mardi 31 janvier 2017

MAKATEA, L'ÎLE MARTYRE...




                                         MAKATEA


 
Makatea est une petite île complètement isolée entre l’archipel des Tuamotu, composé d’atolls, et les îles du Vent qui incluent Tahiti.
C’est sans doute un ancien atoll, mais il a été surélevé par des mouvements sismiques et l’île se présente maintenant comme une terre assez plate, une sorte de table dont les falaises s’élèvent bien à trente mètres de haut.











Tu arrives avec ta goëlette, en labourant les flots, la plupart du temps. Mais le jour où j’y suis allé l’océan était calme, avec une houle profonde et longue qui donnait l’impression d’une respiration monstrueuse.

Makatea, tu la distingues depuis assez longtemps lorsque tu t’en approches : À cause de sa hauteur, tu la découvres à bonne distance, se détachant sur l’horizon. Déjà, cela la distingue des atolls que l’on ne découvre que lorsqu’on voit la tête de leurs cocotiers, tant ils sont bas sur les flots : autant dire que tu ne les vois que lorsque tu as le nez dessus.











Nous arrivions par le Sud. Nous contournons Makatea pour nous présenter au point de débarquement. Là, surprise ... Un énorme insecte couleur de rouille s’est fixé en haut de la falaise. Il tend un bras immense au-dessus de l’océan.

Tu avais beau avoir été prévenu, l’insecte et son bras, ses antennes, sont impressionnants. On se croirait au pays des extra-terrestres

Sous l’extrémité des antennes, tu amarres ton bateau à un coffre, qui se trouve là, ancré par deux mille mètres de fond. Le coffre est énorme, la chaîne qui en part pour s’enfoncer dans les flots est énorme elle aussi.

On t’a dit que cette installation a été mise en place par la S.F.P.O. , autrement dit la Société Française des Phosphates d’Océanie. Elle a commencé à exploiter Makatea à partir de 1908 et n’a pas tardé à tirer de cette île 230.000 tonnes de phosphate par an. Conrad, Melville et Stevenson ont vanté les îles à guano ... Le guano, c’est un engrais que l’on utilise en agriculture. Il est le résultat de la décomposition des fientes d’oiseaux déposées là pendant des siècles et des siècles. Le guano a fait la fortune de plusieurs aventuriers, de plusieurs sociétés. La S.F.P.O, avait son siège à Papeete, là où se trouve maintenant un hôtel, sur les quais. L’exploitation a commencé avec des ouvriers asiatiques, puis s’est poursuivie avec des ouvriers tahitiens. Il y a eu peut-être un millier de personnes sur Makatea.








Lorsque j’y allai, en 1968 ou 1969, l’exploitation avait cessé. Elle n’était plus rentable. Disons qu’il n’y avait plus de phosphate à Makatea. Les machines avaient tout extrait et les navires avaient tout emporté jusqu’en Europe dont les conversions agricoles engloutissaient les engrais

 

Une fois amarrés au coffre, le bateau se balançant d’avant en arrière au gré de la houle, nous nous trouvions exactement sous le bras de chargement, tendu au-dessus des flots. Il était parcouru d’un bout à l’autre par un tapis roulant immobilisé. Des petits tas de phosphates restaient là, alignés, prêts pour alimenter les soutes des cargos. On eût dit qu’il y avait une panne, mais que tout allait se remettre en mouvement ! Pourtant, et c’était assez étonnant : Il n’y avait personne en vue. Personne en haut de la falaise, personne aux commandes des machines ... J’étais prévenu, mais tout de même... L’île était vide ou presque. Je crois que l’on m’a dit qu’il y restait trois ou quatre habitants !









Devant nous, au pied de la falaise, il y avait une sorte de quai. Un plan incliné s’élançait de là jusqu’en haut des rochers, avec une pente d’environ trente pour cent ... Raide !


Sur ce plan incliné on voyait des rails et sur ces rails, bloquée tout en haut, une sorte de plate- forme qui pouvait, tirée par des câbles et par un treuil, glisser pour remonter les charges ou les descendre. C’est par là, par cette sorte de funiculaire, que se faisaient les approvisionnements en matériels, en matériaux et en vivres. Bien sûr, à cette machinerie, personne aux commandes. Depuis combien d’années tout cla était-il immobile?

 

Nous montons à pied, par le plan incliné. Arrivés tout en haut, nous découvrons une locomotive, attelée à deux wagons, solidement assise sur ses rails. Quelqu’un ... Quelqu’un qui est probablement le responsable de tout cela ... Pour nous faire plaisir, il a mis du fuel dans le réservoir de la locomotive : Il en reste dans les cuves. On n’a pas pris la peine de les vidanger avant de partir.

Avant de partir ! ... Mais on n’a rien emporté, ou presque rien ! Non seulement il y a du fuel dans les citernes, mais, dans les ateliers intacts, les outils sont restés, prêts à servir. On croirait se trouver dans une ville abandonnée du Texas, du temps des cow-boys ou, bien avant, du temps des immigrés voyageant vers l’Ouest avec leurs chariots. Eux aussi ont exploité des mines, puis les ont abandonnées, laissant à leurs maisons les portes et les fenêtres ouvertes, les volets battant au vent.

Ville de fantômes, ville intacte, ou presque, mais les bois de lits ont parfois été traînés dehors, on ne sait par quels pillards passant. Voici l’atelier de menuiserie, la scie à ruban. Il y a encore un petit tas de sciure sous la lame qui luit. Un calendrier est accroché au mur, au-dessus de l’établi. Y sont cochées les dates auxquelles le menuisier a fabriqué un cercueil, deux, trois le même jour parfois ... Et l’émotion vous creuse le ventre.








Les constructions sont toutes en bois. Certaines sont boiteuses, bancales. Les toits sont de tôles. Elles ont rouillé. Le vent, parfois, en a arraché des plaques. Il y a une église. Il y a une salle de cinéma. Vides bien sûr. Tout un village qui a été actif, qui a vu des naissances et des morts, qui a entendu des prières et des lamentations, dans lequel a coulé la sueur des hommes, dans lequel se sont fait entendre sans doute les musiques de l’accordéon et de la guitare. Tout un village qui vivait d’espoir de jours meilleurs et d’espoir de retour au pays natal pour des jours heureux.

On nous a promenés à travers le village dans les wagons du petit train. Nous avons parcouru toutes les rues ou à peu près, et nous sommes allés sur les lieux d’extraction du phosphate : Tout le sol est chamboulé. Du corail, c’est un amalgame de trous et de bosses, de cavernes et de blocs de calcaire, coupants. C’est dans les trous, dans les cavernes, dans les interstices, que se trouvait le guano. On l’a extrait. Les creux sont vides.

           
           Imaginez une terre ou rien ne poussera plus, sauf quelques buissons où se distingue parfois une fleur d’hibiscus ( autrefois il y a eu ici une haie ). Le sol est d’un blanc grisâtre, creusé de trous plus encore qu’une motte de gruyère, aux bords acérés. Tout est d’une sècheresse et d’une aridité inouïes. Le pire désert que l’on puisse voir, je pense.

 Même les maisons sont branlantes, certaines sont penchées, s’enfonçant dans les cavités, basculant sous l’action du vent. Terre désolée, terre vide, terre inhabitable pour toute l’éternité à venir.








Pourtant, il doit rester quelques cocotiers quelque part : On m’a offert un crabe de cocotier naturalisé, gros comme un melon. C’est ce que l’on offre, ou ce que l’on vend aux navigateurs de passage ... On n’a plus que cela à offrir ... Peut-être aussi, à la saison, quelques oeufs d’oiseaux de mer, dont les marins sont friands.

Et je pense à ces îles, je ne sais plus lesquelles, ces îles qui ont vendu tout leur phosphate. Avec les revenus qu’ils ont touchés, on dit que les habitants ont investi en Australie, achetant des immeubles et des maisons ... Maintenant, il n’y plus de terres chez eux ... Tellement de trous qu’ils n’ont plus qu’à quitter leurs îles pour aller habiter en Australie !









Tous ces bouleversements, les maisons vides et de guingois, les bois de lit exposés au soleil, les machines arrêtées, les balais rangés contre les murs, ce morceau de savon qui se dessèche sur un lavabo vide ... Le petit train ... Où sommes nous ?

Mais je me suis aperçu que j‘étais le seul à méditer !


lundi 30 janvier 2017

LE CONGO BRAZZAVILLE ...


              *

                                        BRAZZAVILLE








Mais qu’est-ce que je suis allé faire là-bas ?

… Un vieux chimpanzé derrière des barreaux. Le gardien du zoo lui fait fumer la cigarette. Un hôtel tout en béton qui s’appelle l’hôtel Cosmos : Il a été construit par les Soviétiques et son architecture est tout à fait moscovite. Tout à côté le fleuve Congo qui s’élargit, tranquille. Il est absolument couvert par les jacinthes d’eau – Myriades de fleurs d’un bleu violet. Vu de l’autre rive, le fleuve s’appelle Zaïre et le pays voisin aussi.









On dit …On dit… On parle de Révolution … On parle de chasse à l’homme.

- « Ne vous en mêlez pas, vous n’avez rien vu, rien entendu ! ».


Les chars d’assaut dans les rues … Mitraillettes dans les mains des gamins cachés au creux des fossés … Le fleuve Congo, un peu plus au Nord, a des méandres et des rapides : - « Ce n’est pas par ici qu’ils traverseront – Les courants sont trop forts, il y a trop de rochers. Nuages lourds d’orage.

«  Ne vous en mêlez pas, vous n’avez rien vu, rien entendu. »







Mon coiffeur va d’un immeuble à l’autre, d’une case à l’autre. Il ne sait pas lire. Il me demande, après avoir achevé la coupe, de lui lire dans son carnet l’adresse du client suivant. Il me demande aussi de noter notre prochain rendez-vous. Il rit beaucoup, quand il vient chez moi :

-«  Nous manquions de place pour construire des maisons. Les blancs
sont venus. Ils ont construit des immeubles, c’est-à-dire qu’ils ont empilé les maisons les unes par-dessus les autres ! »

J’habite, avec ma famille, au cinquième étage d’un immeuble tout neuf. On l’appelle « les trente-deux logements italiens ». Comme son nom l’indique,sa construction a été financée par nos voisins transalpins. L’immeuble est très bien conçu, mais les vide-ordures dont il est équipé sont bouchés en permanence par les boîtes de conserve et les bouteilles cassées qu’on y balance. La plupart des appartements sont occupés par des Russes : Ils font la fête tous les soirs et les paliers, au matin, sont ornés de rangées de bouteilles de vodka … Vides ! Tous les soirs, à la tombée de la nuit, un « gardien » vient s’installer au bas de chaque escalier : Chaque gardien est armé d’une lance magnifique ! Nous n’avons jamais été victimes de pillards ou de qui que ce soit.







Les bureaux dans lesquels je suis censé travailler sont installés dans les locaux de l’ancien hôpital colonial. J’ai rarement vu quelqu’un s’y installer pour se mettre au travail.

-      « Vous ne savez rien. Vous n’avez rien vu , rien entendu… »

Le nouvel hôpital est un gros bloc de béton à plusieurs étages. Il paraît que les ascenseurs ne fonctionnent plus. Il paraît aussi qu’il manque des marches dans les escaliers. Ne vous promenez pas trop près : Vous risqueriez de recevoir sur la tête une bouteille vide ou je ne sais quel détritus … On jette tout par les fenêtres.

Le dimanche matin, un avion vrombit pendant de longues minutes : Il grimpe, grimpe en spirales serrées. Il atteint son plafond et lâche un bouquet de parachutes de couleurs vives. Les parachutes, rectangulaires puisqu’il s’agit d’engins de compétition, dodelinent, glissent, virevoltent, s’entrecroisent et planent longuement. Ah ! Si seulement l’avion porteur ne faisait pas tant de bruit !

Le soir, et particulièrement le samedi soir, il faut se mettre des boules Quiès dans les oreilles si l’on veut avoir une chance de dormir : Les adhérents d’une secte évangélique, que l’on appelle, si mes souvenirs sont bons, les « kimbanguistes » tournent en rond au pied de l’immeuble, chantant et dansant au son du tam-tam … Et cela dure toute la nuit ! Dans la journée, les guimbardes et les camions font un raffut de tous les diables, en roulant sur les pneus ou sur les jantes si les pneus ont éclaté. La route est large, à cet endroit et toute droite : Elle mène à l’aéroport de Maïa-Maïa et elle est très fréquentée. Pour votre compte, si vous roulez en voiture, sachez qu’en cas d’accident, il nous est recommandé de ne pas nous arrêter : Se rendre au poste de police le plus voisin … Sans quoi, nous a-t-on dit : « Vous risquez d’être lapidé ».







À savoir aussi : «  Si un policier vous arrête et prétend verbaliser … Ne discutez pas : Un bakchich arrange beaucoup mieux les choses ! De même, il faut savoir que les Chinois ont créé des fermes aux alentours de la ville. On peut y aller pour acheter ses légumes … Mais au retour, vous serez probablement arrêté plusieurs fois sur la route par des barrages installés par la milice … Ne discutez pas : Donnez leur quelques salades ou quelques carottes, ou bien … un chou chinois ! … Évidemment, vous risquez beaucoup de n’avoir plus que des paniers vides en arrivant chez vous … Mais vous pouvez tout de même tenter la chance. On ne sait jamais !


Les Chinois … On en rencontre souvent en ville. Ils se  promènent toujours trois par trois : Deux pour servir de témoins au troisième en cas de besoin !

Vous pouvez aussi aller faire vos courses au marché. Il y a deux marchés à Brazzaville : L’un à Poto-Poto, l’autre à Bacongo -  on vous a recommandé de ne pas y aller ? – Pourquoi ? – À cause de la foule et de la promiscuité ? – À cause des risques de mauvaises rencontres ? À cause de la boue dans laquelle on patauge lorsqu’il pleut ou de la poussière qui vole aux jours de sècheresse et se dépose sur les étals ?  Nombreux étals, très colorés : boubous bariolés, sans doute ornés du portrait imprimé de « Monsieur le Président ». Les tréteaux vous proposent d’étranges choses : Petits tas de macaronis … Quatre ou cinq macaronis dans chaque tas. Quelques poissons venant de Pointe-Noire ou du fleuve … – Un léger cri s’échappe de la bouche d’une européenne qui flânait : Des petits singes écorchés sont pendus à des crochets de boucherie, séchés et fumés. On les prendrait pour des fœtus humains  … Pauvre marché … Aussi pauvre que les magasins d’état … Le pays est dirigé par un gouvernement « socialiste scientifique ».

L’équipe nationale de foot-ball est entraînée par un Français. À  la veille de chaque match, il emmène ses joueurs dans la brousse pour chercher et examiner les déjections des grands singes : Il paraît qu’on peut y lire les pronostiques … Par ailleurs, il n’y a qu’à regarder, sur le terrain de foot, de quel côté sont perchées les aigrettes garzettes : Le lieu où elles sont rassemblées indique de quel côté se trouvera l’équipe gagnante, à l’issue du tirage au sort !







La cathédrale est tout à fait remarquable, pleine de lumière. Il y a encore à Brazzaville quelques bonnes sœurs : Les couloirs de leur couvent sentent la cire.

On ne sort guère de la ville : Les alentours ne sont pas sûrs. Cependant, quelques familles ont loué « une rivière », c’est à dire un coin de terrain au bord de l’eau : Ils y sont chez eux le dimanche, pour faire jouer les enfants.

Sur la place du quartier dénommé « le Plateau », il y a un marché plus européanisé que ceux de Poto-Poto et de Bacongo, mais il n’est  guère mieux approvisionné. On trouve là des marchands à la sauvette : Ils vendent des ivoires qu’ils dissimulent sous leurs vêtements. Certains objets sont de grande qualité. Des échoppes proposent aussi des bois sculptés : Chaises, plats, statues … Beaucoup de bustes témoignant d’un grand artt.








D’autres marchands viennent jusque chez vous. Ils sonnent à votre porte et vous proposent, tirés de je ne sais où, des malachites et des azurites, venues « d’en face ». Soyez discret si vous leur achetez  quelque chose : Ils risquent la prison pour avoir traversé le fleuve !
-      «  Mais qu’est-ce que je suis donc venu faire là ? – Mon Dieu, qu’est-ce que je suis donc venu faire là ? »

Des baobabs, énormes, des pirogues, rustiques, des baraques en tôles et en bois … Le buste du Général ….
Quel général ? – De Gaulle, bien sûr : Il avait fait de Brazzaville la capitale de la  France Libre .
Ah bien oui ! … Quatorze juillet 1971 : Cocktail à la « case De Gaulle » … Longues tables dans les jardins, longues tables garnies de rondelles de saucisson, de salades diverses et de boissons … Il y avait même des langoustes !
Drapeaux et musique … Avez-vous vu cette invitée qui s’est fait piquer au moment où elle glissait sa quatrième langouste dans son cabas ?






-      «  Mon Dieu, qu’est-ce que je faisais là ? »