L'ALCHIMISTE
C'est fou, ce que l'on peut mettre dans mon
verre, vous
savez, un beau verre de l'INAO ( Institut
National des
Appellations d'Origine ... ) ! ... C'est un
verre à pied, un verre élancé, tulipé. C'est un
verre qui se
gonfle et
puis dont les bords se resserrent, pour
conserver au vin tout son arôme et tout son bouquet
...
Ah ! mais ! ... C'est que ce n'est pas la même
chose,
l'arôme et le
bouquet ! Le premier est dû au cépage et le
second se
développe au cours du vieillissement. Si vous
ne parvenez pas à distinguer toute la subtilité des
différences, plongez le nez dans votre verre et
humez ...
Mais avant de humer ainsi, et si vous ne voulez
point déchoir
dans l'estime des connaisseurs, vous
devez saisir le verre par le pied, le lever à
hauteur de vos
yeux, à
contre-jour, apprécier la robe du vin : Rouge
sombre, rouge-rubis, grenat, grenat brillant,
grenat-
pourpre, grenat-violet, grenat-sombre, noir,
grenat-noir,
robe
flamboyante à reflets violets ... C'est fou ce que les
vins de Bordeaux peuvent apporter comme nuances aux
galbes de mon
verre : En se vidant, la bouteille le
remplit de fleurs ou de gemmes en fusion.
Après avoir admiré, vous pouvez sans crainte
prendre l'air d'un connaisseur. Mais à ce moment
précis,
les choses se
compliquent : L'instant est venu
d'apprécier le nez ... C'est le vin, au bout du
compte, qui
a un nez, ce n'est pas vous ! Il vous faut saisir le
verre
par le pied, entre deux doigts. On pourra vous
expliquer
que, si le verre a un pied, c'est pour vous éviter
de
transmettre au vin, par l'intermédiaire des flancs
du
verre, la température de votre paume. Car il vous
faut
déguster
chaque vin à une température spécifiquement
adaptée. Il y a des thermomètres pour cela; on en
vend
dans les caves bien fréquentées. Bon, tenant votre
verre
entre deux
doigts, par le pied, vous devez le faire
tourner, pour imprimer à la liqueur une rotation qui
va
créer en son coeur un tourbillon, un Maëlstrom en
réduction. Cela s'appelle aérer le vin.C'est
indispensable
pour lui permettre de développer ses arômes et son
bouquet. Attention, regardez bien comment s'y
prennent
vos voisins
avant de faire tourner votre propre verre : Le
petit
Maëlstrom se creuse aisément et il arrive qu'un
tsunami en réduction se crée, vous arrosant les
pieds ou
le gilet ... Ou bien, tout à la fois, les pieds et
le gilet de
votre voisin ! Vous avez réussi ? _ Parfait !
Conservez un
air
parfaitement dégagé et humez ...
Nez de fruits rouges ou de fruits noirs, de
cerises, de
cerises confites, de griotttes, de cassis, de
fraises ou de
framboises, de myrtilles, de gelée de
mûres, de pruneaux, nez de prunes rouges, de fruits
compotés, nez
de rose rouge, d'épices douces, de pain
d'épices, nez de grillé, nez de cuir ( oui, de cuir,
et Jean
de Lavarende
n'y est pour rien là-dedans; n'en faisons
pas un oenologue averti ! ), nez boisé, nez cacao,
nez
café, nez de vanille, nez de poivre, nez de poivron,
nez de
violette, de pivoines, de thym grillé avec des notes
de
truffe et de muscade, beau nez réglissé, nez assez
frais,
explosif aux arômes délicats, nez de fumée de bois
... Et
si tout cela vous laisse pantois, ne perdez pas
votre air
assurément compétent, dites : " Ce vin a un
caractère
très expressif ! ", cela n'engage à rien.
Au goût ... Mais encore faut-il savoir s'emplir
la bouche,
faire passer le vin sur et sous la langue, lui
faire baigner la luette et la gorge, le mâcher puis,
éventuellement, le cracher dans le bac à sable ...
Regardez comment font les autres ! Au goût, il faut
apprécier d'abord la constitution générale du vin :
La
finesse, le
corps ... Le vin est corsé, charnu, charpenté,
plein,
équilibré, élégant, racé ... Ensuite, on doit juger la
douceur : Le
vin est souple, moëlleux, rond, coulant,
velouté, soyeux, tendre, gras ... Enfin il reste à
évaluer la
"vinosité" : Le vin est nerveux,
capiteux, chaud,
généreux, puissant ... Autrefois j'entendais dire
que le
vin avait
" de la cuisse "... Ah! Ces vins qui avaient " de
la cuisse" ! Mais aujourd'hui, je crois que les
vins n'ont
plus de
" cuisse ", et je trouve que c'est bien dommage !
... Il y a bien encore un vin qui se dénomme "
Cuisse de
Nymphe "... Mais ce n'est pas un grand vin
paraît-il, et
puis je crois que c'est un rosé !
De nos jours, on verse dans mon
verre
INAO tant de couleurs, tant de gemmes, tant de
fruits,
tant dépices ... J'y trouve tant de gras, tant de
tannins,
l'attaque est si friande, la bouche est si serrée,
si racée, la
finale si
longue est si fruitée ! ... Il n'empêche, je regrette
la "
cuisse " !
... Tout cela à propos des grands Bordeaux
... Mais une piquette bien fraîche, bue à la
régalade sous
le jet d'une
gourde en peau de chèvre ! Cela aussi vous a
un goût de petit bonheur !
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