LE FLAMBOYANT
Auprès d'un océan couleur de pastel sur lequel dansent des
filigranes d'argent, je sais un grand arbre dont les larges frondaisons font
flaque violette sur un sol rouge inondé de lumière, tache d'ombre sur le
clocher d'une église. Je sais bien des avenues bordées d'arbres asphyxiés par
les miasmes des villes. Ils sont souvent chétifs et chauves . Celui dont je
veux parler étend un vaste manteau de velours d'un beau vert sombre. On
pourrait parler de manteau en effet, si celui-ci était de mise dans ces îles au
climat béni. Pour la forme, j'évoquerais plutôt le parasol, la toile d'une
tente ombreuse, une longue pièce de sari, un tapis déroulé pour l'accueil de
quelque princesse qui devrait venir là pour son doux repos.
Examinées de plus près, les feuilles sont composées
de pennes à partir desquelles s'élargissent de souples nervures. Les limbes
sont légers comme des plumes mais forment ensemble de larges palmes. Cet arbre
rassurant est source de fraîcheur, tivoli propice au repos. Il accueille sous
ses branches les joueurs de boules et, assis sur les chaises qu'ils ont
traînées jusque là, les joueurs de dominos faisant claquer leurs pièces sur une
table légère.
Aux alentours de novembre, à côté de l'église
peinte en rose, la frondaison change de nature et se couvre de merveilles. Les
Britanniques l'appellent " l'arbre de Noël". Avant la Nativité, en
effet, il entre dans toute sa splendeur. Pour ma part je préfère l'appeler,
comme font les Français "le Flamboyant ". Il se couvre de fleurs ...
En fait il devient toile de Damas, soierie de Chine, tapis d'Ispahan,
incroyable broderie de rouge en toutes ses nuances : Écarlate, pourpre, rubis,
sang de pigeon, cramoisi, incarnat, carmin, magenta, vermillon, garance,
ponceau ... Devant la merveille on ne sait plus comment dire. On pense braises,
on pense flammes, rivières de laves incandescentes, on pense coquelicots, on
pense tulipes, cristaux de Bohème, lampions, vitraux de cathédrales, muletas de
matadors, capes cardinalices, manteaux de rois, ailes d'oiseaux du Paradis,
nageoires de carpes chinoises, dais, draps, tentures ... Mais on pense aussi
couchers de soleil sur les mers du sud.
Et c'est un peu tout cela tout à la fois, avec un très
léger plumetis de blanc et une idée d'orangé. L'arbre n'a pas son égal. Seuls
les tulipiers, aux flancs des collines rivalisent, mais, eux, ils sont torches
avant tout. La floraison va durer pendant plusieurs semaines, quelques mois.
Les feuilles, ensuite, redeviendront visibles, d'un beau vert sombre. L'ombre,
au pied du tronc prendra la couleur du sang lorsque les pétales seront tous
tombés. Plus tard, des gousses pendront aux rameaux. De larges cosses de fèves
bruniront et, jouant les maracas, cliquetteront dans le vent ...
Dans nos pays tempérés je connais des villes ornées de
mimosas, de camélias, de magnolias. Je sais où trouver quelques jacarandas. Je
n'ai jamais rencontré de flamboyants. Ce sont richesses de pays créoles, de pays
où l'on s'enveloppe dans un sari, un poncho, un pagne ou bien dans un paréo. Ce
sont richesses de pays du soleil, tissées par des peuples joyeux.
Je cherchais l'autre jour, près de l'église peinte en
rose, le parasol splendide qui, naguère, s'embrasait pour les fêtes de la
Nativité ... Aurait-il été couché par quelque tempête ?
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