COMPOSTELLE
– LE CHEMIN D’ARLES …
ARLES
CHANSON
La meilleure façon de marcher,
Qui doit être la nôtre
C’est de mettre un pied devant l’autre
Et de recommencer …
TOULOUSE
Tu marches sur les os du temps …
La ville tragique a disparu dès
le premier tournant. Le mas qui gère la manade se nomme le mas des bernacles.
Passent canards en vol. Fleurissent les aigrettes blanches. Le héron est aussi
immobile qu’un bois mort. Va ! Passe les ponts ! La voie solitaire
rectiligne est sûre : Un fossé à droite, un fossé à gauche, des barrières
et des clôtures. On a fauché les roseaux. Il pleut, ou plutôt il bruine, et
cela suffit sans doute pour laver les avant-hier sur ton visage et sur tes
mains. Tu pars vers des aubes plus anciennes, sans doute pour de nouveaux
lendemains. Va ! D’autres sont passés avant toi, beaucoup d’autres, et
d’autres encore passeront, sac au dos, le cœur ouvert. Tu n’es pas d’ici, va
donc voir ailleurs !
Où donc, si ce n’est là-bas où se
dresse je ne sais quoi de blanc, château d’eau peut-être, ou bien silo? …
Un clocher encore ? Dans cette contrée fluviale, bateliers et rouleurs ont
bâti des sanctuaires de pierre. Allons, va, longe les canaux de béton, traverse
ponts et passerelles. Ce n’est point là ton domaine : Ici se sont établis
les marchands de fruits, marchands de céréales, marchands de vin. Tu n’es pas
établi : Va plus outre dès demain, dans le petit matin ! … C’est
toujours au petit matin que s’ouvrent les fleurs.
TOULOUSE - LES JACOBINS.
Tu chemines sur les os du temps,
anguleux et durs. La borne milliaire n’est pas une limite, elle compte les pas…
Il faut la dépasser, elle est là pour ça. Les chars romains ont creusé de
profondes ornières sur les dalles, autre mesure du temps ! Il faut
remonter encore plus avant, fouler les thyms en fleurs, les romarins, passer
entre les près où piaffent les chevaux gris, longer les ruchers actifs, les
vergers empanachés … Essaie de ne pas trop approcher la blessure de
l’autoroute, évite les contrées envahies par les zones industrielles et
commerciales et, si tu dois cependant t’y aventurer, fais-le en chantant. Cela
fait partie du jeu, cela et le goudron… On finit par s’en extraire, va !
Mais la ville est là,
monstrueuse, sillonnée en tous sens par des véhicules clos de toutes formes, de
toutes tailles, bruyantes et sourdes. Vois ce qu’il y a à voir, peu de choses
au reste, mais certaines admirables. Le plus vite possible, sors de là.
St. Jean Pied de Port
Je sais qu’un enfant assoiffé est
passé par là. Il a échappé aux pendaisons et aux fusillades. Ses poches sont
pleines de cailloux et ses poings sont fermés. Sale gosse ! Il a usé ses
semelles sur les ossements qui jonchent tous les chemins du monde, crachant
vers le ciel des blasphèmes et des injures : Autant de cris d’amour !
Il va droit devant, marchant vers des palais de cristal que l’instant détruit
l’un après l’autre, dès le franchissement des portes : Tordeur de chaînes,
porteur de torche, allumeur d’images … As-tu vu le lac bleu dans la
vallée ?
Au long de l’étroit sentier, il
t’a bien fallu pousser devant toi les moutons égarés, jusqu’à ce qu’ils
trouvent dans la clôture le trou qui leur a permis de rejoindre le troupeau.
Va ! La gourde est vide, mais tu finiras bien par trouver de l’eau !
Pampelune
Il y a plus de mille ans, le
Diable a construit le pont… L’eau … L’eau et le temps ont creusé les falaises,
gorges, gouffres, précipices. Combien de millions d’années a-t-il fallu pour
que le fleuve en rut, saison après saison, s’enfonce dans ces cavernes et dans
ces grottes ? Ô cascades claires, ruissellements, bouillonnements,
brillances, éclairs, calmes et brusques mouvements ! Dans la fente du roc,
l’homme a bâti le sanctuaire … Faut-il y croire ? … Ô, touristes,
promeneurs traînant les pieds, montant la ruelle en mangeant des
hamburgers ! Sous la voûte très ancienne, des vierges chantent des vêpres
solennelles.
Les chemins en lacets montent aux
falaises. Les caillasses roulent sous les pas ? Ah ! Le lézard vert
serti sur la dalle de craie ! Immobile, les yeux d’or, paupières
battantes, ocelles bleus sertis de noir … Mon frère le lézard aux flancs
haletants … C’est rêver ! Il faut pourtant que tu montes. Ivresse da ns le
ciel où moutonnent les collines vertes pressées. Le lac te regarde
encore ; Il faut aller plus haut, plus loin, remonter l’espace et le
temps. Ici, il reste des tertres de pierres empilées. Il faut aller ailleurs.
Pointe sonore du bâton…
Burgos
Pur. Ah ! Pur ! Où, dans la roche ; où, dans le ciel ; où, le pur diamant ? Sur le tranchant des pierres, que l’on nous conduise aux déserts du sel, aux portes des monts de cristal !
Asphodèles, épines, le goût du
fer et de l’anthracite à la fois … Pur et seul, et chantonnant tout bas des
chansons très simples, des chansons d’innocents. Ah ! Très pur ! Lame
claire !
Leon
Ce sera ensuite pays plus humain et plus civilisé, plus tendre. Il se révèlera sous la pluie. Après l’essor des flèches et des ogives, c’est retour vers le sol par l’arcade romane, vers le cœur de l’homme, retour sur soi. Marche dans tes pensées … Les terres sont peignées, apprêtées, les forêts ne sont plus les mêmes. Contrastes des couleurs… Ors des colzas … Vert frais des semis de maïs ou de blé, glauque des forêts de mélèzes puis ceux, plus légers, des bois de hêtres ou de chênes … Bruns et rouges des labours minutieux … Pour l’instant, la terre est à sa première toilette ? Ô, formes de l’esprit, semblables à ces jardins japonais, où à ces cloîtres d’antan, toujours peignés, toujours ratissés de neuf ! …
Caque chose à sa place et la
place pour l’esprit ! Méditation, promesses de fenaisons très belles, de
lourdes moissons, d’abondantes vendanges …
Puis c’est encore une très
vieille cité, que domine sa cathédrale, vaste vaisseau dont la proue laboure
depuis cinq siècles les mêmes vagues de pierre au flanc de la colline. Cité
chargée d’histoire et de houles, garderas-tu la piété ? … En ce dimanche
de printemps, un archevêque consacre un prêtre nouveau. Rare cérémonial, par
les temps qui vont ! Pourpres, ors, blancs immaculés, onctions et chants …
Le nouveau vicaire nous enseignera-t-il la jolie fleur de l’ancolie, celle du
« dicentra spectabilis », dite « cœur de Marie ?
Saura-t-il, par la création, nous conduire au Créateur ? Ô, Seigneur,
donnez-nous des poètes et des prêtres, donnez-nous des poètes qui soient des
prêtres, donnez-nous des médiateurs, des intercesseurs, des
introducteurs ! … Ô, que le prêtre nous apprenne à voir ! … Mais,
pour nos enfants, y aura-t-il encore des prêtres, y aura-t-il encore des
poètes ?
Dans les travées de la
cathédrale, exceptionnellement remplies, se presse une foule de vieillards. Les
officiants sont plus vieux encore, quoique nombreux. Nos enfants
connaîtront-ils encore les noms des Saints, les noms des fleurs, ou bien
inventeront-ils d’autres voies, d’autres chemins ? … Il est temps encore,
mais que l’anabase, vite, s’accomplisse ! Que l’on assure la fondation de
villes neuves et pures !
De la vieille cité, il te faudra
sortir encore. Tu reprendras le chemin que les pluies ont noyé. Tu peineras, tu
glisseras, tu chuteras. Un matin, pourtant, le voile se déchirera, le nuage
s’ouvrira. Alors, au détour d’un champ, à la sortie d’une forêt, à la crête
d’une colline, au sortir d’une pensée surprise, la beauté de toute une chaîne
de montagnes encore couronnées de neige se manifestera, remplie de lumière.
Elle s’impose à l’évidence. On ne la discute pas ? Ombres et clartés … On
admire !
Peut-être bien que tu auras alors
trouvé ce que tu cherchais dans ce long voyage ?
Marcheras-tu jusqu’au champ des
étoiles ? Qu’y trouverais-tu, autre qu’une très vieille légende ?
- «
Eh ! Qu’importe ! … Croire ou douter, c’est exactement la même chose,
après tout, n’est-ce pas ? … Seule l’indifférence est impie.
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