POINTE À PITRE
GUADELOUPE
La « pointe à Peter », sans
doute, du temps où la Guadeloupe se partageait entre les grandes
plantations : Les « habitations », comme on disait, et
« Peter » devait être le maître, sur cette pointe qui s’avance dans
la baie. Une gravure ancienne me montre ce paysage : Fumées des usines à
sucre, palmes, collines que l’on appelle des « mornes ». Un essaim de
navires hérissés de grands mâts dénudés, voiles abattues. Navires ancrés
là dans l’attente de leur chargement ou de leur déchargement. C’était en 1871
et les maisons étaient de bois.
Mes souvenirs sont plus récents et font d’abord ressurgir des odeurs :
Le coprah, la mer, la pluie, des fleurs et des fruits, des fermentations
indéfinies …. Ils font aussi revenir une lumière à nulle autre pareille, près
de la darse, lorsque règne « Midi, émietteur de cymbales » …. Et le
petit Alexis Saint-Léger-Léger prend son bain dans le jardin où « Madame
Lalie » passe le peigne dans sa tignasse. Le petit Alexis ne reviendra pas
mais il a chanté comme nul autre la Guadeloupe des planteurs … On ne le
lui pardonnera pas : Je ne sache pas qu’une plaque affiche son nom à
l’angle d’une rue « Saint-John Perse ».
Ce temps n’est plus et c’est beaucoup mieux ainsi : Le monument érigé à
l’entrée de la ville représente l’esclave brisant ses chaînes.
Je me souviens, moi, d’une longue avenue. Elle enjambe la « Rivière
Salée » à Baie Mahault. La « Rivière Salée », en fait, c’est un
bras de mer étroit : le bras de mer qui sépare les deux îles de la
Guadeloupe, nées à des époques et dans des circonstances différentes : La
« Grande Terre », au Nord et la « Basse Terre » au Sud. La
« Basse terre, bien sûr, est la plus montagneuse, et de très loin ….
L’autre étant un plateau assez sec sur lequel s’étendent à perte de vue les
champs de cannes à sucre.
C’est pratique, ce pont sur la « Rivière salée », que l’on appelle
« Le Pont de la gabarre », (allez donc savoir pourquoi !) … C’est très
pratique, ce pont, car, lorsqu’il y a, (cela arrive assez souvent dans
le pays), une grève générale, un mouvement de revendication …. Une
poignée de manifestants suffit pour couper la circulation automobile et
paralyser toute l’activité.
Aujourd’hui, il n’y a pas de
manifestation. On entre dans la ville après avoir longé les bâtiments de béton
du lycée Bambridge : Pas très beau ! À droite, une tour, de
béton également : C’est la tour Frébault, occupée essentiellement par des
bureaux. On prend la rue principale ; Je crois bien me souvenir qu’elle
s’appelle également la rue Frébault … Qui était ce Monsieur Frébault ? –
Il faudra que je cherche sur internet, cela en vaut la peine.
Hautes maisons, de bois, pour la plupart : On est dans la ville du
dix-neuvième siècle. Balcons, balustres, auvents, boutiques et magasins
sombres : Que peut-on bien y vendre ? – Aux devantures, bassines de
matière plastique, balais, cintres sur lesquels des vêtements sont accrochés.
Derrière les vitrines étroites et rares, on devine des sacs et on aperçoit des
objets indistincts … Prenons à gauche : Petite rue assez étroite – Les
chalands font leurs courses à pied, évitant les voitures comme ils le peuvent.
Une petite place : La place de la sous-préfecture, assez triste – Les
enfants entrent à l’école. La plupart d’entre eux sortent des autobus.
Poursuivons notre chemin : On débouche en pleine lumière – Et Dieu sait
s’il y en a, de la lumière !
« Midi, émietteur de cymbales … »
Les morceaux de cymbales tremblent sur l’eau de la darse. Il n’est pas midi
pourtant … Des traces d’essence, ou d’huile, donnent des irisations irréelles.
Au milieu de cette gloire flotte le cadavre d’un chat. Deux ou trois
flamboyants étalent leurs majestueux parasols en manière de manteaux royaux,
vermillon moucheté de blanc : Somptueux ! Et là, le marché couvert,
ses odeurs de mangues, d’ananas, de sapotilles, de pommes-cythère, de bananes …
Que sais-je encore ? – Des tissus pendent aux piliers, rutilants, de
toutes les couleurs … Et les verts plus ou moins foncés, plus ou moins tendres,
des haricots, des salades, des choux …. Le rouge des tomates ! Les femmes
sont vêtues d’amples robes bigarrées, mouchetées, zébrées … Certaines
s’abritent à l’ombre de parasols, eux aussi très colorés. Le toit du marché est
couvert de tôles, dont certaines sont peut-être un peu rouillées, mais toute la
ville est couverte de tôles rouillées, à l’exception des bâtiments récents, en
béton gris : Eux, ils ont des toitures en terrasses. Persiennes, persiennes,
persiennes :
- « Midi, émietteur de cymbales … »
Midi, le tintamarre de son soleil … Les yeux presque fermés … Et la mer
est là, derrière les hangars de bois, comme un océan de plomb fondu ! …
Juste une fente, entre les paupières !
Des voitures, des voitures, des voitures … Des klaxons … Un grand diable traverse la rue en agitant les bras. Cela sent le rhum et le jus de la canne à sucre, cela sent la bagasse, le coprah, l’huile … Et l’on sent, en arrière de tout ça, une vague odeur de poussière, de fibres de sacs. Une petit bateau sale, coque en bois peinte en vert, derrière le bureau des douanes, embarque du monde pour la Jamaïque, la Désirade ou bien la Dominique : « Touk … Touk …Touk » …
Un grand paquebot blanc est à quai, ses ponts multiples dominent la ville. Les
touristes, vêtements légers, montent dans les bus, mais ils semblent déjà
écrasés de chaleur … Un palmier prend la couleur de l’or. De l’autre côté, des
grues chargent et déchargent de lourds containers. Grondements sourds et le
soir, des immeubles en barres, sortiront des cris, des chants et le battement
du « gros-ka » … Effluves vénéneuses et lourdes …
-« DÉFENSE DE DÉPOSER DES MAISONS ! »
Une pancarte au beau milieu d’un terrain vague, où sont tout de même
Installées quatre ou cinq
« cases » - Baraques, caisses de bois, posées de guingois, chacune
sur quatre pierres inégales … Parois peintes de couleurs agressives :
rouge, vert ou jaune … Toits de tôles plus ou moins disjointes, pansements de
fer blanc issus de boites à biscuits ou de boites de conserves de viandes …
Sur la porte de l’une de ces cases, écrite avec un pinceau rageur, une annonce
excédée :
-« Foutez moi la paix. Je ne suis pas la femme des pêcheurs ! »
Et Marie-Rosalie balaie le seuil de sa maison, tandis que son chien,
aplati dans l’ombre, soulève une paupière.
Mais comment faire, avec tous ces camions, toutes ces voitures, tous ces
pick-up ? Comment faire, avec toute cette foule ? – Sortir de
là : Il y a mieux à voir que Pointe à Pitre, en Guadeloupe !
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