*
BRAZZAVILLE
Mais
qu’est-ce que je suis allé faire là-bas ?
… Un
vieux chimpanzé derrière des barreaux. Le gardien du zoo lui fait fumer la
cigarette. Un hôtel tout en béton qui s’appelle l’hôtel Cosmos : Il a été
construit par les Soviétiques et son architecture est tout à fait moscovite.
Tout à côté le fleuve Congo qui s’élargit, tranquille. Il est absolument
couvert par les jacinthes d’eau – Myriades de fleurs d’un bleu violet. Vu de
l’autre rive, le fleuve s’appelle Zaïre et le pays voisin aussi.
On
dit …On dit… On parle de Révolution … On parle de chasse à l’homme.
-
« Ne vous en mêlez pas, vous n’avez rien vu, rien entendu ! ».
Les
chars d’assaut dans les rues … Mitraillettes dans les mains des gamins cachés
au creux des fossés … Le fleuve Congo, un peu plus au Nord, a des méandres et
des rapides : - « Ce n’est pas par ici qu’ils traverseront – Les
courants sont trop forts, il y a trop de rochers. Nuages lourds d’orage.
«
Ne vous en mêlez pas, vous n’avez rien vu, rien entendu. »
Mon
coiffeur va d’un immeuble à l’autre, d’une case à l’autre. Il ne sait pas lire.
Il me demande, après avoir achevé la coupe, de lui lire dans son carnet
l’adresse du client suivant. Il me demande aussi de noter notre prochain
rendez-vous. Il rit beaucoup, quand il vient chez moi :
-«
Nous manquions de place pour construire des maisons. Les blancs
sont
venus. Ils ont construit des immeubles, c’est-à-dire qu’ils ont empilé les
maisons les unes par-dessus les autres ! »
J’habite,
avec ma famille, au cinquième étage d’un immeuble tout neuf. On l’appelle
« les trente-deux logements italiens ». Comme son nom l’indique,sa
construction a été financée par nos voisins transalpins. L’immeuble est très
bien conçu, mais les vide-ordures dont il est équipé sont bouchés en permanence
par les boîtes de conserve et les bouteilles cassées qu’on y balance. La
plupart des appartements sont occupés par des Russes : Ils font la fête
tous les soirs et les paliers, au matin, sont ornés de rangées de bouteilles de
vodka … Vides ! Tous les soirs, à la tombée de la nuit, un
« gardien » vient s’installer au bas de chaque escalier : Chaque
gardien est armé d’une lance magnifique ! Nous n’avons jamais été victimes
de pillards ou de qui que ce soit.
Les
bureaux dans lesquels je suis censé travailler sont installés dans les locaux
de l’ancien hôpital colonial. J’ai rarement vu quelqu’un s’y installer pour se
mettre au travail.
- « Vous ne savez
rien. Vous n’avez rien vu , rien entendu… »
Le
nouvel hôpital est un gros bloc de béton à plusieurs étages. Il paraît que les
ascenseurs ne fonctionnent plus. Il paraît aussi qu’il manque des marches dans
les escaliers. Ne vous promenez pas trop près : Vous risqueriez de
recevoir sur la tête une bouteille vide ou je ne sais quel détritus … On jette
tout par les fenêtres.
Le
dimanche matin, un avion vrombit pendant de longues minutes : Il grimpe,
grimpe en spirales serrées. Il atteint son plafond et lâche un bouquet de
parachutes de couleurs vives. Les parachutes, rectangulaires puisqu’il s’agit
d’engins de compétition, dodelinent, glissent, virevoltent, s’entrecroisent et
planent longuement. Ah ! Si seulement l’avion porteur ne faisait pas tant de
bruit !
Le
soir, et particulièrement le samedi soir, il faut se mettre des boules Quiès
dans les oreilles si l’on veut avoir une chance de dormir : Les adhérents
d’une secte évangélique, que l’on appelle, si mes souvenirs sont bons, les « kimbanguistes »
tournent en rond au pied de l’immeuble, chantant et dansant au son du tam-tam …
Et cela dure toute la nuit ! Dans la journée, les guimbardes et les
camions font un raffut de tous les diables, en roulant sur les pneus ou sur les
jantes si les pneus ont éclaté. La route est large, à cet endroit et toute
droite : Elle mène à l’aéroport de Maïa-Maïa et elle est très fréquentée.
Pour votre compte, si vous roulez en voiture, sachez qu’en cas d’accident, il
nous est recommandé de ne pas nous arrêter : Se rendre au poste de police
le plus voisin … Sans quoi, nous a-t-on dit : « Vous risquez d’être
lapidé ».
À
savoir aussi : « Si un policier vous arrête et prétend verbaliser …
Ne discutez pas : Un bakchich arrange beaucoup mieux les choses ! De
même, il faut savoir que les Chinois ont créé des fermes aux alentours de la
ville. On peut y aller pour acheter ses légumes … Mais au retour, vous serez
probablement arrêté plusieurs fois sur la route par des barrages installés par
la milice … Ne discutez pas : Donnez leur quelques salades ou quelques
carottes, ou bien … un chou chinois ! … Évidemment, vous risquez beaucoup
de n’avoir plus que des paniers vides en arrivant chez vous … Mais vous pouvez
tout de même tenter la chance. On ne sait jamais !
Les
Chinois … On en rencontre souvent en ville. Ils se promènent toujours
trois par trois : Deux pour servir de témoins au troisième en cas de
besoin !
Vous
pouvez aussi aller faire vos courses au marché. Il y a deux marchés à
Brazzaville : L’un à Poto-Poto, l’autre à Bacongo - on vous a
recommandé de ne pas y aller ? – Pourquoi ? – À cause de la foule et
de la promiscuité ? – À cause des risques de mauvaises rencontres ? À
cause de la boue dans laquelle on patauge lorsqu’il pleut ou de la poussière
qui vole aux jours de sècheresse et se dépose sur les étals ?
Nombreux étals, très colorés : boubous bariolés, sans doute ornés du
portrait imprimé de « Monsieur le Président ». Les tréteaux
vous proposent d’étranges choses : Petits tas de macaronis … Quatre ou
cinq macaronis dans chaque tas. Quelques poissons venant de Pointe-Noire ou du
fleuve … – Un léger cri s’échappe de la bouche d’une européenne qui
flânait : Des petits singes écorchés sont pendus à des crochets de
boucherie, séchés et fumés. On les prendrait pour des fœtus humains …
Pauvre marché … Aussi pauvre que les magasins d’état … Le pays est dirigé par
un gouvernement « socialiste scientifique ».
L’équipe
nationale de foot-ball est entraînée par un Français. À la veille de
chaque match, il emmène ses joueurs dans la brousse pour chercher et examiner
les déjections des grands singes : Il paraît qu’on peut y lire les
pronostiques … Par ailleurs, il n’y a qu’à regarder, sur le terrain de foot, de
quel côté sont perchées les aigrettes garzettes : Le lieu où elles sont
rassemblées indique de quel côté se trouvera l’équipe gagnante, à l’issue du
tirage au sort !
La
cathédrale est tout à fait remarquable, pleine de lumière. Il y a encore à
Brazzaville quelques bonnes sœurs : Les couloirs de leur couvent sentent
la cire.
On ne
sort guère de la ville : Les alentours ne sont pas sûrs. Cependant,
quelques familles ont loué « une rivière », c’est à dire un coin de
terrain au bord de l’eau : Ils y sont chez eux le dimanche, pour faire
jouer les enfants.
Sur
la place du quartier dénommé « le Plateau », il y a un marché plus
européanisé que ceux de Poto-Poto et de Bacongo, mais il n’est guère
mieux approvisionné. On trouve là des marchands à la sauvette : Ils
vendent des ivoires qu’ils dissimulent sous leurs vêtements. Certains objets sont
de grande qualité. Des échoppes proposent aussi des bois sculptés :
Chaises, plats, statues … Beaucoup de bustes témoignant d’un grand artt.
D’autres
marchands viennent jusque chez vous. Ils sonnent à votre porte et vous
proposent, tirés de je ne sais où, des malachites et des azurites, venues
« d’en face ». Soyez discret si vous leur achetez quelque
chose : Ils risquent la prison pour avoir traversé le fleuve !
- « Mais qu’est-ce
que je suis donc venu faire là ? – Mon Dieu, qu’est-ce que je suis donc
venu faire là ? »
Des
baobabs, énormes, des pirogues, rustiques, des baraques en tôles et en bois …
Le buste du Général ….
Quel
général ? – De Gaulle, bien sûr : Il avait fait de Brazzaville la
capitale de la France Libre .
Ah
bien oui ! … Quatorze juillet 1971 : Cocktail à la « case De
Gaulle » … Longues tables dans les jardins, longues tables garnies de
rondelles de saucisson, de salades diverses et de boissons … Il y avait même
des langoustes !
Drapeaux
et musique … Avez-vous vu cette invitée qui s’est fait piquer au moment où elle
glissait sa quatrième langouste dans son cabas ?
-
« Mon Dieu, qu’est-ce que je faisais là ? »
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