LES CRIQUETS PÈLERINS
Il faisait très chaud et, de
l’Atlas ni de la mer ne venait un souffle d’air : Un coup de chergui,
dit-on ici. Ici, c’est dans la vallée du Souss, au Sud d’Agadir qui n’est pas
encore la ville des touristes adeptes du bronzage.
Il devait être à peu près quatre
heures de l’après-midi. Du côté du Tizzin’test, le col qu’il faut passer pour
aller à Marrakech, de lourds nuages dont le teint tirait sur le violet étaient
arrêtés. L’air autour de nous prit une teinte cuivrée : Une nuée montait
et descendait, formant champignon, puis s’élargissant.
C’est alors que les you-you des
femmes commencèrent. Ils étaient plus aigus que je ne l’aurais cru possible.
Commença aussi le tintamarre des ustensiles de cuisines : Casseroles,
poêles, gamelles de toutes sortes, frappées avec ce qui était tombé sous la
main, attrapé au hasard … Un tintamarre invraisemblable ! Des cris, il en
venait de partout, des bruits de percussion aussi, continus.
Le nuage roux s’était aplati. Il
avait perdu de la hauteur. Il s’était abattu sur les terres : Les
criquets ! … Les criquets pèlerins, par dizaines de milliers … Et il en
arrivait encore, de tous les côtés … On percevait un bourdonnement d’ailes, un
froissement, comme un chiffonnement de feuilles de papier … Les sauterelles
bourdonnaient à mes oreilles, percutaient mon visage, ma bouche, mes yeux … Il
y en avait partout : Sur les branches des buissons de caroubes qu’elles
recouvraient entièrement, sur les rares touffes d’herbe qui avaient encore l’apparence
de quelques feuilles vertes, sur le sol, sur le tronc des arganiers …
L’air s’était vraiment obscurci et
les cris des femmes, le tintamarre qu’elle faisaient en frappant leurs
casseroles … Rien ne les avait empêchées de tout recouvrir … Dans la toison des
quelques moutons qui se trouvaient là frémissaient des ailes et des antennes …
Allons, dans quelques heures, il
ne resterait rien aux alentours : rongées les feuilles des caroubiers et
celle de l’arganier, rongés les épineux, rongée l’écorce des eucalyptus , rongé
le moindre brin d’herbe verte ou bien sèche : Les criquets grimpaient sur
tout ce qui se trouvait là … Et même ils se grimpaient les uns sur les autres,
par vagues successives … Ils s’accumulaient dans chaque fente du sol, ils
grouillaient partout.
Je me souviens que lors du dernier
passage des sauterelles, j’avais couru en maintenant un sac de jute ouvert
au-dessus de ma tête : Ma course faisait entrer les bestioles dans le sac
…
Nous en avions pris beaucoup comme
cela … Que nous avions fait griller au-dessus d’un grand feu et que nous avions
mangées … On mange bien des crevettes ! Et je crois me souvenir que les
criquets grillés avaient bon goût … demandez donc aux habitants de la plaine du
Souss ou de n’importe quelle plaine fréquentée occasionnellement par les
criquets!
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