UTUROA
Uturoa est une petite ville. En fait c’est
tout juste si l’on peut parler d’une ville. Je crois bien pourtant que c’est,
en dehors de Papeete, la plus grande agglomération de la Polynésie Française …
« encore française
»,
disait un méchant gamin en croassant . Elle est la capitale de la circonscription
des Îles-Sous-Le-Vent et, à ce titre, elle a l’honneur d’héberger un
administrateur qui a rang de sous-préfet. Elle a même le grand honneur
d’abriter deux administrateurs, depuis que le président du « Territoire »
… (Pardon, du « Pays d’Outre-Mer ») a cru bon de nommer un
administrateur « territorial » pour doubler l’autre : celui qui
représente l’État.
En fait, lorsque j’y suis arrivé pour la
première fois, et c’était en 1967 je crois bien,
Uturoa était
une toute petite ville, une bourgade, dirait-on … Et encore !
Un quai de béton, en face de la passe qui
permet aux bateaux de pénétrer dans le lagon. Une rue d’un kilomètre de long
peut-être. Une petite église au toit de tôles ondulées, rouge. Un temple
protestant, avec son toit rouge également et également fait de tôles ondulées.
Un semblant de place publique (mais je me
demande si son aménagement n’a pas été beaucoup plus tardif). Des bâtiments
de bois, couverts eux aussi de tôles, mais souvent rouillées et rafistolées …
Ils ont résisté tant bien que mal à tant d’années qui passaient, à tant de
pluies, à tant de vents !
- N’y,
demeurent à cette époque quasiment que des Chinois. Ils y tiennent commerce et
c’est bien là la fonction essentielle de la « ville » : On y
vient, en voiture, pour faire ses emplettes. On vit ailleurs, tout au bord du
lagon. En somme, n’étaient les bâtiments des écoles(Catholiques, Protestantes
et Publiques), Uturoa ressemblerait beaucoup aux petites villes du Far West
auxquelles nous ont habitués les films de cow-boys, à la différence près que je
ne me souviens pas d’y avoir connu de cafés, de bars.
Uturoa
était une toute petite ville, une bourgade, dirait-on … Et encore ! Il
devait bien y avoir quelques bars pourtant, sombres et assez louches, dans des
baraques de tôles, derrière le marché couvert où les producteurs des îles
voisines dormaient parmi leurs pastèques. Devant les magasins, les voitures
faisaient le plein d’essence, pompée à la main, directement des fûts en acier.
Dans chaque magasin logeait une famille
chinoise, grands- parents, parents, enfants et bébés compris. À toute heure du
jour et souvent même la nuit, la mère tenait la caisse, faisant, à une vitesse
folle, glisser et cliqueter les boules du boulier pour calculer les prix. Le
père assurait la manutention, les enfants ensachaient le riz, la farine et le
sucre. Les grands parents surveillaient les chalands et donnaient un coup de
main. Les enfants, j’y reviens, manipulaient le fer à repasser, le soir, sous
l’œil de la grand’ mère, afin de pouvoir se présenter impeccablement à l’école
le lendemain. Tout le monde mangeait et couchait dans le magasin : Des
fourmis, vous dis-je ! Dans un
magasin chinois, on trouve de tout : Il suffit de demander …
Ce que vous voulez se trouve forcément
quelque part, sous ou bien sur … Ou bien à côté de… Mais c’est forcément là.
Depuis combien de temps est-ce là ? – C’est arrivé il y a longtemps sans
doute et c’est peut-être couvert de poussière … Mais le « Taporo », le
petit caboteur qui vient régulièrement de Papeete décharge non moins
régulièrement le tissu, le riz, les produits d’entretien, les bouteilles de
gaz, les casseroles, les boîtes de petits pois ou de corned-beef, la bière (Ne
pas oublier la bière en bouteilles !) … La marque est indiquée sur
l’étiquette : Hinano … Elle est fabriquée à Tahiti. On m’a souvent dit que
la cargaison de bière du bateau était aussi vite consommée que déchargée !
Au fond des magasins, des congélateurs
s’ouvrent et se ferment : Ils contiennent les réserves de poisson et de
viande. C’est un peu plus loin, sur le bord d’un petit ruisseau, que l’on abat
les bovins … On dit que les anguilles, énormes, abondent là où « le
Chinois » jette les tripes …
Au bord du lagon, quelques appontements qui
servent à charger le coprah. On voit aussi, sur un sol de grillage, un élevage de
poules : Nul besoin de nettoyer les déjections, qui passent au travers du
grillage et tombent dans l’eau : Cela simplifie la vie …
Carrément dans le lagon, à portée d’un jet
de pierre, on voit de petites cabanes de bois et de bambous, surélevées sur des
plates-formes : La porte est voilée d’un paréo aux couleurs éteintes par
le soleil … Ce sont les « commodités » vers lesquelles on peut voir
se diriger « Tané » et « Vahiné » quand un besoin pressant
et non moins naturel les y pousse. On dit que là aussi, le poisson
abonde !
On ne se promène pas, à Uturoa : On y
vient pour accompagner ses enfants à l’école, pour aller à la poste, pour aller
au bureau de l’administrateur ou encore pour faire des achats, pour faire
entretenir son bateau, pour une convocation au tribunal, ou pour faire ses
dévotions le dimanche. Que viendrait-on faire d’autre, dans cette ville
fantôme, enlaidie par les lignes électriques tirées n’importe comment,
n’importe où, d’un transformateur à l’autre
(Et les transformateurs sont
d’affreuses boites suspendues aux poteaux) !
Des hôtels … J’y reviens, au fait … Il y en
a bien un : Classiques paillotes sur piliers de bois, au ras de l’eau …Six
ou huit paillotes sans doute, chacune possède son plancher à fond de verre, qui
permet de voir le monde sous-marin.
Bambous et toits de feuilles de pandanus.
L’allée est ornée de grands « Tikis » taillés dans des troncs de
cocotiers. Cela s’appelle le « Bali Haï » et l’on aperçoit des
« speed-boats » à moteurs hors-bord, qui convoient des retraités
américains que l’on mène aux plages blanches des îlots, (Là-bas, on dit les « motu »). Un petit avion
« Twin-Otter » les ramènera dans quelques jours vers Tahiti.
Le grand changement est d’abord venu
subrepticement : Personne ou presque n’était au courant. Presque rien
n’avait eu lieu … Des géomètres étaient venus au pied de la montagne, dans la
plantation de citronniers. Ils avaient dressé des lunettes et des mires. On les
voyait s’incliner, saluer, se relever, marcher et griffonner : C’était un
lycée professionnel que l’on devait bâtir ici, pour l’ensemble des enfants des
Îles-Sous-Le-Vent. Les citronniers ne furent pas coupés tout de suite, mais
l’on posa les clôtures de fil de fer barbelé.
La
maison du gardien chevauchait la clôture ? – Qu’importe, on ôta une planche
du mur, à l’Est … Une autre planche du mur de l’Ouest : Par les
ouvertures, on passa le fil de fer barbelé. Il traversait donc la maison !
… Peu importe, et le gardien chinois s’en accommoda.
J’ai connu le grand chambardement, à
Uturoa. Lui, il vint tout à coup.
village
est tombé d’un seul coup, ou presque. On avait construit quelques bâtiments de
parpaings, en y planche au mur, à l’Est … Une autre planche au mur de
l’Ouest : Par les ouvertures, on passa le fil de fer. Il traversait donc
la maison ! … Peu importe, et le gardien chinois s’en accommoda.
J’ai connu le grand chambardement, à
Uturoa. Lui, il vint tout à coup.
On conserve, dans les studios d’Hollywood
les décors des villages du Far-West : Ils serviront pour de prochaines prises
de vue. Ici, tout le village est tombé d’un seul coup, ou presque. On avait
construit quelques bâtiments de parpaings, en y
prévoyant des magasins nantis de belles vitrines … On abattit toutes les
constructions de bois, toutes, tout au long de la rue, toutes à la fois !
On commença par les toitures :
Des échelles avaient été dressées – On arracha les tôles, qui tombèrent sur le
sol avec bruits de tonnerre ? certaines tombaient verticalement…
Net !
D’autres
planaient un moment avant de toucher le sol. On les empilait, toutes en tas …
ça peut resservir !
On
s’attaqua ensuite aux charpentes : tenailles, marteaux, pieds-de-biche …
Cela allait bon train : Les termites avaient fait leur travail, il n’était
pas trop difficile de le terminer ! Puis ce furent les persiennes, les portes, les fenêtres … Les parois enfin, dans de nombreux
craquements et des nuages de poussière …
Les rats
avaient filé depuis longtemps … On les avait vus prendre la clef des champs …
En trois
ou quatre jours il ne restait plus rien : Ville de pionniers – Ville
disparue ! En a-t-on conservé quelques photos ? – Ah Tchoung a
rassemblé ses marchandises, amoncelées comme autrefois :
-
« Si vous voulez que votre commerce marche, il vous faut avoir de
tout ! »
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