vendredi 13 mai 2016

PAPEETE




                                     

                                     PAPEETE










        Le nom, d’abord … Et tous les rêves qui l’emplissent : Parfums de cocotiers, de tiaré, de mangues et d’ananas. Couleurs : Paul Gauguin et les autres. Montagnes vertes, plages blanches ou noires, ciel tout bleu. Le lagon d’émeraude, l’océan bleu de roi … Paréos, vahinés alanguies, fleur de frangipanier à l’oreille, orchidées et couronnes de fougères…
         Pirogues et chansons …
Le nom : Le panier, l’eau … Le panier dans l’eau ? Quoi qu’il en soit, ce nom fait rêver !

          J’ai vu arriver Bernard Moitessier dans le port de Papeete, sur son voilier dénommé Joshua, voilier rouge qui venait de l’autre bout du monde. Moitessier : Un dieu ivre d’espace et de soleil !

          J’ai vu les traces d’Alain Gerbault et croisé celles de Gauguin … J’ai vu des hommes qui étaient venus là pour mordre dans le fruit de l’arbre à pain. Les chemins étaient bordés de goyaviers et de buissons d’hibiscus. Les rivières claires couraient dans les vallées ; Des chevrettes roses sautaient sous les galets. Sous les  cascades, les jeunes filles tordaient leur tresse dans les éclats de rire.

          J’ai vu …

          Les maisons de bois ont laissé la place aux immeubles de béton. Le palais de la reine a disparu. De grands magasins ont été construits. Les bureaux se sont multipliés. Des quais ont été élevés. Les îlots ont été rattachés à la grande terre : De grands cargos, de grands paquebots y accostent. Des grues ont été installées.
            Les bonitiers sont toujours là, hérissés de cannes en bambou. Ils sont maintenant bien abrités de la houle. Devant la plage, juste en face de la passe à travers le récif, les voiliers sont toujours secoués par les vagues. Des pirogues sont alignées, prêtes pour la mise à l’eau : Nombre de pirogues prêtes à la course, coques de matière plastique … La grande course de pirogues, « Hawahiki Nui », de Papeete jusqu’à Bora Bora, c’est splendide !

            Les climatiseurs ronronnent, mais on ne les entend guère : Comment voudriez-vous entendre autre chose que les voitures ? – Les voitures ? – Plutôt que des voitures, parlons de ce train qui enroule et déroule ses anneaux, dès cinq heures du matin : « trucks », bus, camions, voitures en tous genres, mais surtout énormes voitures tous terrains. Cela sort d’on ne sait où … C’est un seul corps, un seul long et horrible serpent. Cela avance parfois, d’un seul bloc, d’un seul élan, et puis cela se bloque, on ne sait pourquoi, en attendant de repartir, tout à la fois. C’est bruyant, cela sent mauvais. L’air même s’en opacifie. Et c’est comme ça tout autour de l’île … On peut le dire sans presque exagérer ! – Un serpent – Une pieuvre allongeant et rétractant ses tentacules !

            Mais les vahinés ? – Les vahinés ? … Elles sont devenues caissières de supermarchés ! On peut aussi les voir, le soir, quand elles dansent dans les hôtels de tourisme …

             Le tourisme, Monsieur … Le tourisme ! – Grands yachts de grand, très grand luxe, avec, chacun, plate-forme pour hélicoptère ! Limousine de six mètres de long … Et des garçons en descendent pour prendre le linge sale et embarquer le linge propre. Casino ! - Une belle a perdu sa boucle d’oreilles de diamant en descendant l’escalier… Perles de culture, perles noires, perles grises, perles « aile de mouche », perles dans les vitrines, perles vendues à la sauvette, cachées au creux d’un mouchoir. Perles qui ont roulé sur le trottoir, quand la police est arrivée…

              Les jeunes dieux qui se dressaient sur le récif pour lancer le harpon ? … Ils sont au collège ou au lycée, et leurs parents sont devenus fonctionnaires : Ils jouent au loto, cultivent du «pakalolo». Ils boivent de la bière et ils fricotent dans les systèmes électoraux.

              Les îles Tuamotu, les îles Marquises, les îles sous le vent, les îles Australes … Ah ! oui, allez-y vite : Le chancre est entrain de les toucher, mais il en reste quelques unes dans lesquelles on peut avoir envie de jouer les Robinsons.

Des atolls, il y en a qui sont tout petits. Vus d’avion, on dirait qu’un ange a laissé tomber une alliance sur l’eau. L’île Maria, quand on va vers l’archipel des Gambier, est un anneau parfait. Son lagon est versicolore.

         
       De temps à autre la goélette mouille son ancre près de chaque atoll pour embarquer la récolte de coprah. Si l’océan est trop profond pour qu’on puisse y mouiller une ancre, le bateau fait des ronds dans l’eau pendant que les chaloupes font le va et vient. Mais sur ces petits atolls, il n’y a pas de résidents permanents. On n’y vient que pour la récolte.

                L’atoll dont je vais vous parler est tout petit, mais il est habité toute l’année et ceci depuis longtemps : Il y a eu deux familles, installées ici depuis des lustres et des lustres. L’une demeurait à l’extrémité sud de l’atoll, l’autre à l’extrémité Nord. Je ne connais pas l’histoire de ces deux familles, toujours est-il que le temps a passé ... Il ne reste plus, au sud, qu’une vieille dame, seule, bien vieille. Au nord, il ne reste plus qu’un vieillard, bien vieux.

               Il faudrait connaître leur histoire pour savoir pourquoi ils sont fâchés : Ils ne se parlent plus, ils ne se voient plus, ils ne se rencontrent plus ... Et ce n’est pas facile sur un atoll si petit ... Il faut y mettre du sien!

               Bien entendu, sur l’île, il n’y a pas d’eau, pas plus que sur toutes les îles ... Il y a une ancienne citerne en béton, que les hommes de La Légion Étrangère ont construit, il y a longtemps ... Du temps où les deux familles n’hésitaient pas à se rencontrer. Cette citerne collecte les eaux de pluie, qui ruissellent sur son toit de tôles. Il manque d’ailleurs des tôles : Elles ont rouillé et puis le vent les a plus ou moins arrachées, un jour où le vent d’un cyclone a soufflé.

                Le vieux, la vieille, vont jusqu’à la citerne, quand ils ne peuvent pas faire autrement. Mais alors, qu’il s’agisse du vieux, qu’il s’agisse de la vieille, on emmène le chien avec soi. Car il y a un chien sur l’île. Un grand diable de chien efflanqué. C’est le seul qui n’a pas été mangé. Il n’a pas été mangé parce qu’il rend des services : Quand on va jusqu’à la citerne, on emmène le chien. Il fréquente indifféremment l’un et l’autre des habitants et , semble-t-il, il n’a rien à faire de leurs vieilles querelles. Mais quand on va à la citerne ...
Si “l’autre”y est déjà, le chien se met à japper. On sait alors que ce n’est pas le moment d’y aller !

                   Quant à sa nourriture ... Lorsqu’il ne pêche pas assez de poissons sur le récif, ( car les chiens savent pêcher!) il fait le chemin entre le nord et le sud … Le chemin qui est sa trace et n’est rien d’autre que sa trace : C’est lui qui assure la seule liaison entre la vieille et le vieux ! Et cela fait des années que cela dure ! Ne me demandez pas le nom de ce petit atoll, je l’ai oublié. Je le regrette.

          Les deux vieillards sont-ils toujours là ? Et le chien ?
                                                              

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