vendredi 8 février 2019

EN PROVENCE ...





EN PROVENCE















                 On peut vivre plusieurs vies à la fois. Il suffit de 

changer de peau. Quand j'étais interne au collège de Lorgues, 

dans les collines du Var, je changeais de peau chaque fois que 

je gagnais le "champ d'euf", comprenez le champ de football, 

qui était plutôt un vaste terrain vague, sur lequel, en principe, 

nous n'avions pas le droit d'aller sans être accompagnés. Je 

m'organisais et, compte tenu des facilités offertes par "mon 

emploi du temps", je parvenais à m'échapper de plus en plus 

souvent. J'avais repéré les pièges à ressort que certains de 

mes condisciples posaient dans l'herbe, amorcés d'une miette 

de pain ou d'une grosse fourmi. On piégeait beaucoup les 

petits oiseaux en Provence, pour les faire griller en 

brochettes. Le piégeur se faisait une gloire de ses prises ... 

Moi, je détendais les ressorts et je désamorçais les pièges.









                 C'était de l'autre côté du "champ d'euf" que je 

"changeais de peau", très vite.





                  _" Changer de peau ...Tu vois ce que je veux dire ? 

... Le coeur qui se dilate, le sang qui pétille et court plus vite. 

Le corps qui devient plus léger ... Ce n'est pas seulement la 

peau qui change.






                   Petits murets en pierres sèches formant terrasses 

sur les pentes, cailloux tranchants, et les amandiers ... Des 

vignes devenues un peu sauvages, des buissons, des oliviers 

aux feuillages argentés ... Parfois un chêne-liège à l'écorce 

épaisse et gercée ... Tu cours, tu cours, tu dévales vers le bas: 

Facile : Ce n'est qu'un rythme à prendre. Tu ne cours pas, tu 

sautes, comme une chèvre. A peine le temps de toucher le sol 

... Un coup de talon, tu décolles à nouveau ... On dirait qu'il 

t'est poussé des ailes ! Il suffit d'avoir l'oeil juste : Il faut 

choisir l'endroit exact où le pied va toucher le sol ... Il va le 

toucher si peu ! ... Personne pour regarder. Seul j'existe. 






                     Les terrasses sont trop haut, trop sèches, trop 

caillouteuses, trop étroites, personne ne les cultive plus. Seuls 

y demeurent les oiseaux et les sauterelles qui jaillissent du sol 

dans le soleil ... A peine le temps de les apercevoir, d'entendre 

leur bruissement ou leurs cris. Les cigales, elles, chantent, 

chantent. On ne les voit pas, mais l'air entier est un chant de 

cigales. parfois, elles chantent tant qu'on ne les entend plus.





                       Si le rythme est bien pris, tu ne t'essouffles 

même pas : Le talon tape, et c'est reparti ! En fait, l'élan n'est 

jamais interrompu. Tu dévales la pente en oblique ... Pas à la 

verticale : La descente dure plus longtemps, pour le plaisir. 

Un caillou branle sous le pied ? _ Tu l'as déjà abandonné 

avant qu'il ne chute. Le bonheur, quoi !






                      Jusqu'en novembre et, si tu as un peu chance 

jusqu'en décembre même, tu peux trouver quelque chose à 

grappiller dans les vignes ... Tu as déjà goûté ces raisins 

flétris à force de mûrir, gorgés de sucre et de parfums ? 

Parfois tu trouveras aussi des figues et des amandes, laiteuses 

ou un peu durcies. Le bonheur ! ... Le bonheur, au parfum du 

ciste, de la lavande, du romarin et du jasmin.







                   Un jour, j'ai dévalé jusque dans une plantation 

d'oliviers. Des femmes s'occupaient à récolter les fruits, 

violets à force d'être mûrs, presque noirs, gras, sentant bon ! 

Certaines tendaient des couvertures, en les tenant par les 

coins. D'autres étaient montées dans les branches; elles 

jetaient les olives dans les couvertures afin qu'elles ne 

s'abîment pas. Je grimpai. Je cueillis les olives. Lorsque je 

repartis, on me donna des biscuits et un verre de vin rosé. Le 

bonheur !





                     Revenu au "champ d'euf", il me fallut quelque 

temps pour reprendre mes esprits : Pas facile de changer à 

nouveau de peau ! J'en avais la tête qui tournait _ "Calme-toi, 

mon coeur" _ Je me glissai dans une salle de classe ...


                  



                   Au collège, personne, jamais, ne me reprocha

mes escapades.  Est-il possible que personne ne s'en aperçût 

?  _  Si c'est intentionnellement qu'on a fermé les yeux, on a 

bien fait : Ce sont ces escapades qui m'ont permis de revêtir 

enfin ma propre peau, incomparable à celle des autres ... Et 

de m'y trouver à l'aise un jour !


 


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