ALPHONSE DAUDET :
le sous-préfet aux
champs.
M. le
sous-préfet est en tournée. Cocher devant, laquais derrière, la calèche de la
sous-préfecture l’emporte majestueusement au concours régional de la
Combe-aux-Fées. Pour cette journée mémorable, M. le sous-préfet a mis son bel
habit brodé, son petit claque, sa culotte collante à bandes d’argent et son
épée de gala à poignée de nacre… Sur ses genoux repose une grande serviette en
chagrin gaufré qu’il regarde tristement.
M. le
sous-préfet regarde tristement sa serviette en chagrin gaufré ; il songe
au fameux discours qu’il va falloir prononcer tout à l’heure devant les
habitants de la Combe-aux-Fées :
—
Messieurs et chers administrés…
Mais
il a beau tortiller la soie blonde de ses favoris et répéter vingt fois de
suite :
—
Messieurs et chers administrés… la suite du discours ne vient pas.
LA PROVENCE DES LAVANDES
La
suite du discours ne vient pas… Il fait si chaud dans cette calèche !… À
perte de vue, la route de la Combe-aux-Fées poudroie sous le soleil du Midi…
L’air est embrasé… et sur les ormeaux du bord du chemin, tout couverts de
poussière blanche, des milliers de cigales se répondent d’un arbre à l’autre…
Tout à coup M. le sous-préfet tressaille. Là-bas, au pied d’un coteau, il vient
d’apercevoir un petit bois de chênes verts qui semble lui faire signe.
Le
petit bois de chênes verts semble lui faire signe :
—
Venez donc par ici, monsieur le sous-préfet ; pour composer votre
discours, vous serez beaucoup mieux sous mes arbres…
M. le
sous-préfet est séduit ; il saute à bas de sa calèche et dit à ses gens de
l’attendre, qu’il va composer son discours dans le petit bois de chênes verts.
Dans
le petit bois de chênes verts il y a des oiseaux, des violettes, et des sources
sous l’herbe fine… Quand ils ont aperçu M. le sous-préfet avec sa belle culotte
et sa serviette en chagrin gaufré, les oiseaux ont eu peur et se sont arrêtés
de chanter, les sources n’ont plus osé faire de bruit, et les violettes se sont
cachées dans le gazon… Tout ce petit monde-là n’a jamais vu de sous-préfet, et
se demande à voix basse quel est ce beau seigneur qui se promène en culotte
d’argent.
LA MONTAGNE SAINTE VICTOIRE
À
voix basse, sous la feuillée, on se demande quel est ce beau seigneur en
culotte d’argent… Pendant ce temps-là, M. le sous-préfet, ravi du silence et de
la fraîcheur du bois, relève les pans de son habit, pose son claque sur l’herbe
et s’assied dans la mousse au pied d’un jeune chêne ; puis il ouvre sur
ses genoux sa grande serviette de chagrin gaufré et en tire une large feuille
de papier ministre.
—
C’est un artiste ! dit la fauvette.
—
Non, dit le bouvreuil, ce n’est pas un artiste, puisqu’il a une culotte en
argent ; c’est plutôt un prince.
—
C’est plutôt un prince, dit le bouvreuil.
— Ni
un artiste, ni un prince, interrompt un vieux rossignol, qui a chanté toute une
saison dans les jardins de la sous-préfecture… Je sais ce que c’est :
c’est un sous-préfet !
Et
tout le petit bois va chuchotant :
—
C’est un sous-préfet ! c’est un sous-préfet !
—
Comme il est chauve ! remarque une alouette à grande huppe.
Les
violettes demandent :
—
Est-ce que c’est méchant ?
—
Est-ce que c’est méchant ? demandent les violettes.
Le
vieux rossignol répond :
— Pas
du tout !
LE PAYS D'EN HAUT
Et
sur cette assurance, les oiseaux se remettent à chanter, les sources à courir,
les violettes à embaumer, comme si le monsieur n’était pas là… Impassible au
milieu de tout ce joli tapage, M. le sous-préfet invoque dans son cœur la Muse
des comices agricoles, et, le crayon levé, commence à déclamer de sa voix de
cérémonie :
—
Messieurs et chers administrés…
—
Messieurs et chers administrés, dit le sous-préfet de sa voix de cérémonie…
Un éclat
de rire l’interrompt ; il se retourne et ne voit rien qu’un gros pivert
qui le regarde en riant, perché sur son claque. Le sous-préfet hausse les
épaules et veut continuer son discours ; mais le pivert l’interrompt
encore et lui crie de loin :
— À
quoi bon ?
—
Comment ! à quoi bon ? dit le sous-préfet, qui devient tout
rouge ; et, chassant d’un geste cette bête effrontée, il reprend de plus
belle :
—
Messieurs et chers administrés…
—
Messieurs et chers administrés…, a repris le sous-préfet de plus belle.
LA CAMARGUE
Mais
alors, voilà les petites violettes qui se haussent vers lui sur le bout de
leurs tiges et qui lui disent doucement :
—
Monsieur le sous-préfet, sentez-vous comme nous sentons bon ?
Et
les sources lui font sous la mousse une musique divine ; et dans les
branches, au-dessus de sa tête, des tas de fauvettes viennent lui chanter leurs
plus jolis airs ; et tout le petit bois conspire pour l’empêcher de
composer son discours.
Tout
le petit bois conspire pour l’empêcher de composer son discours… M. le sous-préfet,
grisé de parfums, ivre de musique, essaye vainement de résister au nouveau
charme qui l’envahit. Il s’accoude sur l’herbe, dégrafe son bel habit, balbutie
encore deux ou trois fois :
—
Messieurs et chers administrés… Messieurs et chers admi… Messieurs et chers…
Puis
il envoie les administrés au diable ; et la Muse des comices agricoles n’a
plus qu’à se voiler la face.
Voile-toi
la face, ô Muse, des comices agricoles !… Lorsque, au bout d’une heure,
les gens de la sous-préfecture, inquiets de leur maître, sont entrés dans le
petit bois, ils ont vu un spectacle qui les a fait reculer d’horreur… M. le
sous-préfet était couché sur le ventre, dans l’herbe, débraillé comme un
bohème. Il avait mis son habit bas ;… et, tout en mâchonnant des violettes,
M. le sous-préfet faisait des vers.
LA PROVENCE DE LA CÔTE
LES PHOTOGRAPHIES ONT ÉTÉ PRISES LORS DE L'EXPOSITION ORGANISÉE PAR L'ASSOCIATION DES PEINTRES AMATEURS DU CANNET, À LA SALLE "TERRASSE DES ARTS", DANS LA RUE SAINT SAUVEUR, AU VIEUX CANNET. POUR LIRE D'AUTRES TEXTES, CLIQUER SUR LE PROCHAIN MOT ÉCRIT EN ROUGE.
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