dimanche 7 juin 2015

NAVIRES PERDUS ... MEMENTO ....







MEMENTO















Et la page, et la vague, et la porte, que ferme le vent ...
La page crisse, se plisse, puis tourne enfin.
La vague s'enfle et s'affale.
La porte claque.
Un canot bleu, tout petit sur la mer : sur la page, une minuscule virgule ...




L'alisé souffle depuis le mois de juin : Dans la salle des Archives Nationales, les ventilateurs sont immobiles. Une porte claque : Porte d'armoire. On a ouvert un tiroir tout à l'heure, d'où l'on a extrait le fichier des "Péris-en Mer".







_ " En cette saison, Monsieur, le vent a de brusques sursauts. Nos pêcheurs ne sortent pas. "


Archives en formes de litanies de voiliers et de vapeurs égarés, heurtant des récifs ignorés ... De grands vaisseaux, chargés de drap et de vins, d'épices et de sucre. Les vagues cognent, les mâts se brisent, les carènes s'ouvrent, les barrils s'en vont au gré des courants ... Des jours et des jours, des semaines et des mois, des barques dérivent. Les pluies sont rares, les soleils ardents, les nuits sont froides. Vaste, l'océan est vide. On ne sait pas où l'on est. On ignore où l'on va.


Au registre, la page se tourne, que le temps a jaunie. Les listes sont longues. Les mentions sont brèves :














_ " L'Administrateur des Iles-Eloignées, faisant sa tournée, a découvert sur l'île Alphonse trois marins rescapés du "Tulagi". Ils avaient dérivé quarante jours , depuis les côtes de Ceylan. " _ C'était en mille neuf cent quarante quatre.
_ " Un navire anglais, en mille neuf cent dix, a recueilli, par neuf degrés trente huit de latitude Nord et soixante degrés trente quatre de longitude Est, le dernier survivant du "Sea-Queen ". Son canot avait dérivé, au total, pendant quatre mois.
_ "Ceux qui vinrent aborder à l'Ile-du-Nord dérivaient depuis quatre mois, venant du Cap Comorin" ...


Les oiseaux et les poissons mangés crus, l'eau qui manque, la peau qui cloque et se fend ... Les compagnons qui meurent ...


Un collègue nous quitte : Il passe la porte et plonge dans la lumière. Comme à son habitude, sa chemise est un peu frippée, son pantalon en accordéon, ses cheveux roux sont en bataille. Trapu, il est court sur pattes et se dandine un peu. Je ne vois plus que son dos, large. Mais avant qu'il ne se retourne, il arborait un éclatant sourire ... Il regagne son propre bureau, tout proche. Le vent souffle, la porte claque : À jamais, un homme a disparu !











                                        Merci pour les photos gratuites.



La vague gonfle et roule. Il y a quatre jours, le petit bateau bleu a été tiré vers la mer. La page a été tournée : Le bateau n'est pas revenu. Il ne reviendra pas …. Jamais ! ... Quelque part, aux Archives, un tiroir est ouvert. Une fiche est prête, portant deux noms, celui de mon collègue et celui de l'un de ses amis : Deux hommes partis à la pêche...
Hier, un avion a tourné, venu de Diégo-Garcia. On a vu un hélicoptère, des bateaux ...
La vague s'affale, lourde, retombant comme un couvercle. La porte est close. Le registre sera bientôt refermé. Deux femmes espèrent encore, et des enfants, et des amis ...


_ " Moi, Monsieur, j'ai dérivé pendant vingt jours, sur un canot, avec mon fils et mon mari ... Nous avons recueilli la pluie sur une toile. Un bateau grec nous a repêchés près des côtes de l'Inde. Notre moteur était tombé en panne, tout près de la plage de Praslin. Nous n'avions ni ancre, ni avirons, ni signaux. Il y avait du monde sur la plage, tout près. On nous avait vus, mais on a cru que nous pêchions ... Vingt jours, et le froid de la nuit, les brûlures du soleil en plein jour, la soif, la faim, le désespoir..."



_ Deux frères, il y a bien longtemps, dérivèrent pendant des semaines, jusqu'aux côtes du Mozambique ... Ils sont revenus sains et saufs !

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