mercredi 13 février 2019

NOS VÊTEMENTS ...





NOS VÊTEMENTS













                  Avril est pluvieux souvent. Les averses

tombent dru. La neige se rencontre encore en certains

 endroits et, ailleurs, ce sont les orages qui font tomber la

 grêle ..." Comme des hallebardes ", selon l'expression

consacrée. Le plus désagréable, c'est la boue, lorsqu'on

 marche sur les chemins, à travers champs, à travers

monts et vallées, surtout si l'on a la malchance de passer

 là où un troupeau a piétiné, là encore où les

pneumatiques d'une motocyclette ont creusé des

 ornières en forme d'arabesques profondes. 









                   Pourtant, à bien y réfléchir, quel que soit le

 temps, chaud ou froid, sec ou pluvieux, marcher est

aujourd'hui un vrai plaisir, comparativement à ce qu'ont

 connu nos parents, à ce que nous avons connu nous-

mêmes lorsque nous étions enfants. Ce bonheur nous est

 offert ... Y songeons-nous de temps en temps ? ... Par les

 industriels du textile et du vêtement.













                 Nous avons connu les lourdes capotes de drap

 que portaient les soldats de la guerre de quatorze et,

 encore, ceux de quarante. Lourdes capotes, pantalons,

 blousons de drap rouge-garance, bleu-marine ou kaki.

 Drap de laine foulée, dégraissée, grattée, rasée, que l'eau

 alourdit encore en l'imbibant comme une éponge. Drap

 rêche, raide, difficile à laver, encore plus difficile à

repasser ... Et vous devez le repasser " à la pattemouille",

 avec un fer très chaud, en appliquant sur le tissu un

linge de toile humide : À la chaleur, l'eau siffle, la vapeur

 monte, se développe ... L'opération fait naître une odeur

 de suint qui imprègne toute la maison. Oh ! La corvée de

 lavage et de repassage, pour le soldat qui s'apprête à la

revue des permissionnaires ! Les chemises de toile sont

plus faciles à traiter : Lourdes au lavage, malgré tout

 elles se repassent plus aisément. Encore y faut-il tout un

 savoir-faire et tout un art ! Je ne parlerai des

chaussettes de laine que pour rappeler la crasse qui les

 enduisait si vite et les trous qui obligeaient si souvent à

les repriser ... Il faudrait encore parler des chaussures de

 cuir, avec leurs semelles à clous, leurs fers et leurs

talons : Il arrivait que, décousues, elles se missent à

bailler comme gueules d'alligators. Mouillé, le cuir

devenait raide, dur même, blessant ... 





                         








                   _ " Graissez, graissez vos chaussures, tous les

 soirs avant de dormir. Graisse de porc ou graisse de

phoque, graissez vos chaussures ..."













                  Les chaussures de marche étaient très mal

 imperméabilisées, les chaussettes devenaient vite

humides, puis complètement trempées ... Gare aux

 ampoules, gare aux pieds blessés !




                   







                   Ma pauvre mère, je n'oublie pas les journées

 où bouillonnait la lessiveuse sur son feu de bois. Lourds

 draps de toile de lin ou de toile de coton, certains de

chanvre encore ... La lessiveuse crache la vapeur, tremble

 et s'agite, souffle, écume. Je n'oublie pas l'effort des bras

 et celui des mains, frottant, frottant avec le cube de

 savon et frottant avec la brosse en chiendent. Je n'oublie

 pas les reins douloureux à force de se plier sur le bord

du lavoir, la torsion, à quatre mains, pour l'essorage,

 l'étendage sur les fils, dans la cour de la maison ...

Lourds, lourds les draps à étendre ! Il faudrait parler

 encore des "carreaux" de fonte mis à chauffer sur le

poêle, du petit manipule pour en saisir la poignée sans

 trop se brûler la main. Il faudrait parler de la

"mouillette" pour l'humidification, de l'amidon, utilisé

pour les chemises, que sais-je encore : J'ai certainement

 oublié plusieurs étapes, en toutes ces opérations ! Ma

 mère, lorsqu'elle " se mettait en lessive", en avait pour

trois jours ! Ah ! oui ... Il faudrait encore parler des

boules de " bleu " utilisées pour que le linge paraisse

plus blanc …













                    Lorsque je suis arrivé à l'étape hier au soir,

 au sortir des monts de l'Aubrac, j'ai posé ma veste sur

 un cintre; je l'ai suspendue dans la salle de douches. J'ai

 accroché mon "poncho" de nylon à la poignée d'une

fenêtre haute, tout simplement. J'ai lavé mon pantalon

 tout maculé de boue; je l'ai lavé entièrement, à l'eau

 froide, et je l'ai rincé dans le lavabo. J'ai rapidement

 décrotté mes chaussures; j'en ai passé les semelles sous

 le robinet . Les chaussures étaient demeurées sèches à

l'intérieur et les chaussettes l'étaient donc aussi. Mes

chaussettes ne sont plus trouées. Ce sont elles, pourtant,

 qui donnent toujours le plus de soucis : Il faut les

allonger sur le radiateur du chauffage central pour

espérer les faire sécher pendant la nuit …













                        Merveilleux tissus, si faciles à entretenir !

 ... Le sac à dos en est plus léger ! Comme ils sont loin,

 les draps peignés, grattés, foulés. Les toiles lourdes et

rêches ne sont plus que souvenirs : On se couche dans un

 drap léger, qui se salit peu, demeure frais et n'exacerbe

 pas les odeurs. Au matin, tout le linge est prêt à enfiler,

 sec, souple, propre. Il n'y a plus de repassage ! On a

 même inventé des tissus qui " respirent ", permettant

 l'effort sans les inconvénients de la transpiration.

 Mieux, on a inventé des tissus qui sont chauds lorsqu'il

 le faut et frais lorsque le soleil brille. Les chaussures

 elles-mêmes sont devenues légères, souples et étanches.

 Marcher est devenu, dans ces conditions, un vrai

 bonheur. Les intempéries ne sont plus redoutables ni

redoutées. 





                            








                      Soldats de l'Empereur, vous qui traversiez

des continents entiers sous la pluie et sous la neige, dans

 vos uniformes de drap, avec tout votre barda sur le dos

 et les pieds dans vos lourds godillots ... Poilus de

Quatorze et de Quarante, embourbés, imbibés sous la

 pluie de la Champagne et des Ardennes, pèlerins au long

 cours, marchands et rouliers, marins trempés par les

embruns, s'enroulant tous, le soir venu, dans leurs

couvertures humides plus ou moins habitées par la

 vermine ...



               
                    


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