LE VENT ... LE VENT ...
Le souffle du suroît
s’installait, rapide,
régulier. Il n’y eut
ni rafales, ni sautes.
Sans raison
apparente, le vent était là,
tiède. Il nous
poussait dans le dos,
fortement … Il
fallut rentrer la tête, plier
l’échine. Le monde
changea. Nous eûmes
tout de suite
l’impression que tout
bougeait, que tout
courait … Notre
environnement, tout
à coup, était devenu
virtuel en quelque
sorte. Plus rien n’avait
de forme. Il n’y
avait plus rien de stable …
Nous ressentions un
peu la même
impression que si
nous nous étions
trouvés subitement
et sans l’avoir voulu
debout au beau
milieu d’un fleuve rapide.
Le
sable s’était soulevé dans son ensemble
Il partait vers
le Nord … Il coulait. Nous
marchions nous aussi
vers le Nord,
beaucoup plus
lentement, bien sûr.
Le sol était
toujours aussi ferme sous nos
pieds, mais il
n’était plus visible … Ainsi le
fond du lit d’un
cours d’eau. Le sable sec,
en grains serrés,
courait à hauteur de nos
mollets. Il
atteignit bientôt nos genoux. Il
s’était fait fluide,
léger, rapide, agressif,
nous harcelant de
mille aiguilles. Le corps
du dauphin mort
n’était plus visible. Sans
à coups, le vent
forcit encore. Nous
titubions comme des
pêcheurs à la
mouche au
milieu d’une puissante rivière
… Un gros
buisson d’épinette passa près
de nous;
… Ce n’était qu’une
boule de branchages
noirâtres,
totalement effeuillée … Il
roulait dans le
flux. Alternativement, ses
branches apparaissaient,
disparaissaient.
Il
s’éloigna très vite, sans cesser de rouler.
L’univers entier
était en mouvement.
Pendant quelques
minutes, nous avons
couru derrière le
buisson … Nous étions
trop essoufflés pour
en rire plus
longtemps.
La mer, qui devait
monter maintenant, se
couvrit de hachures
et s’orna de crinières
blanches. Les
oiseaux avaient dû partir se
mettre à l’abri ou
bien ils s’étaient blottis
dans un creux …
Cette mise en
mouvement avait
envahi tout l’espace.
C’était le
temps qui envahissait tout … Le
temps, le
temps qui courait … Le seul
choix possible
était de le regarder passer …
Regarder passer
le temps, fluide,
impalpable,
invincible, vainqueur.
À bien y réfléchir,
ce qu’il y avait de
parfaitement
surprenant dans un tel
spectacle, c’est que
le temps, au lieu de
venir au-devant de
nous, arrivait de
derrière et
s’enfuyait dans le même sens
que notre marche …
Aussi vite que nous
allions, il allait
plus vite que nous. C’était
totalement
dérangeant …
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