samedi 27 février 2016

APRÈS LE MAROC - LA PROVENCE.





LA BAUXITE













La bauxite, dont le nom dérive de celui du village des Baux en Provence, où elle fut découverte, est un minerai d’aluminium. Elle est rouge, rouge sang de bœuf. Nous en voyions passer, par pleins chargements d’énormes camions, tout au long des routes de Provence. C’était en 1948. Je n’ai connu de roches aussi rouges, voyageant également par pleins camions, qu’en Nouvelle-Calédonie où l’on extrait le minerai de nickel. D’ailleurs, l’exploitation des deux minerais présentait beaucoup de similitude : C’était par pans entiers que l’on abattait les flancs des collines, terrasse après terrasse. Cette exploitation, je crois, a cessé en Provence où les gisements ont été épuisés.








Au lycée Lamoricière, à Oran, J'avais commencé à étudier le Latin ... avec autant de succès que dans mes études de solfège, ce n’est pas peu dire! Du reste cette étude de langue morte me rappelait un peu l'étude de la musique telle qu'on la conduisait dans ce temps-là : "rosa, rosa ..." C’est tout juste si le chef d’orchestre ne faisait pas danser la baguette !
J'eus tellement de succès que l'on me conseilla vite d'abandonner. Il faut dire aussi que l'haleine de mon professeur sentait plus souvent le vin que la rose ! Par contre, je continuai à étudier l'Anglais : J'aurais été bien incapable d'enfiler des mots dans le bon sens pour aller acheter une boîte d'allumettes à l'épicerie du coin ! Mais je connaissais des mots : On nous faisait apprendre des listes de mots … Ils se déposaient par couches dans ma mémoire latente. Je fus tout étonné de les voir ressurgir lorsque j'en eus vraiment besoin ... quarante ans plus tard ! Pour l'heure, il me souvient que j'étais censé traduire Peter Pan et « The Tempest », de Shakespeare.

Arrivé en Provence, c'est l'Italien que je fus obligé d'aborder comme deuxième langue, proximité de l'Italie oblige. J'aimais bien l'Italien, très musical, mais cet enseignement était encore une autre rupture pour moi car les Bons Frères vendéens m'avaient initié ... à l'Espagnol ! J'avais également aimé l'Espagnol et ses sonorités viriles. Plus tard, en un autre collège encore, je ne trouvai ni professeur d'Italien, ni professeur d'Espagnol. On me proposa l'Allemand ... que je refusai : Cela allait bien comme ça !
























À la maison, nous dansions quand les filles du Marquis venaient dîner. Après avoir mangé des brochettes sur la terrasse, nous repoussions les meubles contre les murs de la salle à manger et nous mettions en route le tourne-disques « Teppaz. ». Je dansais très mal. Et je ne danse pas mieux maintenant. Mais j'étais ... Je peux bien le dire, j'étais amoureux. De qui ? -De toutes les filles du Marquis, toutes à la fois et elles étaient cinq ! J'aimais, et je prétends que l'amour préexiste à la rencontre de son objet. Pour l'instant, il était diffus. Il n'y avait pas vraiment d'objet, mais il était bien là.

Nous dansions le paso-doble, avec des allures espagnoles et la samba brésilienne. J'aimais ... L'aînée avait une lourde chevelure châtain, elle était coiffée de rouleaux qui lui faisaient une couronne, la seconde était blonde, la troisième était la plus proche de nos âges. Le dimanche, ou bien pendant les périodes de vacances, nous faisions de longues balades à bicyclette.



























- "T'en souviens-tu, nous escaladions le massif des Maures, en file indienne ou bien par paires.

L'époque était bizarre : la guerre était si proche encore et si lointaine tout à la fois ! Elle avait laissé ici si peu de traces ... Les vignes étaient bien alignées, bien soignées, les façades étaient passées à l'ocre, les trains roulaient, crachant la fumée et tirant leurs chargements de bauxite. Le "SOIR du GRAND SOIR" n'en finissait pas d'approcher.

- " Mais De Gaulle a fait rentrer Thorez et il y a des Ministres Communistes !"

Qu'est-ce que c'était, en fait, qu'un "Communiste" ? - Il fallait les craindre.
Y avait-il eu, ici, des Résistants ?
- Il y en aurait eu.

























Le gendre du proviseur du lycée de Draguignan s'appelait François Mitterand. -" Il en parle assez pour que nous le sachions", disait mon frère aîné qui fréquentait cet établissement.

- "Mon gendre François ", disait-il. Et le proviseur, lui, s'appelait Monsieur Gouze. Ses élèves le surnommaient "Lauk", bien sûr. Pourquoi "Lauk" ? Ce mot désigne l'oie en Provençal ... Pourquoi" l'oie" ? _ À cause de "goose", en Anglais ! François ? – C’était François Mitterand, bien sûr !


Notre file de bicyclettes s'engageait dans des chemins invraisemblables, non goudronnés et caillouteux. On longeait des talus, on passait entre les oliviers et les pins. Nous finissions toujours par arriver dans un hameau. Ce n'était jamais le même, mais ils étaient tous déserts. Le foin se trouvait encore au râtelier des étables, il y avait de l'eau dans le puits et le seau pendait à la chaîne. La fontaine coulait.


























Le hameau comptait cinq ou six maisons vides aux portes et aux volets battants. Les murs étaient faits de la même pierre dont on avait construit les terrasses aux flancs des collines. Aux façades, il y avait des roses épanouies, il y avait des fruits aux branches des amandiers et des figuiers. Les vignes étaient un peu devenues folles, mais il y avait des grappes sous les feuilles.

Souvent, dans ces hameaux intacts, j'ai trouvé à terre, brisée, une plaque de marbre. En la reconstituant à la manière d'un puzzle, on pouvait déchiffrer une inscription qui indiquait que là s'était installé un Chantier de Jeunesse.

- "Maréchal, nous voilà !" - Je connaissais cela. Je savais les blousons, les pantalons de golf, les badges et les bérets. Le mât du drapeau était encore en place. On pouvait imaginer toute une animation ... J'en verrai, tout au long de ma vie, des plaques brisées, de marbre ou de bronze ! J'en entendrai, des chants de gloire!

Dans les maisons de ces hameaux, les meubles avaient disparu, les fenêtres étaient ouvertes, qui donnaient sur des panoramas éblouissants de paix, de beauté et de lumière, toujours dans le chant des cigales ! Sont-elles encore debout, ces maisons ? Je les pense habitées par de blonds Hollandais et leurs enfants, par des familles anglaises, ou par des familles allemandes, aux jours d'été. L'eau des fontaines coule-t-elle, claire encore ?
























Nous cherchions des "moines" sous les pierres des murets de terrasses. Ce sont de petits escargots blancs ou rayés de noir. La Mère Fournier préparerait la "suçarelle" à l'épaisse sauce. Vous prenez une coquille entre deux doigts, vous sucez ...Tous les parfums des herbes de Provence !

Nous étendions une nappe sur le sol. Nous sortions le déjeuner. Après avoir bien ri et bien mangé, nous partions dans la garrigue pour grappiller. Nous rencontrions ici une grappe, ici un abricot, là une pêche ou une poignée d’amandes vertes. Nous rentrions tard le soir

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