Saint Honorat.
LES ÎLES DE LÉRINS
-
- « Comment je les sais, toutes ces histoires que
je raconte ? – Eh ! C’est comme la recette de la pissaladière,
tenez : On se la transmet de mère en fille, de voisine à voisine, de
commère à commère … Ces histoires, ça traverse les générations ! »
Mon ami Jean-Pierre était assis, déjà, au bout de la
longue table recouverte d’une toile cirée. Il avait déjà le couteau et la
fourchette en main. Sa femme avait sorti du four le plateau de cuisson, un long
plateau qu’elle tenait devant elle. Elle avait son tablier blanc et protégeait
ses mains de la chaleur avec des torchons à petits carreaux rouges et blancs.
-
- « Sentez-moi ça … Elle sent pas bon, ma
pissaladière ? »
Ma foi, ça sentait l’oignon, l’huile d’olive et les
anchois … C’était une odeur d’autrefois, venue du fond des
temps. Jean-Pierre remplit son verre d’un vin de sa vigne, plus que blanc
… Limpide.
La Marie continuait :
-
« Ce n’est pas une histoire que je vais vous
raconter aujourd’hui … Ce n’est pas une histoire puisque c’est vrai … Oh !
ça se passait il y a bien longtemps : On m’a dit que c’était en l’année
quatre cent dix, quatre cent dix ans après la naissance de Notre Seigneur Jésus
Christ. Ce n’était pas loin d’ici, puisque c’était aux îles de Lérins, juste
devant Cannes.
En ce temps-là, il y avait
beaucoup de pèlerins et tout le monde avait la foi. On bâtissait beaucoup de
monastères … Je suppose aussi que c’était, quand on se faisait moine ou
religieuse … Je suppose que c’était un bon moyen, outre celui de sauver son âme
… de sauver son corps aussi : Les famines étaient fréquentes et, dans un
monastère, on trouvait toujours du lard, des choux et du poisson conservés dans
les saloirs …
Bref, en l’an 410, deux
pèlerins, de retour d’Extrème-Orient arrivent par bateau jusqu’aux îles de
Lérins et s’établissent sur l’une d’entre elles, que l’on appelait alors
Lérina. Ils bâtissent sept chapelles entourées de cellules monastiques. Le
premier de ces deux religieux s’appelait Honorat et l’autre Caprais … On dit
maintenant saint Honorat et saint Caprais, et l’île Lérina est connue sous le
nom de Saint-Honorat. Le rayonnement de l’abbaye ainsi fondée devint si grand
que l’on construisit sur Léro, l’île voisine un Prieuré pour accueillir plus de
disciples. »
-
« Lérina et Léro … Je comprends bien que la
première soit appelée Saint Honorat de nos jours, mais l’île voisine, Léro …
Pourquoi l’appelle-t-on de nos jours l’île Sainte-Marguerite ? »
-
« Ah ça ! C’est une tout autre histoire et
je ne sais que penser : On n’a jamais rien trouvé, ni parchemin, ni
capitulaire, rien qui puisse servir de preuve … On dit qu’Honorat avait une
sœur, qui s’appelait Marguerite … Pourquoi pas ? – Mais après cette
histoire devient étrange et je ne sais ce qu’il faut croire …
-
Vous avez lu les conteurs de la Renaissance ? …
Les conteurs Italiens surtout : Leurs histoires sont remplies d’aventures
plus ou moins graveleuses : Des abbesses qui font entrer dans leur cloître
un jeune abbé et font tant et tant de gracieusetés avec lui qu’il est maigre
comme un hareng, épuisé lorsqu’il parvient à s’échapper … Des religieuses que
l’on dissimule sous une soutane d’abbé … Bon, n’y voyons pas de mal : La
nature humaine est ce qu’elle est.
-
- « Mais je ne vois pas pourquoi vous me racontez
ça ! »
-
- « Ben …Marguerite était-elle vraiment la sœur
d’Honorat ? … Toujours est-il qu’elle aimait tant celui-ci qu’elle voulut
absolument se rapprocher de son « frère ». Elle lui demanda
l’autorisation de construire un couvent sur l’île de Léro pour y installer
une communauté de femmes : Ainsi ils pourraient se voir puisqu’ils s’aimaient
tant … C’est là que je me montre un peu suspicieuse … Elle insistait tant que
cela me fait réfléchir … Apparemment, Honorat était comme moi : Il ne
répondit que prudemment : Il donna son accord, mais ce fut à la condition
que l’on ne se verrait qu’au moment … de la floraison des amandiers !
-
Tu parles ! … L’histoire raconte qu’à partir de ce
jour-là, sur L’île de Saint Honorat et sur l’île de Sainte Marguerite, les
amandiers se mirent à fleurir chaque mois !... Ah ! En ce temps-là,
il y en avait, des miracles ! Je crois que cette histoire vaut bien celles
qui nous sont parvenues par l’intermédiaire des conteurs italiens de la
Renaissance … Non ?
-
Toujours est-il que l’abbaye de Lérins devint l’une des
plus puissantes de la Chrétienté occidentale : Elle était propriétaire de
toute la contrée cannoise et bien au-delà.
-
Maintenant, il faut que vous alliez sur les îles :
Le voyage en vaut la peine … Ces îles protégées sont de vrais petits
paradis ! Et puis les moines cultivent des vignes qui fournissent des vins
… Je ne vous dis que ça ! En dehors de la saison touristique,
allez-y : Il n’y a presque personne, vous aurez toute tranquillité … Pour
effeuiller la marguerite si bon vous semble !
Cette période du Ve et VIe siècle est dite « l'âge d'or » de
Lérins puisque de très nombreux frères sont canonisés et donnèrent leur nom à
des lieux qui étaient précédemment des lieux de culte celto-ligure : Saint
Vincent le Lérins, Saint Hilaire, Saint Fauste, Saint Eucher de Lyon, Saint
Salvien, Saint Leu, Saint Césaire, Saint Maxime, Saint Aygulfe, Saint Cassien
et Saint Germain.( Site Cannes Select).
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– « Et maintenant,
goûtez donc ma pissaladière, que le Jean-Pierre il est en train de s’empiffrer
et qu’il n’en restera pas un morceau !»
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