LA GLOIRE DES JACARANDAS
La Nuit à l’Île Noire
« Une très vieille nuit et un
sel en désordre
cognent contre les murs de ma
maison :
l’ombre est seule et le ciel
est maintenant un battement de
l’océan,
ciel et ombre
éclatent avec un fracas de combat
démesuré :
toute la nuit ils luttent
... »
(Pablo Neruda)
Cent vingt kilomètres de Santiago.
Vous quittez la ville, vous traversez la « plaine de Toulouse »,
sèche. Vous traversez les plateaux du « Lauraguais » ( à vrai
dire, il y a moins de cailloux, mais c’est tout aussi désert ! ). Collines de la
cordillère littorale, usées, arrondies, sèches. Vous approchez de l’océan ...
Et vous pouvez imaginer que vous êtes quelque part dans les Alpilles. Vous
débouchez enfin sur un paysage des Landes, très abîmé comme il y en a chez nous
: clôtures de guingois, baraques de marchands de frites, vides à cette saison,
terrains de camping désolants, panneaux publicitaires immenses ( Ah ! Coca
Cola ! ). Tout cela attend le peuplement par les vacanciers. Il y a là
toutes les formes de mauvais goût que l’on peut trouver chez nous.
Terres pelées, sèches. Une plage ...
De sable noir (Vous voyez bien, qu’il y a quelque chose de noir !), autour de laquelle
sont bâties des maisons de bois qui auraient besoin d’être repeintes.
Bougainvillées, jacarandas en fleurs, bleus. Géraniums, ficus ...
Face à la maison de Pablo Neruda, des
hurluberlus (des “artistes contemporains” , aurait dit quelqu’un de bien
connu chez nous !), des hurluberlus ont badigeonné je ne sais quoi sur les
rochers, dans la mer, à grands jets de bombes à peinture. Un “buste” du poète,
informe, a été cimenté sur un rocher. Comment a-t-on pu laisser là cette
horreur ?
Mais aujourd’hui, j’ai décidé d’être
heureux : Plus de critiques donc ! Parlons de la maison de Pablo Neruda. C’est
pour elle que je suis venu ... Enfin, pour lui ! Elle a été bâtie par morceaux,
successifs et disparates, juxtaposés, un peu comme la “Chascona”, l’autre maison, de
Santiago. On est en train de lui ajouter une extension pour y loger la
collection de coquillages, qui n’a pas trouvé sa place encore.
-”Mais cette extension avait été
prévue par Neruda.”
Savez-vous que la plupart de ces
coquillages ont été achetés aux “puces” de Clignancourt !
La visite se déroule au galop. Peu de
temps pour s’imprégner de quoi que ce soit. Peu de temps pour rêver. Vous
pourriez croire que, si l’on vous bouscule, c’est parce que la visite d’un
Ministre, à tout le moins, est annoncée . Mais non! Il paraît que c’est
toujours ainsi. J’ai bien essayé de protester, de traîner un peu, mais on m’a
regardé soupçonneusement.
On pourrait fort bien se représenter
une maison de Saint-Trojan-les Bains (Oléron, Charente Maritime)
Plafonds de bois, en forme de carène
de bateau renversée. Accumulations ... Accumulations de figures de proue, de maquettes
de bateaux, de verres colorés, de bouteilles, d’instruments et d’objets
bizarres. Il y a une vaste pièce avec une vaste cheminée. Les murs de cette
pièce sont couverts de rocaille brute et de lapis-lazuli. Corne de narval (la
licorne de mer), un cheval naturalisé, debout sur ses quatre jambes. Un vrai
cheval, à robe dorée. Les amis de Pablo ont offert les harnais et autres
accessoires ... sans se concerter, ce qui fait que le cheval a trois queues,
dont une noire ! Étriers, selle, mors ...
_”Mais comment entretenir une maison
pareille pour que ne s’accumule pas la poussière ?
-” Je pense que, tout simplement,
Neruda n’était pas obnubilé par la poussière“
Vue superbe. ( Attention, Michel,
tu fais dans les superlatifs ! ) Vue superbe sur l’Océan Pacifique. Rouleaux
puissants, odeurs de varechs. Pablo et Matilde reposent dans le jardin : Mort à
la “Chascona”, le poète aura attendu pendant vingt ans le transfert de ses
cendres à Isla Negra ...
Je suis heureux d’être venu là. Mais
le poisson-girouette qui sert d’emblème, tournant à l’intérieur de l’astrolabe,
sur le toit de la maison, conserve-t-il le symbole de l’Esprit ?
Il faut craindre qu’une fois de plus,
un crime ne soit en train de se commettre ici. Crime de “marchands de frites” !
Malgré tout, de ma visite, me voici revenu un peu plus riche, un peu plus
capable de comprendre.
Pour le retour, nous avons pris une
autre route. La “plaine de Toulouse” était un peu plus verte cette fois, avec
quelques vignes, quelques champs de maïs. Il n’en reste pas moins que ces
vastes étendues sont vides ou brûlées. Les terres appartiennent à de gros
propriétaires, elles ne sont pas cultivées parce que les salaires des ouvriers
agricoles sont bas, très bas. On se presse dans les faubourgs de Santiago, et
la campagne est vide !
Route de l’aéroport. Des kilomètres
et des kilomètres de terrains de foot, déserts à cette heure, et pelés,
décapés, terre rouge.
Combien de terrains de foot ?
Le chauffeur du taxi qui m’emmène, et
qui baragouine un peu l’Anglais, connaît le nom de Michel Platini.
Gare centrale : Architecture
métallique du début du vingtième siècle, importée directement de France. Sur
les bas-côté, fleurs bleues des chicorées sauvages.
Et, tout à coup la merveille de la
floraison d’un jacaranda !
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