vendredi 12 juin 2015

UN CHINOIS AUX ÎLES DU SOLEIL.





UN CHINOIS AUX SEYCHELLES ...








UN CHINOIS  AUX ÎLES



La boutique fait face au marché. Elle est très ancienne. Bâtie en planches, elle était jadis peinte en vert : Il en reste des traces. Toits de tôle ondulée, montrant encore des traces rouges, mais pièces rapportées, de toutes les couleurs. Balcon en avancée, avec des balustres. La porte ouvre sur l'obscurité intérieure. Parfois une femme en sort : large chapeau de paille battant des ailes au soleil, qui glisse et descend dans la rue. On devine des choses, là-dedans, et des gens qui bougent un peu, au ralenti.


" Kim Khan _ GENERAL MERCHANDISES", lit-on, sur un panneau peint .


Il y a peu de Kim Khan aux Seychelles, mais ils se sont soigneusement postés aux points cardinaux. L'un vend des postes de télévision, l'autre des climatiseurs, le troisième est photographe ... Un quatrième fait on ne sait quoi, au fond d'une impasse... Les plus jeunes arborent vitrines. Les plus anciens vivent dans l'ombre.
Ils ont trafiqué la vanille, le coprah, la cannelle, le patchouli, la nacre, l'écaille, et même les peaux d'oiseaux de mer à duvet, dont on faisait les houppes à poudrer les belles ... Ils ont vendu des faïences, des brosses, du rotin, du riz, des clous, des transistors, casseroles, chemises, ouvre-boîtes, bouchons, beignets, parfums, sandales ... Les ans ont passé, les lustres et les siècles. Ils sont toujours là, derrière leurs comptoirs. La calculette a remplacé le boulier, mais ils comptent toujours ... Chez les Kim Khan, on compte ce que l'on a eu, ce que l'on aura ... Et l'on est les seuls à savoir ce que l'on a . On compte, on compte ... On mesure, on soupèse, on pèse, on calcule, on suppute.











Mêmes yeux bridés, mêmes lunettes à monture d'acier, mêmes crânes, tôt blanchis, tôt dégarnis ... Sourire rare, rire plus rare encore, sec, discordant un peu. Mêmes dents en or ...




L'ancêtre se trouve dans la boutique en bois, face au marché. Il y est depuis deux siècles et demie , depuis la fondation de la ville... Il ne se tient plus droit tout seul : On l'installe le matin, derrière son comptoir. Ses yeux sembleraient vifs, mais quelquefois, ils chavirent. Sa peau est livide et amincie. Sa mâchoire tombe un peu, entr'ouvrant la bouche.
Quand est-il vraiment venu jusque là ? Comment y est-il venu ? Etait-il cuisinier sur un de ces voiliers dont le quart de l'équipage mourait à chaque traversée ? Fut-il soutier, sur un vapeur des Messageries-Maritimes ? Retourna-t-il un jour au pays, pour prendre une femme de sa race et revenir ensuite ? Fut-il toujours là, tout simplement _ Parce que Kim Khan est là, et ses fils et petits-fils ?
Dans la boutique, sur un mur, il y a un cadre qui est de travers : On y voit la photo de la Reine Elizabeth II à Victoria, entourée des Kim Khan.
Cela aurait tout aussi bien pu être la photo de ... La reine Victoria ... entourée des Kim Khan !


















_ Vous passez, comme vous le pouvez, entre les comptoirs et les présentoirs, sous les chemises qui pendent au décrochez-moi-ça, Le regard se perd un peu, parmi les pièces détachées pour automobiles, hétéroclites ... Les sous-vêtements féminins, les arrosoirs, les éventails, les bouteilles de bière, les cuvettes de lavabos ... Kim Khan est là, l'ancêtre, sur un tabouret haut-perché. En y prêtant attention, on voit bien qu'il est en fait au bord du "Paradis-pour les ancêtres"...Mais depuis si longtemps ! Son bras plonge dans le tiroir-caisse entrouvert : Maladie de Parkinson ... La main tremble. Elle joue dans les billets de banque ... Depuis la nuit des temps ... Pour toute une éternité !

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