas moins hors du réel : Venise, la « belle et
rebelle » ?
La Rochelle sera-t-elle
l’exception qui confirmera la règle ?
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