dimanche 5 juin 2016

ORAN ... ALGÉRIE.




ORAN












                                                    

                 Lorsque nous fûmes à Oran, à partir de mille neuf cent quarante-quatre je crois, mon père se fit plus rare encore. Nous logions en ville et la base se trouvait loin, à Tafaraoui, près des lacs salés. Il partait tôt le matin . Il ne rentrait pas tous les soirs. Un jour, étant resté à la maison pour une quelconque maladie, il s’aperçut tout de même que notre mère avait de plus en plus de difficultés pour faire son marché : cent vingt-cinq grammes de pain par personne et par jour, que j’allais chercher chez un boulanger de la rue de la Révolution, au cœur du quartier juif, là où les boutiques sombres sentaient l’huile d’olive et le beurre rance, l’encens peut-être aussi ? Que sais-je encore ?
























              Le boulanger pesait le pain, le tranchait, et puis ajoutait une tranche pour faire la pesée. Je dévorais la pesée en cours de route, avec une merguez lorsque j’en avais les moyens. Jusqu’au jour où ...

-”Vous savez, les merguez ... Dans le quartier juif, on y a trouvé des doigts, des doigts d’enfants ...” Rumeur, que ne fais-tu pas dire ? Et quelles sont les rumeurs qui n’ont pas couru?

On nous vendait de l’eau potable dans des bidons qui avaient contenu de l’huile ou du pétrole autrefois. Au robinet, l’eau était rare et saumâtre, néanmoins on laissait le robinet de la baignoire ouvert toute la nuit pour profiter des rares instants pendant lesquels l’eau coulait.


Pour la monter au quatrième étage et nous la vendre, le porteur demandait un prix extravagant. Quatre bidons de fer blanc : Deux à chaque épaule ... C’est qu’il allait chercher l’eau dans la montagne, lui ! J’ai vu ma mère pleurer parce qu’on lui proposait une boîte de lait condensé au marché noir ... Qu’elle n’avait pas les moyens de payer, or notre jeune sœur était un bébé et notre mère ne pouvait pas l’allaiter.





















Lorsque notre père prit conscience de nos difficultés, ( il déjeunait, lui, au mess de la Base) il se mit en quatre pour nous aider. Il allait chez les colons, nous rapportait de pleins sacs d’artichauts ou de choux-fleurs, un sac de farine de maïs, un demi porc ...

Notre mère roulait la pâte, avec l’aide d’un matelot d’origine italienne. Elle faisait des nouilles fraîches. Elle découpait le porc sur le balcon, en se cachant des voisins et des passants. Mais que faire d’un demi porc quand on n’a pas de réfrigérateur ? Que faire d’un plein sac d’artichauts, même avec quatre enfants autour de la table ? On en mangeait tous les jours, à tous les repas, jusqu’à épuisement. On en donnait au voisin, qui me fournissait en cahiers d’écolier (comment en avait-il en réserve ? ) Pendant des heures, on se relayait pour faire la queue devant le marché aux poissons.
Un jour, je n’en rapportait qu’un seul, un poisson volant : tout ce qui restait parce qu’il avait glissé à terre !

Il y avait deux files pour faire la queue devant les boutiques : une file pour les Européens, une file pour les “Arabes”.

-”Vous verrez, un jour ils nous passeront devant !”


Nedjma travaillait à la maison. C’était une grande et belle femme, jeune et svelte. Une étoile bleue était tatouée entre ses deux yeux. Sa peau était dorée. Les jours de fête, les paumes de ses mains étaient teintes au henné. Nous l’aimions beaucoup et elle nous le rendait bien. Elle est restée longtemps chez nous. Je revois ses longs doigt allongés, quand elle roulait la semoule de couscous.























            Liesse à Oran, pour la célébration de la libération de Paris. Tout le monde en fête, sans distinctions, les “Arabes” comme les Européens et tous au beau milieu de la rue. Drapeaux, lampions, musiques et chansons, j’avais treize ans.

Peu après, nous avons rejoint la France à bord du tout premier paquebot en partance. Il s’appelait le “Médi II “. Nous avions, j’ignore à quel titre, mais sans doute était-ce parce que notre père s’était bien débrouillé, le statut de rapatriés sanitaires.
          

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