lundi 20 octobre 2014

créole : MAHÉ DES SEYCHELLES.



               CRÉOLE - Seychelles









          CECI EST UN ESSAI : NOUS VOUS EMMENONS DANS         

L'OCÉAN INDIEN ... SI CELA VOUS A PLU, NOUS VOUS 

EMMÈNERONS ENCORE EN VOYAGE VERS D'AUTRES 

DESTINATIONS !










“Ah ! Monsieur ! j’en ai encore des sueurs !”


Le conteur était assis dans sa voiture, toutes portes ouvertes, dans un coin ombragé de la 
place qui, partout ailleurs, était écrasée de 
soleil. C’est l’heure où les passants se font 
rares, l’heure à laquelle les chauffeurs de 
taxis font la sieste.


Pour parler, celui-ci prenait son temps. 
Il ne se faisait pas prier pourtant. Sa parole 
était lente, mais sa phrase était sans 
hésitations ni ruptures. On avait un peu l’impression qu’il lavait sa langue entre ses 
lèvres. Ses mains étaient serrées sur le volant, côte à côte. Ses tempes perlaient un peu.


Je vais vous raconter l’histoire qu’il m’a 
rapportée. Il y manquera le sel de la langue 
créole, et sa mélodie inimitable.


-”Ce n’est pas une histoire “d’homme de bois”(Expression Créole signifiant que ce n'est pas une fableMonsieur. C’est une histoire vraie. Elle m’est arrivée, à moi, il n’y a pas trois mois. 
Comprenne qui pourra, mais c’est à moi que 
c’est arrivé !”


Je compris que le récit serait long. L’hommme ferma les paupières. Il parlait sans presque 
bouger les lèvres.


-”C’était un soir, Monsieur, un soir de pleine 
lune. La montagne était blafarde mais claire. Chaque arbre, chaque détail se détachait avec une netteté surprenante. Pas un souffle d’air. 
Les roussettes grinçaient et couinaient dans 
les manguiers Il n’était pas tard encore ...


-”Je venais juste de conduire un couple de touristes au casino de Beauvallon. 
Le téléphone sonne à la borne. Je décroche : 
Voix féminine, créole, jeune.


-”A minuit, au Katiolo, le dancing de l’Anse 
Faure. Je serai à la porte, à minuit très exactement. Il faudra me ramener chez moi, 
au Niole."


-”Le Katiolo à minuit, pourquoi pas ?”


Un instant, l’homme cessa son récit. Il avait 
ouvert les mains. À plat, il en promenait les paumes sur le bord du volant. Les paumes, 
elles étaient moites un peu. Il renversa la tête.
Il avait les yeux mi-clos maintenant. 
Il poursuivit :

-” À minuit, Monsieur ...Pourquoi pas ? 
Les impôts sont lourds et j’ai cinq enfants !"


-”Je fais le nécessaire pour être à l’Anse Faure
 à l’heure voulue. La lune est haute, toute 
ronde. La route est nette. Les arbres défilent, palmiers et feuillus.Je traverse un hameau 
désert. Deux chiens qui se poursuivent. 
Un chat aux yeux brillants. Je ne roule pas vite,, j’ai le temps ...


-”Pointe Larue, l’aéroport est éteint. Au portail 
du camp militaire, une sentinelle est à son 
poste. On voit luire le canon de son arme.


-”Voici le Katiolo, un peu un en retrait du bord 
de la route. Tandis que ma voiture prend le 
virage, mes phares éclairent la boutique du boucher, peinte en rouge. La mer est juste derrière, plate, toute plate. Au dancing, 
la soirée bat son plein. Les lumières clignotent, rouges, vertes, bleues. La sonorisation donne 
très fort : C’est l’heure de la lambada.


-” Je roule sur les gaviers, lentement, vitres ouvertes. J’arrive devant la porte. Une femme 
en surgit au même instant. Une seconde plus 
tôt, on ne voyait personne.


-”Elle était belle, Monsieur, très, très belle ! Grande, mince, jeune ... Vingt ans peut-être ? 
Une antilope ! Une gazelle ! D’abord, on ne 
voyait que ses yeux, étincelants comme des braises. Ses cheveux étaient finement tressés 
et tirés en arrière. Elle portait une robe de mousseline blanche, Monsieur, comme une 
robe de mariée ! Elle s’assit à l’arrière. Elle 
avait de longues jambes d’ébène. Je me 
préparai à refermer la portière ...


Le récit du chauffeur de taxi s’accélère. Ses 
yeux maintenant, sont grands ouverts, le 
regard perdu au loin ...


-”J’allais donc refermer la porte. Je m’aperçois 
que ma passagère frissonne. Elle était très 
jeune, Monsieur, je vous l’ai dit. La fraîcheur 
avait dû la saisir au sortir de la danse. Je lui couvris les épaules avec ma veste.


Nous voilà partis pour le Niole. La route est 
étroite et sinueuse. mais elle voulait arriver
avant la demie. J’accélérai.

















     La maison est un peu à l’écart, juste avant 
le pont. Elle est verte, avec des balustres 
blancs. Elle s’accroche au rocher. La façade 
était bien visible, mais un petit nuage, 
descendu des Trois Frères la cachait en partie.


On eût dit que les pièces étaient éclairées de l’intérieur. Un katiti* se met à crier ...
                                  * (c'est le nom d'un oiseau)

La jeune femme bondit, court dans l’allée. Ses pieds ne faisaient pas de bruit, comme s’ils n’avaent pas touché le sol.


Elle avait laissé sur le siège un billet enroulé : 
"Le montant de la course”.


Ici, le conteur se tut. Il se passa la langue sur 
les lèvres avant de reprendre, comme s’il était pressé d’en finir. Sa voix se fit plus flûtée, mais aussi plus monocorde ...


-”Je m’aperçus tout de suite qu’elle avait oublié
 de me rendre ma veste. Mais je me dis que je 
la récupérerais le lendemain matin, en passant
 par là.


-”Le lendemain, Monsieur ! Je reviens au Niole.
 Je frappe à la porte de la maison. Arrive une pauvre femme, vieillie avant l’âge, vêtue de 
noir”.


-”Une jeune femme, dites-vous ?
La nuit dernière !”


-”Croyez-en ce que vous voudrez, Monsieur, 
mais c’est à moi que c’est arrivé, à moi-même.
 Il y a moins de trois mois ! Ce n’est pas une “histoire d’homme de bois !”


-”Eh bien, Monsieur ... Il n’y avait pas de jeune 
fille dans cette maison. Il n’y en avait plus ! 
La fille de la maison, elle s’appelait Flora. Elle 
était morte depuis deux ans, jour pour jour, 
le soir de mon aventure. Jour pour jour ! 
Quand je l’ai ramenée chez elle, à minuit et 
demie, il y avait deux ans qu’elle était morte, 
jour pour jour, heure pour heure ! Comprenez-vous celà Monsieur ?


-”Morte au soir de ses noces, deux ans plus tôt. Ah Monsieur !


-”Le lendemain matin, je me suis rendu au cimetière de Bel-Air, tout là-haut. La tombe 
était bien là où me l’avait dit, près d’un gros rocher...
Elle s’appelait bien Flora, Monsieur : C’est écrit sur la croix. Et sur la dalle, soigneusement pliée ....
 Il y avait ma veste, Monsieur, la veste que 
voilà !”

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