dimanche 28 octobre 2018

UNE TAHITIENNE PREND L'AVION ....





MA  CHÈRE  YVETTE ...











... Elle roule des yeux, mon cher ! Quand elle raconte, c’est une

 femme qui pétille d’intelligence et d’humour. Elle raconte :


-” Je suis née à Huahiné, sous les cocotiers. J’ai pataugé dans 

le lagon comme tous les enfants. Tous les dimanches matin on 

me mettait une robe à volants et je partais vers le temple, mes 

chaussures à la main."



"Et puis on me met en pension à Papeete. C’est une capitale. Je 

m’y fais."


"Alors voilà : J’ai douze ans. Il paraît qu’il faut que je poursuive

 mes études en France. Comme je sors du collège protestant,

 on m’envoie à Strasbourg ... C’est où, Strasbourg ? Et puis j’ai

 un petit peu peur de ne rien comprendre là-bas ! Je sais très

bien qu’en France, on ne parle ni le Tahitien, ni le véritable 

Français ..."






"Le véritable Français ... Tu penses ! Quand j’ai passé le 

Certificat d’Études à Papeete, le professeur qui lisait la dictée 

... On ne comprenait rien à ce qu’il disait !"





"Quand j’arrivais à comprendre un mot je l’écrivais à la hâte et 

je laissais tout le reste en blanc, en espérant comprendre 

mieux à la relecture ..."











"Nous qui étions habitués à des intonations standard et à des 

prononciations bien nettes, détachant bien les syllabes ...


Les copains, dans la classe, me faisaient des signaux

 désespérés.

J’étais la plus dégourdie. C’est donc moi qui devais expliquer

 ce qui se passait ... Je lève le doigt. J’explique. Le professeur 

éclate de rire ... Nous avons repris la dictée avec quelqu’un qui

 parlait vraiment le Français, le nôtre !"












Quand elle raconte, ses mains sont extraordinairement 

mobiles. Tout le visage est expressif. Les sourcils se lèvent ou 

bien se froncent, les narines palpitent,les yeux, les lèvres ... 

Une véritable conteuse professionnelle !





"Alors, tu comprends ! J’avais douze ans. Me voilà dans l’avion.

 Bon, l’avion, ça va : On m’en a tant parlé que je ne suis as trop

 impressionnée. Je sais que quelqu’un va m’attendre à Paris.

mais c’est qu’il y a une escale à Los-Angelès ! Il faut descendre

 de l’avion, entrer dans l’aérogare, passer des contrôles ..."












-” Tu regardes bien : C’est fléché. Tu suis les panneaux sur 

lesquels il y a marqué “Transit” ... Tu ne peux pas te tromper !"


"On monte dans un autobus, je fais comme les autres. J’ai une

 valise dans une main, un sac dans l’autre : -”Ne pas les quitter,

 tu risquerais de te les faire voler !”


Quelqu’un me donne un ticket ... “Transit” ... C’est bien, c’est

 par là ! Couloir, long, long couloir ... Sans fenêtres, éclairé par 

des lampes invisibles. Moquettes ... Je marche sur la pointe 

des pieds. Un coude à droite, à angle vif. Un autre coude. Long,

 long, le couloir !"



"Plus de panneaux ! Affolement.




Le monsieur qi est devant moi. Il parle Français. Il va donc à

 Paris. Je le suis. Il marche vite. J’accélère ... Pas une seconde 

je n’ai pensé qu’un Français pouvait descendre aux États-Unis

Nouveau coude ... Plus de monsieur !"





                






"Je suis au pied d’une espèce d’escalier dont les marches 

montent toutes seules jusqu’à l’étage au-dessus. Mon 

monsieur est là, tout en haut. Comment faire pour monter sur 

ces marches qui défilent ? J’ai les deux mains occupées par les

 bagages. Je saute à pieds joints ... Me voilà partie !"



"Mais à l’arrivée ? ... A l’arrivée, je me prends les pieds dans 

mon sac et dans ma valise. Je culbute. J’arrive à plat-ventre.

 Mais j’arrive !"












"Et mon monsieur ?

Il est là, mon monsieur. Il passe une porte en verre, tout au

 bout du couloir. Je cours ...

J’arrive. Il n’y a plus de porte ! Il n’y a pas de poignée ! Il y a 

seulement une cloison vitrée, continue."





                                            






"Pourtant, mon monsieur a passé, lui ... Je le vois à travers la 

vitre. Arrive une dame. La cloison de verre s’ouvre en deux, la

 dame passe, tout se referme." 


"Mon monsieur ! Je vais le perdre ! Je fonce dans la vitre. Je

 baisse la tête. Je protège mon visage avec mon bras, comme je

 peux.


Ça s’est ouvert ! Je ne sais pas comment ..."



"C’était en mille neuf cent cinquante sept. J’avais douze ans. 

J’allais à Strasbourg ."..









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