LE SEA QUEEN
_" Je me nomme William Martin. Je suis Capitaine-au-long-cours. Je demeure dans le comté d' Essex, à Colchester, 18, Greffield Road.
_" J'ai commandé l' "Héliopolis", pour un voyage de Hong-Kong à Durban, en Afrique-du-Sud. C'était un navire de cent vingt tonneaux et demis, immatriculé à Londres.
_" Le dix-neuf février mille neuf cent dix, faisant route vers le cap Ambre, pointe nord de Madagascar, nous apercevons un bateau, vers huit heures du matin. Il se trouve au large, par bâbord à nous. Il est environ huit heures trente lorsque je fais mettre le cap dans sa direction. Vers huit heures cinquante, nous sommes à son côté.
_ Nous lançons une échelle de corde. Le patron monte à notre bord. C'est un Créole. Il parle très mal l'Anglais. Personne ne comprend son patois. Nous finissons tout de même par deviner que son port d'attache est Mahé, dans l'archipel des Seychelles. Son esquif est un bateau de pêche. Il transporte trois hommes, qui sont tous en bonne santé. Mais les réserves d'eau et de vivres sont épuisées. Il ne leur reste que du riz, dont nous comprenons qu'ils ont une bonne quantité. Ils sont perdus. Ils ont navigué pendant un nombre considérable de jours et de semaines. Ils n'ont aucune idée de la route à faire pour rejoindre le groupe d'îles dont ils se sont écartés."
****
_" Je m'appelle Josué Green. Je suis Seychellois, originaire de Mahé. A dix neuf ans je me suis embarqué comme troisième matelot à bord du "See-Queen", un bateau de vingt cinq pieds appartenant à mon père, William Green, demeurant à l'Anse-Royale, à Mahé. Ce bateau était gréé en goélette et pouvait charger quatre tonnes.
_" Le Capitaine était Arthémar Vidot. C'était un vieux loup-de-mer. Il avait peu d'instruction, certes, mais il n'avait pas son pareil pour présenter l'étrave à l'endroit exact de la vague où elle doit être attaquée. Il avait passé sa vie entière à pêcher dans les parages de nos îles et de nos récifs. Le second-matelot s'appelait Henry Clotilde.
_" Nous appareillons de Victoria le huit janvier mille neuf cent dix. Il est à peu près vingt deux heures ... C'est une heure bien tardive pour hisser les voiles, c'est vrai, Mais le voyage que nous avons à faire est si court ! Vers le nord-est, le ciel est chargé mais, au moment où nous sortons du port, la lune nous éclaire bien ... Et puis, encore une fois ... Le trajet que nous avons à faire est si court : nous en connaissons tout puisque c'est chez nous, à l'Anse-Royale, que nous allons ... à moins de dix milles de notre point de départ !
"Nous avons chargé une tonne de riz. Nous devons ensuite le transporter vers l'Ile-du-Nord, d'où nous rapporterons en échange une cargaison de guano pour Takamaka, dans l'île de Mahé.
****
_"C'est le dix neuf février mille neuf cent dix que nous avons rencontré le "See-Queen" et son équipage de trois hommes. Ils étaient tous en bonne santé, mais ils n'avaient plus ni vivres ni eau. Nous avons compris qu'ils avaient du riz en abondance, mais seulement du riz. Ils s'étaient perdus et avaient navigué pendant un nombre considérable de jours et de semaines. Ils ne savaient pas quelle route adopter pour rejoindre le groupe d'îles dont ils s'étaient écartés. Le patron est monté à notre bord.
_" Nous avons essayé de le convaincre qu'il valait mieux abandonner son bateau. Cela valait beaucoup mieux pour lui et pour ses deux matelots. Nous avons insisté : Je lui ai même offert de prendre son bateau en remorque et de me détourner de ma route pour le conduire à Farquhar. Il ne voulait rien savoir. Il me demandait de le ravitailler en eau et en nourriture et de bien lui expliquer la route à suivre pour rejoindre les Seychelles. Il se faisait fort, moyennant cela, de les atteindre sans difficulté. Je lui ai montré sur la carte la position de Farquhar, terre la plus proche. Je lui ai montré aussi la position de Mahé, île vers laquelle il voulait à tout prix se diriger. La discussion a été longue.
_" La brise portait à l'ouest-sud-ouest. Elle lui était favorable. Je finis par me laisser convaincre et par me résigner à le laisser faire ce qu'il voulait : il semblait intelligent et sûr de lui. Rien ne semblait justifier un éventuel recours à la force.
_" Nous lui avons expliqué longuement la route à suivre, vers le nord-nord-est pour tenir compte du sens et de la force des courants. Sauf imprévu, il arriverait par le sud à l'une ou l'autre des îles du groupe qu'il voulait atteindre ...
****
_"Je ne saurais dire pendant combien de temps nous avions couru ... Notre compas était juste mais ... Allez donc savoir où vous mène votre route, lorsque vous ne savez pas où vous vous trouvez !
_"Il nous semblait que nous devions faire le tour de la terre sans apercevoir, jamais, aucun rivage ...
_" La traversée que nous avions prévue était si courte, pourtant ! Chaque détail nous en était connu : C'était chez nous, à l'Anse-Royale, que nous nous rendions ...
" Et puis tout à coup, le vent se lève. Il devient très mauvais. L'horizon se bouche. La pluie se met à tomber lourdement. La mer se gonfle. Nous courons droit devant nous ... longuement ... jusqu'aux alentours de midi. Le temps se lève. Le mauvais temps nous a complètement écartés de notre route : Il n'y a plus aucune terre en vue ! Alors nous avons navigué, navigué ... Tantôt dans les calmes, tantôt poussés par le vent, nous efforçant sans cesse d'apercevoir une terre ... n'en voyant jamais apparaître aucune ...
_" Nous avions quelques réserves d'eau. Elles n'étaient pas inépuisables ... Nous avons dû la rationner. Heureusement, les averses sont fréquentes à cette saison : Nous avons recueilli un peu d'eau douce à chaque pluie. Nos réserves de nourriture étaient encore plus réduites ... A l'exception du riz, bien sûr ... dont la cale était pleine ! ... Nous avons mangé du riz ... Et puis nous avons pêché un peu.
_" Je ne saurais dire pendant combien de temps notre bateau a couru ainsi : Il semblait que nous devions faire le tour de la terre sans jamais apercevoir aucune rivage ! ... Et puis un jour ... Alors que nous n'avions presque plus rien à boire ... Un grand vaisseau se montre à l'horizon !
_" C'était un paquebot. A sa poupe, j'ai pu lire le mot "Liverpool" ... Mais je n'ai pas pu voir son nom. Notre Capitaine est monté à son bord. Il a demandé que l'on veuille bien nous embarquer tous. On le lui a refusé. On lui a donné quelques pommes de terre, des oignons et un baril d'eau douce, ainsi que quelques vêtements. On lui a conseillé de faire route au nord-nord-est par rapport à l'endroit où nous trouvions ...
****
_"Nous lui avons expliqué soigneusement la route à faire, vers le nord-nord-est pour tenir compte du sens et de la force des courants ... Sauf imprévu, ils devaient arriver par le sud jusqu'à l'une ou l'autre des îles du groupe qu'ils voulaient atteindre ...
_" J'imagine que l'équipage, qui avait été longtemps rationné avant notre rencontre s'est immédiatement mis à boire et à manger jusqu'à satiété complète ... Ils ont dû s'assoupir et dormir pendant que leur bateau s'écartait de sa route : C'est la seule façon d'expliquer que ce bateau, malgré les conditions favorables, ait pu rater sa destination.
****
_"Nous avons continué à naviguer sans savoir où nous nous trouvions. Nous avions perdu toute notion du temps, toute notion des dates ... Jusqu'à ce que toute l'eau douce ait été consommée. Nous avons encore, parfois, eu un peu de pluie. Nous avons, chaque fois, recueilli autant d'eau que nous l'avons pu. Nous avons pêché quelques poissons ... Comme nous n'avions ni eau douce ni combustible, nous avons dû les manger crus. Pour ma part, j'en ai été réduit à boire de l'eau salée. J'en ai bu pendant presque un mois je pense, avant d'être secouru.
_"Je ne me souviens pas du tout de ce qui s'est passé ... Ni des dates ... Henry Clotilde est mort avant que notre provision de pommes de terre soit épuisée ... Nous avons jeté son corps par-dessus bord. Le Capitaine est mort avant que je ne sois moi-même sauvé. Il ne me restait pas assez de forces pour jeter son corps par-dessus bord.
_" Avant d'être sauvé, j'avais aperçu deux vapeurs, déjà ... Mais je présume qu'ils ne m'ont pas aperçu : Ils ont poursuivi leur route.
_" Le sept mai, c'est le "Telemachus" que j'ai aperçu. Il allait très vite. J'ai pensé qu'il allait, lui-aussi, poursuivre sa route. Je n'avais que très peu d'espoir ... Puis je le vis faire demi-tour et revenir. Vous pensez comme ma joie fut immense !
****
_ " Je m'appelle Goodwin. Je commande le "Telemaque", de Liverpool, appartenant à Messieurs Holts. Le sept mai mille neuf cent dix, par 9° 38 de latitude sud et par 65° 34 de longitude est, mon navire a rencontré un bateau, nommé le "See-Queen", du port de Victoria, dans l'île de Mahé des Seychelles. On pouvait, à la lunette, apercevoir un seul homme à bord. Je me suis douté que ce bateau était en difficulté. Je me suis rangé à son côté.
_" Grâce à une ligne, j'ai fait tout de suite descendre une bouteille d'eau. J'ai ensuite fait monter à mon bord l'homme qui était sur le pont de ce bateau. Je lui ai fait donner tous les soins que nécessitait son état et je l'ai emmené jusqu'à Singapour, qui était ma destination. Là-bas, il a été immédiatement pris en charge par le Foyer du Marin et j'ai appris qu'il avait été embarqué sur le "Umvoti" à destination de l'île Maurice, relativement proche des îles Seychelles et reliée à celles-ci par des lignes régulières. Je suis heureux d'avoir pu rendre service à l'un des membres de la communauté seychelloise.
****
_" Il est venu tout près de moi. On m'a descendu une bouteille d'eau. Depuis combien de temps n'avais-je plus d'eau douce ?_ Elle me rendit la vie. On me fit monter à bord du vapeur ...
_" Notre Capitaine était toujours dans le bateau ... Mort ... Pour ma part, je n'aurais pas pu résister bien longtemps encore ! ... Le Commandant du vapeur a fait examiner mon bateau, puis il l'a fait détruire par le feu pour qu'il ne constitue pas un danger à la navigation. A bord du "Telemaque", tout ce que l'on pouvait faire pour moi a été fait. Très vite, je me sentis mieux.
_" On m'a appris que j'avais été retrouvé à mille quarante milles de Mahé. Comment suis-je arrivé jusque-là ? _ Je l'ignore complètement !
_ " Je suis arrivé à l'île Maurice, venant de Singapour, par le navire "Umvoti". J'ai été accueilli au Foyer du Marin et j'y ai été hébergé. Une avance de dix roupies m'a été faite, pour que je puisse acheter quelques affaires en vue de mon voyage de retour vers les Seychelles. Je suis revenu à Victoria par le bateau seychellois "L'Union-La Digue", quittant Maurice le 26 juillet. Vous imaginez mon bonheur, en abordant à Mahé ! ... J'avais quitté mon pays le huit janvier !
Références : Archives Nationales des Seychelles, code B 50, page 51
_" J'ai commandé l' "Héliopolis", pour un voyage de Hong-Kong à Durban, en Afrique-du-Sud. C'était un navire de cent vingt tonneaux et demis, immatriculé à Londres.
_" Le dix-neuf février mille neuf cent dix, faisant route vers le cap Ambre, pointe nord de Madagascar, nous apercevons un bateau, vers huit heures du matin. Il se trouve au large, par bâbord à nous. Il est environ huit heures trente lorsque je fais mettre le cap dans sa direction. Vers huit heures cinquante, nous sommes à son côté.
_ Nous lançons une échelle de corde. Le patron monte à notre bord. C'est un Créole. Il parle très mal l'Anglais. Personne ne comprend son patois. Nous finissons tout de même par deviner que son port d'attache est Mahé, dans l'archipel des Seychelles. Son esquif est un bateau de pêche. Il transporte trois hommes, qui sont tous en bonne santé. Mais les réserves d'eau et de vivres sont épuisées. Il ne leur reste que du riz, dont nous comprenons qu'ils ont une bonne quantité. Ils sont perdus. Ils ont navigué pendant un nombre considérable de jours et de semaines. Ils n'ont aucune idée de la route à faire pour rejoindre le groupe d'îles dont ils se sont écartés."
****
_" Je m'appelle Josué Green. Je suis Seychellois, originaire de Mahé. A dix neuf ans je me suis embarqué comme troisième matelot à bord du "See-Queen", un bateau de vingt cinq pieds appartenant à mon père, William Green, demeurant à l'Anse-Royale, à Mahé. Ce bateau était gréé en goélette et pouvait charger quatre tonnes.
_" Le Capitaine était Arthémar Vidot. C'était un vieux loup-de-mer. Il avait peu d'instruction, certes, mais il n'avait pas son pareil pour présenter l'étrave à l'endroit exact de la vague où elle doit être attaquée. Il avait passé sa vie entière à pêcher dans les parages de nos îles et de nos récifs. Le second-matelot s'appelait Henry Clotilde.
_" Nous appareillons de Victoria le huit janvier mille neuf cent dix. Il est à peu près vingt deux heures ... C'est une heure bien tardive pour hisser les voiles, c'est vrai, Mais le voyage que nous avons à faire est si court ! Vers le nord-est, le ciel est chargé mais, au moment où nous sortons du port, la lune nous éclaire bien ... Et puis, encore une fois ... Le trajet que nous avons à faire est si court : nous en connaissons tout puisque c'est chez nous, à l'Anse-Royale, que nous allons ... à moins de dix milles de notre point de départ !
"Nous avons chargé une tonne de riz. Nous devons ensuite le transporter vers l'Ile-du-Nord, d'où nous rapporterons en échange une cargaison de guano pour Takamaka, dans l'île de Mahé.
****
_"C'est le dix neuf février mille neuf cent dix que nous avons rencontré le "See-Queen" et son équipage de trois hommes. Ils étaient tous en bonne santé, mais ils n'avaient plus ni vivres ni eau. Nous avons compris qu'ils avaient du riz en abondance, mais seulement du riz. Ils s'étaient perdus et avaient navigué pendant un nombre considérable de jours et de semaines. Ils ne savaient pas quelle route adopter pour rejoindre le groupe d'îles dont ils s'étaient écartés. Le patron est monté à notre bord.
_" Nous avons essayé de le convaincre qu'il valait mieux abandonner son bateau. Cela valait beaucoup mieux pour lui et pour ses deux matelots. Nous avons insisté : Je lui ai même offert de prendre son bateau en remorque et de me détourner de ma route pour le conduire à Farquhar. Il ne voulait rien savoir. Il me demandait de le ravitailler en eau et en nourriture et de bien lui expliquer la route à suivre pour rejoindre les Seychelles. Il se faisait fort, moyennant cela, de les atteindre sans difficulté. Je lui ai montré sur la carte la position de Farquhar, terre la plus proche. Je lui ai montré aussi la position de Mahé, île vers laquelle il voulait à tout prix se diriger. La discussion a été longue.
_" La brise portait à l'ouest-sud-ouest. Elle lui était favorable. Je finis par me laisser convaincre et par me résigner à le laisser faire ce qu'il voulait : il semblait intelligent et sûr de lui. Rien ne semblait justifier un éventuel recours à la force.
_" Nous lui avons expliqué longuement la route à suivre, vers le nord-nord-est pour tenir compte du sens et de la force des courants. Sauf imprévu, il arriverait par le sud à l'une ou l'autre des îles du groupe qu'il voulait atteindre ...
****
_"Je ne saurais dire pendant combien de temps nous avions couru ... Notre compas était juste mais ... Allez donc savoir où vous mène votre route, lorsque vous ne savez pas où vous vous trouvez !
_"Il nous semblait que nous devions faire le tour de la terre sans apercevoir, jamais, aucun rivage ...
_" La traversée que nous avions prévue était si courte, pourtant ! Chaque détail nous en était connu : C'était chez nous, à l'Anse-Royale, que nous nous rendions ...
" Et puis tout à coup, le vent se lève. Il devient très mauvais. L'horizon se bouche. La pluie se met à tomber lourdement. La mer se gonfle. Nous courons droit devant nous ... longuement ... jusqu'aux alentours de midi. Le temps se lève. Le mauvais temps nous a complètement écartés de notre route : Il n'y a plus aucune terre en vue ! Alors nous avons navigué, navigué ... Tantôt dans les calmes, tantôt poussés par le vent, nous efforçant sans cesse d'apercevoir une terre ... n'en voyant jamais apparaître aucune ...
_" Nous avions quelques réserves d'eau. Elles n'étaient pas inépuisables ... Nous avons dû la rationner. Heureusement, les averses sont fréquentes à cette saison : Nous avons recueilli un peu d'eau douce à chaque pluie. Nos réserves de nourriture étaient encore plus réduites ... A l'exception du riz, bien sûr ... dont la cale était pleine ! ... Nous avons mangé du riz ... Et puis nous avons pêché un peu.
_" Je ne saurais dire pendant combien de temps notre bateau a couru ainsi : Il semblait que nous devions faire le tour de la terre sans jamais apercevoir aucune rivage ! ... Et puis un jour ... Alors que nous n'avions presque plus rien à boire ... Un grand vaisseau se montre à l'horizon !
_" C'était un paquebot. A sa poupe, j'ai pu lire le mot "Liverpool" ... Mais je n'ai pas pu voir son nom. Notre Capitaine est monté à son bord. Il a demandé que l'on veuille bien nous embarquer tous. On le lui a refusé. On lui a donné quelques pommes de terre, des oignons et un baril d'eau douce, ainsi que quelques vêtements. On lui a conseillé de faire route au nord-nord-est par rapport à l'endroit où nous trouvions ...
****
_"Nous lui avons expliqué soigneusement la route à faire, vers le nord-nord-est pour tenir compte du sens et de la force des courants ... Sauf imprévu, ils devaient arriver par le sud jusqu'à l'une ou l'autre des îles du groupe qu'ils voulaient atteindre ...
_" J'imagine que l'équipage, qui avait été longtemps rationné avant notre rencontre s'est immédiatement mis à boire et à manger jusqu'à satiété complète ... Ils ont dû s'assoupir et dormir pendant que leur bateau s'écartait de sa route : C'est la seule façon d'expliquer que ce bateau, malgré les conditions favorables, ait pu rater sa destination.
****
_"Nous avons continué à naviguer sans savoir où nous nous trouvions. Nous avions perdu toute notion du temps, toute notion des dates ... Jusqu'à ce que toute l'eau douce ait été consommée. Nous avons encore, parfois, eu un peu de pluie. Nous avons, chaque fois, recueilli autant d'eau que nous l'avons pu. Nous avons pêché quelques poissons ... Comme nous n'avions ni eau douce ni combustible, nous avons dû les manger crus. Pour ma part, j'en ai été réduit à boire de l'eau salée. J'en ai bu pendant presque un mois je pense, avant d'être secouru.
_"Je ne me souviens pas du tout de ce qui s'est passé ... Ni des dates ... Henry Clotilde est mort avant que notre provision de pommes de terre soit épuisée ... Nous avons jeté son corps par-dessus bord. Le Capitaine est mort avant que je ne sois moi-même sauvé. Il ne me restait pas assez de forces pour jeter son corps par-dessus bord.
_" Avant d'être sauvé, j'avais aperçu deux vapeurs, déjà ... Mais je présume qu'ils ne m'ont pas aperçu : Ils ont poursuivi leur route.
_" Le sept mai, c'est le "Telemachus" que j'ai aperçu. Il allait très vite. J'ai pensé qu'il allait, lui-aussi, poursuivre sa route. Je n'avais que très peu d'espoir ... Puis je le vis faire demi-tour et revenir. Vous pensez comme ma joie fut immense !
****
_ " Je m'appelle Goodwin. Je commande le "Telemaque", de Liverpool, appartenant à Messieurs Holts. Le sept mai mille neuf cent dix, par 9° 38 de latitude sud et par 65° 34 de longitude est, mon navire a rencontré un bateau, nommé le "See-Queen", du port de Victoria, dans l'île de Mahé des Seychelles. On pouvait, à la lunette, apercevoir un seul homme à bord. Je me suis douté que ce bateau était en difficulté. Je me suis rangé à son côté.
_" Grâce à une ligne, j'ai fait tout de suite descendre une bouteille d'eau. J'ai ensuite fait monter à mon bord l'homme qui était sur le pont de ce bateau. Je lui ai fait donner tous les soins que nécessitait son état et je l'ai emmené jusqu'à Singapour, qui était ma destination. Là-bas, il a été immédiatement pris en charge par le Foyer du Marin et j'ai appris qu'il avait été embarqué sur le "Umvoti" à destination de l'île Maurice, relativement proche des îles Seychelles et reliée à celles-ci par des lignes régulières. Je suis heureux d'avoir pu rendre service à l'un des membres de la communauté seychelloise.
****
_" Il est venu tout près de moi. On m'a descendu une bouteille d'eau. Depuis combien de temps n'avais-je plus d'eau douce ?_ Elle me rendit la vie. On me fit monter à bord du vapeur ...
_" Notre Capitaine était toujours dans le bateau ... Mort ... Pour ma part, je n'aurais pas pu résister bien longtemps encore ! ... Le Commandant du vapeur a fait examiner mon bateau, puis il l'a fait détruire par le feu pour qu'il ne constitue pas un danger à la navigation. A bord du "Telemaque", tout ce que l'on pouvait faire pour moi a été fait. Très vite, je me sentis mieux.
_" On m'a appris que j'avais été retrouvé à mille quarante milles de Mahé. Comment suis-je arrivé jusque-là ? _ Je l'ignore complètement !
_ " Je suis arrivé à l'île Maurice, venant de Singapour, par le navire "Umvoti". J'ai été accueilli au Foyer du Marin et j'y ai été hébergé. Une avance de dix roupies m'a été faite, pour que je puisse acheter quelques affaires en vue de mon voyage de retour vers les Seychelles. Je suis revenu à Victoria par le bateau seychellois "L'Union-La Digue", quittant Maurice le 26 juillet. Vous imaginez mon bonheur, en abordant à Mahé ! ... J'avais quitté mon pays le huit janvier !
Références : Archives Nationales des Seychelles, code B 50, page 51
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire