lundi 23 mai 2016

LES CHEMINS DE COMPOSTELLE ...








                SANTIAGO  DE   

       COMPOSTELLA













Et puis, là, arrivant au terme de ton voyage, ayant gravi des pentes, dévalé des torrents, vacillé sur les galets ou les rochers, dérapé dans la glaise, lutté contre les éléments. Là, dans les faubourgs de la ville, entre des murs gris et ruisselants, tu te sens redevenu ce qu'au fond tu avais rêvé de n'être plus ... Un parmi les autres, un que l'on ne regarde plus.



Comment es-tu parvenu à Santiago jusqu'à la place de l'Obradoiro (l'ouvrage d'or) ? _ Au fond, tu ne le sais même pas. Tu es passé par une rue étroite où sont des boutiques dans lesquelles on vend colifichets, bourdons de bois, coquilles de fer blanc, cartes postales, mais aussi saucissons secs, chorizos et jambons ! ... Après tout, la vie, c'est cela et tu replonges dans cette vie-là ...

La place de l'Obradoiro est superbe, dallée de pierres vénérables, entourée de bâtiments majestueux : derrière toi la façade néo-classique de la Mairie de Santiago, (l'Ayuntamiento). À ta droite, le Colegio San Jeronimo, qui est actuellement le siège du Rectorat, à ta gauche, l'Hostal de los Reyes Catolicos (pas moins !), qui est actuellement l'un des "Paradores", l'un des hôtels les plus luxueux du pays (chasseurs à casquette et galons dorés, portant les valises ...)

















Et puis en face, "La Cathédrale" ... On la connaissait par les reproductions répandues dans le monde entier, par les gravures aux pages des livres, par les photographies sur les affiches...




"La Cathédrale" ... Eh bien oui, elle est là, devant toi et tu trouves sa façade plus noircie que ne le montraient les photos. ... Parbleu la pluie qui n'a pas cessé n'arrange rien ! ... Les tours sont baroques ... On le savait ... Très baroques. Le portail est orné d'une multitude de sculptures et de statues : On les devine plus qu'on ne les voit, tant, également, elles sont noircies par le temps et par les vents . Double escalier majestueux, arrondis, cintres, colonnes et moulures ...


        On a un peu peur de ce que l'on va trouver en pénétrant dans le sanctuaire ... Tu te souviens des églises du chemin, des Cathédrales rencontrées : Pampelune, Burgos, Punte-La Reina, Estella ... Mention spéciale pour celle de Najera qui abrite le panthéon des Rois de Navarre et tous leurs gisants ... Mais mention spéciale aussi à l'église de San Domingo de la Calzada qui contient un poulailler, souvenir d'un miracle moyenâgeux qui fit revenir à la vie un poulet déjà rôti ... Ici il y a une poule blanche et un coq blanc ... Si le coq chante, cela porte bonheur au pèlerin en visite ...










Dans la plupart de ces églises il y a trop d'or, trop d'or et d'argent, trop de colonnades, trop de frises, trop de niches et trop de statues en bois polychrome ou recouvertes de métaux précieux et de bijoux, trop, trop, trop ! ... A croire que c'est là que se retrouve tout l'or et tout l'argent que les galions ont jadis ramené des Amériques ... Devant le spectacle offert par certains retables compliqués, on ne peut que songer aux pagodes d'Asie, à leurs ornements et aux statues du Bouddha ... Après tout ...












Tu voulais monter les escaliers pour pénétrer dans la cathédrale ... Les cloches, toutes les cloches, sonnaient à la volée. Non, il faut faire le tour et entrer par la Porte Sainte, celle qui n'est ouverte que pour les années saintes, proclamées chaque fois que le 25 Juillet, fête de la Saint Jacques tombe un dimanche. Une indulgence plénière est accordée au pèlerin ces années-là à condition qu'il ait parcouru au moins cent cinquante kilomètres à pied, à cheval ou à bicyclette, ( On rencontre de plus en plus de cyclistes en V.T.T. , la tradition dût-elle être distordue à leur bénéfice ) ...
Bon, la voilà, la Porte Sainte. Tu t'apprêtais à y pénétrer, puisqu'elle est réservée aux pèlerins, mais tu n'avais pas songé que les pèlerins sont nombreux ... Et qu'ils ne sont pas toujours ceux auxquels tu pensais : Il y a peu de marcheurs équipés comme toi de sacs à dos et de ponchos, mais il y a, en groupes constitués, tous les pèlerins en costumes et robes de ville ... Débarqués à Santiago la veille ou le matin même, souvent âgés, souvent munis du bourdon et de la calebasse ...

_ "Ils prêtent à rire", dis-tu ? Pourquoi te réserverais-tu le titre de pèlerin : Ils ont fait ce qu'ils ont pu, sans doute ... Le bourdon et la calebasse achetés à la boutique du coin et brandis avec fierté ? ... Bien sûr, bien sûr ... Mais pourquoi leur ôterais-tu leur joie ? - Il te faut en prendre ton parti : Tu n'es pas le seul à t'attribuer le statut du pèlerin.








En tout cas, ils se sont chargés de te le faire comprendre ... Pas facile, de passer par la Porte Sainte, ils font bloc et il te faut bien attendre.

... Bon, tu y es, dans la cathédrale de Santiago, tu y es avec ton sac sur le dos, tu as ton bâton à la main, ton poncho sur le dos. Tu es tout dégoulinant de pluie, tes pieds font des clapotis dans tes chaussures, tu as froid car tu es tout trempé ... Tu essaies d'y voir quelque chose ... Mais tu ne verras rien : La nef est remplie, archi-pleine : Il a dû en arriver, des autobus et des avions ! Qui plus est, aujourd'hui, en pèlerinage _ Pas à pied, bien sûr ! _ L'archevêque reçoit l'héritier du trône du Brésil et sa famille ... C'est plein de Brésiliens ! ... Tu as réussi à poser ton sac et à ôter ton poncho, tu les as déposés à terre dans la travée ... La nef de la cathédrale de Santiago, l'autel, les retables ... C'est ce que tu en attendais ?

_ Tu n'en sauras rien pour cette fois :

La foule t'a irrémédiablement relégué derrière un pilier. Tout juste apercevras-tu, en longue file, la trentaine de concélébrants, dont l'un est vêtu de noir. Grandes orgues. Tout le monde est debout, les bourdons tout neufs et les calebasses sont levés. Tu piétines un peu sur place pour tenter de te réchauffer ...

Déçu ? _ Qu'espérais-tu ? _ Aurais-tu voulu que les trompettes sonnent à ton arrivée sur la place de l'Obradoiro? ... Parce que les seuls vrais pèlerins sont ceux qui ont marché à pied, sur huit cents kilomètres au moins ? ... Aurais-tu voulu que l'entrée par la Porte Sainte te fût réservée ? -  Aurais-tu pensé qu'une place serait réservée pour toi sur un banc ?
























J'ai envie de te consoler, mais j'ai aussi envie de t'aider : Tout ce long trajet, toutes ces rues monotones, ces murs gris, toute cette pluie, toute cette solitude te feront-ils prendre conscience que ce que tu as accompli en marchant depuis des semaines et des semaines, toute cette sueur, tous ces efforts, toutes ces douleurs, toutes ces questions que tu t'es posées ... Tout cela ne fait pas de toi un être particulier : Il n'y a pas de statut du pèlerin ...
En tout cas, le pèlerinage n'est qu'un moment dans une vie, ce qui fait qu'être pèlerin n'est pas un état, ce ne peut être qu'un moment. Ce moment finit ici, à Compostelle et te voilà redevenu semblable aux autres : Ce qu'au fond, tu n'as jamais cessé d'être. Tu n'es pas un champion, tu n'as pas accompli un exploit sportif. Ce que tu as fait, tu l'as voulu ... Tu l'as fait ... A toi de considérer si c'est bien ou si c'est mal, mais ici, à Compostelle ...


Ici finit le Chemin, ici finit le pèlerin. Si tu veux savoir à quoi ressemble vraiment la cathédrale, il te faudra revenir à une heure de moindre affluence ... Une autre messe sera dite à dix-huit heures, tu pourras peut-être y assister et sans doute plus facilement t'y recueillir.



_ " Attends ... Ne t'en vas pas encore ... La messe est presque finie, on va balancer le "botafumeiro", l'encensoir géant en argent massif ... "


_ " Je sais, je sais : huit hommes, que l'on appelle en Galicien les "tiraboleiros", en tirant vigoureusement sur les cordes font virevolter l'encensoir ... Qu'ils le balancent ... moi, je vais au bureau d'accueil des pèlerins pour me faire délivrer la "Compostella", le document qui, selon une très ancienne tradition, atteste l'authenticité de mon pèlerinage ..."









... _ Et qu'espérais-tu, là encore ? ... Tu as toujours les pieds mouillés, tu traînes encore ton sac et ton poncho. Il pleut toujours. Au rez-de-chaussée d'un imposant immeuble, derrière un comptoir, une jeune fille vend des médailles ... Derrière un autre comptoir, une autre jeune fille, représentant une agence de voyage, tente de trouver une chambre d'hôtel à ceux qui en désirent, essaie, en conversant au téléphone, d'obtenir des billets de chemin de fer pour ceux qui en veulent, se démène pour donner les renseignements qui lui sont demandés ...

_" Montez l'escalier : Le bureau d'accueil se trouve au premier étage." ... Elle parle français, cette jeune fille. Elle parle français et anglais, peut-être d'autres langues encore ... Mais elle ne parle pas l'allemand et son interlocuteur du moment trouve le moyen de s'en offusquer, avant de poursuivre la conversation en anglais...


_ Bon, t'y voilà ... "Accueil des pèlerins ! "... Encore un comptoir de bois, très long ... Deux ou trois personnes derrière ce comptoir ... Présenter son "Credential" ... Les sceaux qu'on y a apposés aux différentes étapes font foi :


La "Compostella" n'est attribuée qu'à ceux qui ont parcouru au moins cent cinquante kilomètres ... Les cent cinquante derniers kilomètres ... Ce qui fait qu'on la refusera à un pèlerin qui a parcouru cinq cents kilomètres, au prix d'efforts incroyables ( Il avait une prothèse de hanche, était diabétique et ses pieds étaient en sang lorsqu'il a dû se faire hospitaliser, à Astorga.) … Il a dû terminer son pèlerinage en autobus et ne peut donc pas présenter les sceaux qui devaient être apposés dans la dernière partie du parcours ..

On fait la queue devant le comptoir.

_ " Pas un mot gentil, pas un compliment pour ce que nous avons accompli. Rien. De vrais bureaucrates fonctionnarisés ! "
























_ Attends, attends un peu ! ... C'est vrai, leur préoccupation, c'est de vérifier les sceaux dans le "Credential". Après cela, ils saisissent dans une pile de feuilles un formulaire de la "Compostella" ... Papier jaune orné de coquilles et, dans un médaillon, l'effigie de Saint Jacques. La "Compostella est pré-imprimée ... Il n'y plus qu'à y inscrire ton prénom, latinisé et la date de ton arrivée à Santiago ... Le reste est écrit en Latin. Tu ne connais pas le latin, mais c'est signé par le "Secretatus Capitularis", alors c'est forcément beaucoup d'honneur que de recevoir cette attestation de pèlerinage ! ... Enfin, tu en ressentirais beaucoup plus d'honneur si la signature n'était pas, de façon si visible, apposée à l'aide d'un tampon de caoutchouc ... Si l'écriture manuscrite de ton nom était un peu plus soignée, si l'on t'offrait une pochette pour y placer la "Compostella" ... Tu n'as que ton sac à dos, comment faire pour ne pas chiffonner ce papier ? - La seule solution que tu as, c'est de le plier, ce que tu fais la mort dans l'âme. Tu as toujours les pieds qui clapotent dans tes chaussures et tu redescends l'escalier de bois pour te rendre à ton hôtel ... Le pèlerinage, c'est fini !

Te voilà de retour sur la place de l'Obradoiro. Tu n'as plus ton sac sur le dos. Tu as laissé ton bâton à l'hôtel. Tu as changé de tenue car la chemise et le pantalon que tu portais pour marcher tournent dans une machine à laver. Tu as acheté des chaussures légères, pour remplacer les "botas" trempées que tu as bourrées de papier journal pour tenter de les sécher ... Curieuse impression : Pour une fois, tu as pris une douche sans craindre que l'eau chaude ne tarisse et pour une fois tu as laissé ton équipement. Pour un peu, tu te prendrais pour un "touriste". Tu as erré quelque peu sur la place, un peu perdu de te retrouver seul. Que cherchais-tu ?




















_ En fait, tu cherchais, en tournant autour de la cathédrale : Place de l'Obradoiro, place de las Platerias, place de la Quintana, place du Paraiso ... Tu faisais mine d'admirer, ici les sculptures du Portique de la Gloire, là celles de la Porte Sainte puis celles de la Puerta de las Platerias ou du portail de la Azabacheria ... Tu prenais du recul, le dos au Palais de Rajoy, pour scruter la façade baroque construite au XVIII eme siècle et les deux tours que l'on dit "sveltes" et "élégantes". ... Tu t'es approché de l' "Hostal del Reyes Catolicos" sans oser y entrer:



... N'y pénétraient que des gens bien habillés, issus de limousines dont les chasseurs aux vestes chamarrées retenaient les portières ... Ce que tu cherchais, sans peut-être te l'avouer ? - Tu l'as compris sans doute au moment où un petit groupe de pèlerins arrivait au centre de la grande place : Un grand diable en culottes courtes, sac sur le dos, poncho et chapeau de paille à larges bords qui saute à pieds joints en lançant les bras vers le ciel. Il hurle ... De joie ?

Tu cherches encore la compagnie des pèlerins : Ceux-là, tu les as croisés plusieurs fois sur le Chemin, tu sais qui ils sont ... Et donc tu sais qui tu es ... Le grand diable te serre dans ses bras, quand il te reconnaît : Tu n'es donc pas un "touriste" ... Tu es bien pèlerin ... Pour quelques minutes encore ... Le temps que les nouveaux arrivants disparaissent à leur tour vers le bureau d'accueil ...

Un peu avant dix-sept heures, tu entres dans la cathédrale, par le Portail de la Gloire, après avoir monté les marches de l'escalier monumental. L'entrée est un peu encombrée :
Des gens baisent la tête des anges de pierre ... Tu les as évités.





















                              Le tombeau de Saint Jacques...




La nef centrale est immense, elle est flanquée de deux autres nefs et la coupole se situe à trente-deux mètres au-dessus du transept. Il y a neuf chapelles, réparties tout autour, des confessionnaux de bois, un déambulatoire qui permet de faire le tour de l'autel. Il y a relativement peu de monde dans la cathédrale - Rien à voir avec les foules de la messe des pèlerins, à midi ! Un léger mouvement se fait. Tu le suis. Hommes et femmes passant la Porte sainte effleurent de leurs doigts, au pilier de gauche et à celui de droite, deux croix gravées en creux dans la pierre quelque peu noircie par ces contacts répétés. Tu accomplis le rite sans en connaître la signification. Tu contemples les statues, les dorures, les moulures, les colonnettes, les peintures, les stucs, les émaux et les pierreries ... Trop ! ... Trop, répétais-tu en passant sous les galeries de la nef centrale, dite "triforium" ... Le mouvement te conduit sans que tu t'en aperçoives au pied d'un petit escalier, derrière le maître-autel. Tu montes les marches comme les autres, après les autres. Et, après les autres depuis des siècles et des siècles, tu passes tes deux bras autour du cou de la statue de l'apôtre, recouverte d'argent et de pierreries ... Tu te souviens alors avoir lu quelque part quelque chose à propos de ce rite : Embrassant la statue de Saint Jacques par le cou, il faut prier pour ceux que l'on aime ... Juste à côté, un frère mineur, robe de bure brune, distribue des images pieuses et montre le tronc aux oboles.

Passe et redescends par l'autre escalier ... Fais place au suivant ... Qui passera lui aussi les bras autour du cou de la statue ... Tu t'es plié au rite : Tu t'es dit enfin que tu n'étais pas différent des autres et que ta longue marche ne te donnait pas l'autorisation de te distinguer ... Depuis des siècles, les pèlerins et les visiteurs ont embrassé la statue de Saint-Jacques _ Toi qui a voulu placer tes pas dans les pas des autres, tout au long du Chemin millénaire, à quel statut particulier, étranger à ta démarche, prétendrais-tu ?

_ Tu y crois, toi, à cette histoire ? ... Saint Jacques a été décapité en Palestine sur ordre du roi Hérode Agrippa 1er en 42 après Jésus Christ. Son corps a été jeté par-dessus les remparts pour être donné en pâture aux chiens et aux rats. Ses compagnons, Athénase et Théodore recueillent sa dépouille, la déposent au fond d'une barque. Ils passent le détroit de Gibraltar. Ils arrivent en Galice, à Pardon, sur la côte la plus occidentale de l'Europe. Ils enterrent le corps du Saint non loin de là. Ce n'est qu'en 810 qu'une mystérieuse étoile guide l'évêque Théodomir et l'ermite Pélagius jusqu'à l'endroit où repose le sarcophage, dans un champ qu'on appellera le "Champ de l'Étoile" ou "Compostellae".























Bien peu nombreux sont ceux qui, de nos jours, accordent foi à ce qui n'est sans doute qu'une légende. Mais qu'importe, après tout ... Les légendes ne contiennent-elles pas la plupart des mythes dont l'homme a besoin ? Tu marches vers Santiago, tu marches vers quoi ?

                     

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