jeudi 25 juillet 2019

L'ÎLE D'OLÉRON ....





LES MOULINS OLERONNAIS









Traditionnellement, les maisons d'Oleron sont blanchies à la chaux. C'est ainsi que nous les avons connues. Il n'en a pas toujours été ainsi. En Oleron comme ailleurs, autrefois, régnait la plus grande fantaisie. Chaque façade, de chaque maison, pauvre ou riche, comme partout ailleurs, était ornée d'ocre,de violet, de rose ou de gris. C'est pour une raison bien précise que les choses ont changé ...



En ce temps-là, il y avait en Oleron trois mille deux cent quatre vingt cinq arpents de terres cultivées, onze mille trois cent cinquante six quartiers de vignes labourables, onze cent quatre vingt douze vaches, deux cent soixante dix huit boeufs, quatre mille huit cent neuf moutons et brebis, cinquante neuf moulins à vent, treize mille deux cent vingt quatre habitants ... Et ... trois cent quatre vingt dix bourriques. ...








C'est peu ... Je parle pour ce qui est des bourriques ... Quant aux ânes de toutes espèces, il n'en manquait point dans tout le royaume. Ce temps-là, en effet, était celui, ( On en a partout conservé le souvenir, en Saintonge et dans l'Aunis ...) Ce temps là était celui où, allègrement, on s'égorgeait partout à propos de bondieuseries. Protestants et Catholiques, respectivement sûrs de leur doctrine, rivalisaient d'ardeur pour envoyer leurs voisins en Paradis, faisant assaut de civilités pour hâter un si heureux événement. Oleron, par hasard diront certains, par intelligence prétendront les autres, avait jusque là été épargnée.




Agrippa d'Aubigné, Calviniste, natif de Pons, ville fortifiée sur la route de Saintes à Bordeaux écrivait Les Tragiques. Il portait pourpoint de dorures et large fraise sous le menton ...Tragique époque, en effet, Catherine de Médicis venait de faire assassiner à Paris trois mille protestants pour fêter la Saint Bathélémy. Le roi de Navarre, qui venait d'épouser sa Margot, ne sauva sa vie qu'en abjurant. Aggrippa d'Aubigné écrivait Les Tragiques à la pointe de l'épée, en ravageant la Saintonge et le Bordelais.

Je ne sais si ce fut ce grand poète qui vint en Oleron ... Et puis qu'importe ... Je ne sais si le Seigneur dont je veux conter l'histoire était même Catholique ou Réformé ... Ne cherchons point à le savoir ...

Un certain Sire, donc, Romain ou Calviniste, après avoir ravagé le littoral, entreprend de traverser le coureau pour faire entrer les Oleronnais en Paradis eux-aussi. Pour préparer son temps, fort précieux, il envoie des émissaires précurseurs. Ils débarquent au soir et, pendant toute la nuit, ils s'affairent de leur mieux. Le travail fut fait et bien fait. On n'avait oublié aucun de ceux que l'on promettait d'occire. Chaque maison occupée par une famille du clan adverse fut badigeonnée de blanc... Les fours à chaux ont toujours été nombreux dans la région ... Point de temps perdu, au premier rayon du soleil le Seigneur et ses rêtres sauraient où aller. L'affaire fut menée rondement et avec habileté ... Personne ne s'en aperçut ... C'était réellement du travail bien fait !






On avait compté sans la Providence, qui, parfois, fait bien les choses. On avait compté sans Deny, braconnier de son état, qui avait coutume de poser ses nasses à anguilles dans les fossés, tous les soirs, et de les relever chaque matin ...

Il était Protestant, mais là n'est pas l'objet. En tout cas, c'était un brave homme, chacun pouvait en convenir. Sous l'astre de la nuit, il voit briller avec éclat les façades blanchies. Il se doute de ce qui se passe. Il court d'une seule traite jusqu'au moulin où ses corréligionnaires ont l'habitude de se réunir. Il raconte l'histoire, d'une seule traite, sans reprendre souffle. Ne sachant quel parti prendre, ils se mettent tous en prière. Dieu les entendit semble-t-il ...



L'ouragan se leva brusquement, alors que rien ne l'annonçait. Il enveloppa de son souffle toute l'île, de la pointe de Maumusson à la pointe de Chassiron.

Ah! Ce fut vite fait ... Pas le temps d'en parler ... Les moulins ... Et vous vous souvenez qu'il y en avait cinquante neuf en oleron ... Tous les moulins de l'île se mirent à tourner, à tourner furieusement ... On dit que c'est depuis ce temps-là que leurs ailes sont brisées. En un rien de temps, ils étaient tous vidés de leur farine.

            
Le matin, qui fut bien surpris ? _ Ce fut notre triste Sire : Au premier rayon dardé par le soleil, les maisons de l'île d'Oleron apparurent toute, toutes sans exception, éclatantes d'une même blancheur ...

Fort marri, il repartit vers d'autes cieux. C'est ainsi que, pour cette fois-ci, Calvinistes et Catholiques Romains évitèrent de s'entr'égorger ... Pour cette fois-ci ...

C'est en souvenir de cela que les Oleronnais ont pris l'habitude de reblanchir leurs façades à chaque printemps.


                                    *


Ce fut une époque de folie, de fureur et de sang. En mille cinq cent cinquante deux naquit , de parents Réformés, dans cette Saintonge qui fut si longtemps anglaise, près du donjon de Pons, Théodore Agrippa d'Aubigné. Il est resté, sans aucun doute, l'un des plus grands, sinon le plus grand parmi les grands poètes français, encore que son nom soit méconnu ... Par la parole, par la plume et par l'épée, il fut de tous les combats. Compagnon d'Henri de Navarre, lequel devait devenir Henri Quatre, il fut poursuivi par l'Inquisition. Il dut fuir à Montargis, à Giens, à Orléans. De retour en Saintonge, il se mit, comme simple soldat au service de la cause protestante. Il se battit à Jarnac, Roche-Abeilles, Pons ...


_ " Oh la ! Mon cheval, nous avons bien galopé et beaucoup trotté ... L'heure est venue de reposer nos corps et, pour moi, de saisir la plume ... Déposons l'épée. "


Mais la plume est une arme encore et le style ne saurait être celui des oisifs, des "lépreux de la cervelle"... On ne peut rire "ayant sur soi sa maison démolie". Dans un monde où l'ordre naturel est renversé, où les rois ne sont plus des rois, où les juges sont criminels, où les classes dirigeantes sont corrompues, le poète, pas plus que le soldat, ne trichera ...


"Si quelqu'un me reprend que mes vers échauffés
Ne sont rien que de meurtre et de sang étoffés,
Qu'on n'y lit que fureur, que massacre, que rage
Qu'horreur, malheur, poison, trahison et carnage,
Je lui réponds : Ami, ces mots que tu reprends
Sont les vocables d'art de ce que j'entreprends. "


L' heure est aux pendaisons d'Amboise, aux massacres de Vassy, à ceux de la la Saint-Barthélémy. La Saintonge où les partisans de la Réforme sont nombreux est particulièrement touchée par les combats, les luttes, les guerres, les incendies, les hécatombes. Agrippa d'Aubigné vint-il en Oleron ?



Dans notre île, les Réformés étaient nombreux. La plupart des églises furent démolies, il n'en resta pas pierre sur pierre. Ce fut le cas, tout particulièrement, pour l'église de saint-Denis. Selon les périodes, selon les moments, on s'égorgea, alternativement, entre Catholiques et Protestants.

Il y avait en Oleron trois mille deux cent quatre vingt cinq arpents de terres cultivées, onze mille trois cent cinquante six quartiers de vignes labourables, onze cent quatre vingt douze vaches, deux cent soixante dix huit boeufs, quatre mille huit cent neuf moutons et brebis, cinquante neuf moulins à vent, treize mille deux cent vingt quatre habitants et ... trois cent quatre vingt dix bourriques ...

C'est peu ... Je parle pour ce qui est des bourriques ... Les habitants ? _ Ils devaient bien être aussi sots, mais pas plus, que dans le reste du royaume, ce qui représente déja un nombre conséquent, vu la façon dont ils se conduisaient.



Agrippa d'Aubigné arborait le pourpoint doré. Sa fraise de dentelle lui haussait le menton. Il faut imaginer que bien des Barons , des Ducs et des Princes portaient aussi la fraise ... Ce n'était guère favorable, semble-t-il, à l'acuité de leur jugement. Passe encore qu'ils portent de la dentelle, si, au moins, ils n'avaient point manié la dague et porté l'épée.



                                *


Au moment où commence mon histoire, et je me moque bien qu'on la tienne pour fantasque ou réelle ... Où est le fantasque en cette affaire ? ... Au moment où commence mon histoire, Protestants et Catholiques, dans la Saintonge toute entière rivalisent d'ardeur pour envoyer en Paradis leurs voisins. En Oleron, les villages n'ont pas encore été atteints par cette folie ... On saura se rattraper par la suite et de belle manière !


_" Oh là, mon cheval ! Oh ! "


Une troupe ... Une horde de soldats parvient à la Pointe du Chapus. Leur chef était-il Catholique ou Protestant ? _ Je ne sais ... Et puis, après tout qu'importe ! Je ne sais quelle était la religion du Seigneur qui arrivait là et je ne veux pas le savoir. C'était juste après la Saint-Barthélémy, Henri de Navarre venait juste d'épouser sa Margot; il n'avait sauvé sa vie qu'en abjurant. Agrippa d'Aubigné écrivait Les Tragiques . L'Aquitaine et la Saintonge étaient ravagées.




Un certain Sire, donc, Romain ou Calviniste, ayant tout détruit sur le littoral, entreprend de passer le coureau pour expédier en Paradis ceux qui ne partagent pas ses idées. Pour économiser son temps, fort précieux, et afin qu'il lui en restât pour quelque repos et pour la rédaction de quelque poème peut-être, il envoie des émissaires en éléments précurseurs. Pour sa part, il demande qu'on dresse sa tente et qu'on lui trouve du vin et des huîtres . On en trouve en abondance ... Allons, la nuit sera bonne et la journée du lendemain sera vigoureuse ! On boit, on mange, on dort.




Pendant ce temps, les éclaireurs s'embarquent sur des coques de noix. Profitant du voile de brume ils prennent pied aux environs du rocher d'Ors. Pendant toute la nuit, ils s'affairent de leur mieux ... Ils ne sont guère nombreux, mais la plus grande ardeur les anime, le travail fut fait et bien fait : On n'oublia aucun de ceux que l'on se promettait d'occire ... Chacun, muni d'un seau de bois et d'un gros pinceau, badigeonna de blanc les façades des maisons appartenant aux gens du clan adverse. Point de temps perdu ... Au premier rayon du soleil le Seigneur, ayant passé la mer, saurait où mener ses reîtres, où bouter le feu, où porter l'épée ou bien la dague. Personne ne s'était réveillé. Personne ne s'était aperçu de ce que l'on avait fait ... C'était réellement du travail bien fait !



On avait compté sans la Providence, qui, parfois, fait bien les choses ... On avait compté sans Denys, le bossu, braconnier de son état ... Il avait coutume de poser sa nasse à anguilles, le soir, dans le fossé, et de revenir la chercher au petit matin. Il était Calviniste, mais là n'est point l'important, c'était en tous cas un fort brave homme, chacun pouvait l'attester.





Le petit bossu, avec ses sabots de bois, couvert d'un mauvais bonnet et d'une méchante vareuse de toile, jette sa nasse à l'eau, sous les branches d'un pied de tamarin. En écho au bruit qu'il a fait, il entend courir et chuchoter. Il rampe jusqu'au bout du ruisseau, tout près des premières maisons du village ...Il a tout vu ... Il a tout compris ! Il cavale d'une seule traite jusqu'au moulin où ses coreligionnaires ont l'habitude de se réunir. Il raconte son histoire, sans reprendre son souffle.



_ " ... Et pas une maison de nos amis n'a été épargnée ... La mienne comme les vôtres ... Toutes, toutes marquées de blanc ! "


Il y a là Dandonneau, le marchand de vin, Michon, le Notaire, le grand Caron, avec sa femme et son fils, le menuisier, le forgeron, le charron, le berger et la bergère, huit ou dix fermiers et fermières, riches ou misérables, un pêcheur, le bûcheron, le boulanger ... Et le bon-à rien que tout le monde aime bien comme il est ... Ils portent chapeaux noirs et vêtements sombres. Ils ont tous la Bible à la main. Ne sachant que faire, ils se jettent à genoux et se mettent en prière ... Dieu les entend, semble-t-il :




... Brusquement, le vent se lève ... Rien ne l'avait annoncé ... Un vent ! ... Mais un vent d'une puissance à nulle autre pareille ... Un vent d'apocalypse pour le moins, venant du plus profond de l'univers. Un vent qui saisit, qui enveloppe toute l'île, de la pointe de Maumusson jusqu'à la pointe de Chassiron ...



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Ah ! ... Ce fut vite fait ... En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire ou l'écrire ... Les moulins ... Il faut se souvenir qu'il y avait cinquante neuf moulins en Oleron, ( Il n'en reste aujourd'hui que quelques uns, encore sont-ils décoiffés, pour la plupart. ) ... Tous les moulins de l'île se mettent à tourner, à tourner en vrombissant furieusement ... Certains racontent que, dès ce temps-là, plusieurs moulins en eurent les ailes brisées, les bardeaux de leur toiture arrachés ... En un rien de temps, tous les moulins étaient vidés de leur farine !



Le matin venu, qui fut bien surpris? Ce fut notre triste Sire, passé du Chapus en Oleron ... Au premier rayon du soleil, les maisons de l'île lui apparurent toutes, sans exception, éclatantes d'une même blancheur ...
Il repartit, fort marri, vers d'autres pays. C'est ainsi que, pour cette fois, Catholiques et Calvinistes restèrent en paix.




C'est en souvenir de ces faits que les Oleronnais ont pris l'habitude de blanchir leurs façades à la chaux, chaque printemps. Auparavant, elles affichaient, comme ailleurs, la plus grande fantaisie, ornées d'ocre, de violet, de rose ou de gris ...




( A propos ... Saviez-vous qu'Aggrippa d'Aubigné, le Saintongeais, était le grand-père de Madame de Maintenon - qui épousa Louis XIV ? )



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