CRÉOLE - Seychelles
CECI EST UN ESSAI : NOUS VOUS EMMENONS DANS
L'OCÉAN INDIEN ... SI CELA VOUS A PLU, NOUS VOUS
EMMÈNERONS ENCORE EN VOYAGE VERS D'AUTRES
DESTINATIONS !
“Ah ! Monsieur ! j’en ai encore des sueurs !”
Le conteur était assis dans sa voiture, toutes portes ouvertes, dans un coin ombragé de la
place qui, partout ailleurs, était écrasée de
soleil. C’est l’heure où les passants se font
rares, l’heure à laquelle les chauffeurs de
taxis font la sieste.
Pour parler, celui-ci prenait son temps.
Pour parler, celui-ci prenait son temps.
Il ne se faisait pas prier pourtant. Sa parole
était lente, mais sa phrase était sans
hésitations ni ruptures. On avait un peu l’impression qu’il lavait sa langue entre ses
lèvres. Ses mains étaient serrées sur le volant, côte à côte. Ses tempes perlaient un peu.
Je vais vous raconter l’histoire qu’il m’a
Je vais vous raconter l’histoire qu’il m’a
rapportée. Il y manquera le sel de la langue
créole, et sa mélodie inimitable.
-”Ce n’est pas une histoire “d’homme de bois”(Expression Créole signifiant que ce n'est pas une fable) Monsieur. C’est une histoire vraie. Elle m’est arrivée, à moi, il n’y a pas trois mois.
-”Ce n’est pas une histoire “d’homme de bois”(Expression Créole signifiant que ce n'est pas une fable) Monsieur. C’est une histoire vraie. Elle m’est arrivée, à moi, il n’y a pas trois mois.
Comprenne qui pourra, mais c’est à moi que
c’est arrivé !”
Je compris que le récit serait long. L’hommme ferma les paupières. Il parlait sans presque
Je compris que le récit serait long. L’hommme ferma les paupières. Il parlait sans presque
bouger les lèvres.
-”C’était un soir, Monsieur, un soir de pleine
-”C’était un soir, Monsieur, un soir de pleine
lune. La montagne était blafarde mais claire. Chaque arbre, chaque détail se détachait avec une netteté surprenante. Pas un souffle d’air.
Les roussettes grinçaient et couinaient dans
les manguiers Il n’était pas tard encore ...
-”Je venais juste de conduire un couple de touristes au casino de Beauvallon.
-”Je venais juste de conduire un couple de touristes au casino de Beauvallon.
Le téléphone sonne à la borne. Je décroche :
Voix féminine, créole, jeune.
-”A minuit, au Katiolo, le dancing de l’Anse
-”A minuit, au Katiolo, le dancing de l’Anse
Faure. Je serai à la porte, à minuit très exactement. Il faudra me ramener chez moi,
au Niole."
-”Le Katiolo à minuit, pourquoi pas ?”
Un instant, l’homme cessa son récit. Il avait
-”Le Katiolo à minuit, pourquoi pas ?”
Un instant, l’homme cessa son récit. Il avait
ouvert les mains. À plat, il en promenait les paumes sur le bord du volant. Les paumes,
elles étaient moites un peu. Il renversa la tête.
Il avait les yeux mi-clos maintenant.
Il poursuivit :
-” À minuit, Monsieur ...Pourquoi pas ?
-” À minuit, Monsieur ...Pourquoi pas ?
Les impôts sont lourds et j’ai cinq enfants !"
-”Je fais le nécessaire pour être à l’Anse Faure
-”Je fais le nécessaire pour être à l’Anse Faure
à l’heure voulue. La lune est haute, toute
ronde. La route est nette. Les arbres défilent, palmiers et feuillus.Je traverse un hameau
désert. Deux chiens qui se poursuivent.
Un chat aux yeux brillants. Je ne roule pas vite,, j’ai le temps ...
-”Pointe Larue, l’aéroport est éteint. Au portail
du camp militaire, une sentinelle est à son
poste. On voit luire le canon de son arme.
-”Voici le Katiolo, un peu un en retrait du bord
-”Voici le Katiolo, un peu un en retrait du bord
de la route. Tandis que ma voiture prend le
virage, mes phares éclairent la boutique du boucher, peinte en rouge. La mer est juste derrière, plate, toute plate. Au dancing,
la soirée bat son plein. Les lumières clignotent, rouges, vertes, bleues. La sonorisation donne
très fort : C’est l’heure de la lambada.
-” Je roule sur les gaviers, lentement, vitres ouvertes. J’arrive devant la porte. Une femme
-” Je roule sur les gaviers, lentement, vitres ouvertes. J’arrive devant la porte. Une femme
en surgit au même instant. Une seconde plus
tôt, on ne voyait personne.
-”Elle était belle, Monsieur, très, très belle ! Grande, mince, jeune ... Vingt ans peut-être ?
Une antilope ! Une gazelle ! D’abord, on ne
voyait que ses yeux, étincelants comme des braises. Ses cheveux étaient finement tressés
et tirés en arrière. Elle portait une robe de mousseline blanche, Monsieur, comme une
robe de mariée ! Elle s’assit à l’arrière. Elle
avait de longues jambes d’ébène. Je me
préparai à refermer la portière ...
Le récit du chauffeur de taxi s’accélère. Ses
Le récit du chauffeur de taxi s’accélère. Ses
yeux maintenant, sont grands ouverts, le
regard perdu au loin ...
-”J’allais donc refermer la porte. Je m’aperçois
-”J’allais donc refermer la porte. Je m’aperçois
que ma passagère frissonne. Elle était très
jeune, Monsieur, je vous l’ai dit. La fraîcheur
avait dû la saisir au sortir de la danse. Je lui couvris les épaules avec ma veste.
Nous voilà partis pour le Niole. La route est
Nous voilà partis pour le Niole. La route est
étroite et sinueuse. mais elle voulait arriver
avant la demie. J’accélérai.La maison est un peu à l’écart, juste avant
le pont. Elle est verte, avec des balustres
blancs. Elle s’accroche au rocher. La façade
était bien visible, mais un petit nuage,
descendu des Trois Frères la cachait en partie.
On eût dit que les pièces étaient éclairées de l’intérieur. Un katiti* se met à crier ...
* (c'est le nom d'un oiseau)
La jeune femme bondit, court dans l’allée. Ses pieds ne faisaient pas de bruit, comme s’ils n’avaent pas touché le sol.
Elle avait laissé sur le siège un billet enroulé :
"Le montant de la course”.
Ici, le conteur se tut. Il se passa la langue sur
Ici, le conteur se tut. Il se passa la langue sur
les lèvres avant de reprendre, comme s’il était pressé d’en finir. Sa voix se fit plus flûtée, mais aussi plus monocorde ...
-”Je m’aperçus tout de suite qu’elle avait oublié
-”Je m’aperçus tout de suite qu’elle avait oublié
de me rendre ma veste. Mais je me dis que je
la récupérerais le lendemain matin, en passant
par là.
-”Le lendemain, Monsieur ! Je reviens au Niole.
-”Le lendemain, Monsieur ! Je reviens au Niole.
Je frappe à la porte de la maison. Arrive une pauvre femme, vieillie avant l’âge, vêtue de
noir”.
-”Une jeune femme, dites-vous ?
La nuit dernière !”
-”Croyez-en ce que vous voudrez, Monsieur,
-”Une jeune femme, dites-vous ?
La nuit dernière !”
-”Croyez-en ce que vous voudrez, Monsieur,
mais c’est à moi que c’est arrivé, à moi-même.
Il y a moins de trois mois ! Ce n’est pas une “histoire d’homme de bois !”
-”Eh bien, Monsieur ... Il n’y avait pas de jeune
-”Eh bien, Monsieur ... Il n’y avait pas de jeune
fille dans cette maison. Il n’y en avait plus !
La fille de la maison, elle s’appelait Flora. Elle
était morte depuis deux ans, jour pour jour,
le soir de mon aventure. Jour pour jour !
Quand je l’ai ramenée chez elle, à minuit et
demie, il y avait deux ans qu’elle était morte,
jour pour jour, heure pour heure ! Comprenez-vous celà Monsieur ?
-”Morte au soir de ses noces, deux ans plus tôt. Ah Monsieur !
-”Le lendemain matin, je me suis rendu au cimetière de Bel-Air, tout là-haut. La tombe
-”Morte au soir de ses noces, deux ans plus tôt. Ah Monsieur !
-”Le lendemain matin, je me suis rendu au cimetière de Bel-Air, tout là-haut. La tombe
était bien là où me l’avait dit, près d’un gros rocher...
Elle s’appelait bien Flora, Monsieur : C’est écrit sur la croix. Et sur la dalle, soigneusement pliée ....
Elle s’appelait bien Flora, Monsieur : C’est écrit sur la croix. Et sur la dalle, soigneusement pliée ....
Il y avait ma veste, Monsieur, la veste que
voilà !”
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