SAHAGUN
sur le Camino Francès
En pèlerinage sur le chemin de Compostelle, tout
compte fait, on n’a que peu d’occasions de rencontrer des Espagnols. Cela peut
sembler assez paradoxal, mais c’est pourtant vrai ! À l’heure où le
pèlerin se lève et quitte le gîte, le jour n’est pas levé … Les Espagnols non
plus ! Sur le sentier, on marche souvent seul et lorsqu’on s’agrège par
hasard à un petit groupe, c’est pour s’apercevoir, la plupart du temps, qu’on y
parle français, allemand … Que sais-je ? - Il arrive qu’on y parle
japonais ! Il arrive aussi qu’on y parle le portugais, mais c’est sans
doute entre Brésiliens!
L’espagnol, c’est pendant la nuit
qu’on l’a entendu brailler dans les couloirs, alors que la fatigue ne nous
faisait désirer que le sommeil. On l’entend brailler aussi dans les rues, en
pleine nuit quand on a le malheur d’avoir choisi un gîte en pleine ville. Mais
les Espagnols, ils ne vivent pas aux mêmes heures que nous : Ils dînent à
des heures impossibles et vous aurez bien du mal à trouver un restaurant ouvert
au moment où il vous semblerait logique d’être plongé dans le sommeil.
Mais où sont donc passés les
Espagnols ? Quand vous traversez un village, il arrive que l’on aperçoive
quelques femmes : Elles s’occupent du bétail ou vous attendent au fond de
l’épicerie … Les pèlerins, il arrive qu’ils cherchent du pain ou quelque fruit
… Au bar, on vous offrira des « boccadillos » ou une « tortilla
patata » …Entendez des sandwichs ou une omelette aux pommes de terre. Les
« boccadillos » sont exquis, la plupart du temps, ils sont au jambon
de pays … Vous êtes chanceux, si l’on vous sert du «serrano», et encore plus si
l’on tranche du « patta negra ». Quant à la « tortilla patata »,
sans hésiter, il faut la préférer à la « tortilla francese » qui ne
contient que des œufs : Sans contestation possible, la première tient
mieux l’estomac.
Les « bars à tapas »,
depuis quelques années, en France, on connaît … Ils sont même devenus à la
mode, mais ceux d’Espagne vous ont des qualités extraordinaires : On
croque les olives et l’on jette les noyaux au pied du comptoir … C’est
incroyable ce que l’on peut laisser tomber sur le plancher : peaux
d’oranges, coquilles d’œufs, paquets de cigarettes vides … Cela finit par donner
un air convivial à nul autre pareil ! En tout cas, les bars à tapas, sur
le chemin, vous sauvent de la famine, tandis que les restaurants ne sont pas
ouverts. On y boit, le plus souvent du « cafe » ou du « cafe con
letche », ( En espagnol on ne met pas les accents aigus, ni les accents
graves, mais on prononce comme s’ils y étaient, par contre on écrit des signes
que nous ne comprenons guère).
J’ai eu un compagnon qui, lui, buvait
cul sec un « Carlos Tres », c’est aussi fort que le cognac !
Souvent, il en avalait deux, coup sur coup …
Sahagun est entré dans ma mémoire et n’en sortira pas de
sitôt. J’y suis passé deux fois. C’est une ville que l’on atteint après une
longue ligne droite sans grand attrait. On a laissé derrière soi Carrion De Los
Condès où il n’y a plus de comtes depuis longtemps et l’on garde encore le
souvenir de Fromista où s’inscrit sur les chapiteaux de l’église romane le
récit du Nouveau Testament. La route atteint une fourche, sous le pont de
béton. J’ai eu juste le temps de me retourner, j’avais perdu le compagnon avec
qui je marchais depuis trois jours : Évaporé ! J’eus beau écarquiller
les yeux … Il faisait plein jour pourtant … Nous étions au beau milieu de
l’après-midi. Disparu ! La route se sépare en deux, mais le terrain est
plat et nu ! Il y a dans le Nouveau Testament des phénomènes
semblables : Jésus qui apparaît ou disparaît … Mais mon compagnon n’était
pas Jésus, c’était un Espagnol natif de Majorque … Un excellent marcheur, qui
retenait son pas depuis trois jours par pitié pour moi. Je ne l’ai jamais
revu !
Sahagun ... Un peu avant d’y arriver,
nous passons devant la porte d’une ferme : Porte cochère, grande
ouverte : On distingue dans la pénombre un amas de matériels agricoles. Au
bord du chemin, une grande table est dressée et, à mon approche, une vieille
femme s’empresse : Sur la table un panier et une cruche … Un petit
écriteau : « Agua, higos y amor ! » J’ai mangé une figue
sèche, j’ai bu de l’eau de la cruche … J’ai rêvé d’amour. On a donné un coup de
tampon à date sur mon carnet de pèlerin et :
- «
Dos euros, por favor ! »
À mon second passage dans la même
ville, j’ai rencontré une autre vieille, au coin d’une rue, tout près du
couvent.
Femme que l’âge pliait, vêtue de
noir, portant un cabas noir également :
- « Vous allez à
Compostelle ? »
Réponse affirmative …La vieille dame
plonge la main droite dans son sac :
- « Tenez, ceci
est pour vous, mais priez pour moi à Compostelle ! »
-
Elle me tend un pot de yaourt, me
dévisage, puis plonge à nouveau la main au fond du sac et … Me tend un petit
pot de miel et trois biscuits. J’accepte … Je prierai pour elle à
Compostelle ! J’imagine qu’elle est là tous les soirs, à l’angle des rues,
pour attendre le pèlerin qui va passer …
L’église de cette ville, ou tout au
moins l’une des églises de la ville, a été transformée : Au
rez-de-chaussée une salle de spectacle a été aménagée. À l’étage se trouve le
dortoir des pèlerins : J’ai eu la malchance de vouloir y dormir un soir où
l’on donnait un spectacle !
Mais mon souvenir le plus ému est sans aucun doute celui qui me ramène
chez le « sabatero », autrement dit le cordonnier qui tient boutique
près d’une petite place : Ma semelle était décollée. Je traînais cet
inconvénient depuis longtemps et le handicap était fort gênant !
La boutique était minuscule, très
sombre. Le cordonnier était un colosse revêtu d’un, tablier de cuir comme les
professionnels en portent depuis la nuit des temps. Trois compagnons étaient
là, devisant …
- « Allez, que tout le monde
sorte : Je vais réparer la semelle du pèlerin. Revenez quand cela sera
fini! »
Sahagun … Quand on quitte la ville,
dans le petit matin, c’est pour prendre le chemin qui conduit à Burgo Ranero :
Long chemin désertique au bord duquel les maisons sont de terre crue mêlée d’un
hachis de paille …
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