LES BÊTES À BON DIEU
En France aussi, certaines années et en certaines
régions, s’abattent les criquets. Mais toutefois, en Oléron, on n’en a jamais
vu … Qu’est ce donc que cette histoire d’insectes que je me propose de vous
raconter ? – C’est une histoire tout à fait vraie … Et qui s’est passée
dans l’île d’Oléron, il n’y a pas si longtemps.
Oh ! Je
sais bien que beaucoup d’entre vous auront du mal à me croire … Pourtant … Et
j’étais à la plage, du côté de Plaisance, quand cela a commencé … À la plage …
Le cul sur le sable, comme il convient.
Je regardais
deux céréaliers, en face, au loin et qui manoeuvraient pour s’approcher du môle
d’escale de La Pallice. Il y avait aussi pas mal de voiles hautes devant le
fort Boyard et deux ou trois voiles de dériveurs, beaucoup plus proches. Il y
avait aussi, tout près de nous, un jeune homme qui sautait les vagues,
manoeuvrant un grand cerf-volant rouge et blanc qui le tractait :
Ah ! Combien j’enviais celui-là ! Du temps où j’avais son âge, ce
genre de sport était inconnu … J’aurais aimé … Ah ! Courir comme un
centaure !
Quelque chose
qui percute ma joue droite, léger : Quelque chose qui vit : Un geste
brusque de la main : Une bestiole tombe dans le sable, à côté de mon genou
… Une coccinelle ! La pauvre bête rampait comme elle le pouvait, une
élytre en bannière, tordue sur le dos. Vous vous rendez compte : Une bête
à Bon Dieu … Sur la plage !
Ah bien oui …
Sur la plage ! … Mais c’est qu’il y en avait partout des
coccinelles ! Ces petites bêtes au vif éclat, rouge pointillé de noir
étaient arrivées de je ne sais où. Elles s’abattaient sur le sable :
C’était un peuple entier de bêtes à Bon Dieu qui grouillait partout maintenant,
les élytres écartées, les ailes vibrantes. D’où venues ? – Qui aurait pu
le dire ? Et, bien évidemment, je songeais aux sauterelles de la plaine du
Souss : Je ne savais pas que les coccinelles émigraient comme les
criquets : Moins voraces car ces insectes sont carnivores et se
nourrissent essentiellement des larves des pucerons : Aucun dégât n’était
à craindre ni pour les cultures ni pour les jardins. Mais combien
nombreuses ! La procédure d’atterrissage est la même pour toutes :
Dès qu’elles ont touché la piste, elles replient leurs ailes transparentes,
réajustent les volets de leurs élytres et, se présentant alors sous l’aspect
d’une pierre précieuse à allure de rubis et à tête noire, elles
entreprennent un parcours éperdu qui doit les mener où ?
Certaines atterrissaient sur mon
cou, d’autres dans mes oreilles, d’autres encore pénétraient sous ma chemise
… Une invasion de
coccinelles ? …. Mourraient-elles ici ou bien repartiraient-elles pour
quelque destination plus lointaine ? – Revenant chez moi à bicyclette j’ai
pu constater qu’il y en avait partout, dans les champs, dans le village et dans
mon jardin … Et dire que, trois jours avant, j’avais payé très cher quatre ou
cinq larves de coccinelles à la jardinerie de Saint-Pierre pour essayer de
détruire les pucerons qui envahissaient mes rosiers !
J’aurais peut-être dû essayer de
faire des you-you, comme les femmes de la vallée du Souss … Je ne sais pas,
moi, peut-être qu’en tapant avec des cuillères en bois sur des casseroles …
Peut-être que cela aurait empêché les coccinelles de se poser chez nous ?
… Et pourquoi, me répondrez-vous … Et vous aurez bien raison … Pourquoi
empêcher les bêtes à Bon Dieu de se poser chez nous ? … Le lendemain matin, il n’y avait plus
rien : Tout avait disparu … Seul le Bon Dieu pourrait me dire ce que les
coccinelles étaient devenues !
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