lundi 4 avril 2016

ILES SOUS LE VENT ....




UTUROA













                  Uturoa est une petite ville. En fait c’est tout juste si l’on peut parler d’une ville. Je crois bien pourtant que c’est, en dehors de Papeete, la plus grande agglomération de la Polynésie Française …
« encore française  »  disait un méchant gamin en croassant .   Elle est la capitale de la circonscription des Îles-Sous-Le-Vent et, à ce titre, elle a l’honneur d’héberger un administrateur qui a rang de sous-préfet. Elle a même le grand honneur d’abriter deux administrateurs, depuis que le président du « Territoire » … (Pardon, du « Pays d’Outre-Mer ») a cru bon de nommer un administrateur « territorial » pour doubler l’autre : celui qui représente l’État.

En fait, lorsque j’y suis arrivé pour la première fois, et c’était en 1967 je crois bien, Uturoa était une toute petite ville, une bourgade, dirait-on … Et encore !















Un 


















             Quai de béton, en face de la passe qui permet aux bateaux de pénétrer dans le lagon. Une rue d’un kilomètre de long peut-être. Une petite église au toit de tôles ondulées, rouge. Un temple protestant, avec son toit rouge également et également fait de tôles ondulées. Un semblant de place publique (mais je me demande si son aménagement n’a pas été beaucoup plus tardif). Des bâtiments de bois, couverts eux aussi de tôles, mais souvent rouillées et rafistolées … Ils ont résisté tant bien que mal à tant d’années qui passaient, à tant de pluies, à tant de vents ! - N’y, demeurent à cette époque quasiment que des Chinois. Ils y tiennent commerce et c’est bien là la fonction essentielle de la « ville » : On y vient, en voiture, pour faire ses emplettes. On vit ailleurs, tout au bord du lagon. En somme, n’étaient les bâtiments des écoles (Catholiques, Protestantes et Publiques), Uturoa ressemblerait beaucoup aux petites villes du Far West auxquelles nous ont habitué les films de cow-boys, à la différence près que je ne me souviens pas d’y avoir connu de cafés, de bars, ni même de terrasses ou d’enseignes d’hôtels … Il devait bien y avoir quelques bars pourtant, sombres et assez louches, dans des baraques de tôles, derrière le marché couvert où les producteurs des îles voisines dormaient parmi leurs pastèques. Devant les magasins, les voitures faisaient le plein d’essence, pompée à la main, directement des fûts en acier.



























           Dans chaque magasin logeait une famille chinoise, grands parents, parents, enfants et bébés compris. À toute heure du jour et souvent même la nuit, la mère tenait la caisse, faisant, à une vitesse folle, glisser et cliqueter les boules du boulier pour calculer les prix. Le père assurait la manutention, les enfants ensachaient le riz, la farine  et le sucre. Les grands parents surveillaient les chalands et donnaient un coup de main. Les enfants, j’y reviens, manipulaient le fer à repasser, le soir, sous l’œil de la grand’ mère,  afin de pouvoir se présenter impeccablement à l’école le lendemain. Tout le monde mangeait et couchait dans le magasin : Des fourmis, vous dis-je !  Dans un magasin chinois, on trouve de tout : Il suffit de demander … Ce que vous voulez se trouve forcément quelque part, sous ou bien sur … Ou bien à côté de… Mais c’est forcément là. Depuis combien de temps est-ce là ? – C’est arrivé il y a longtemps sans doute et c’est peut-être couvert de poussière … Mais le « Taporo », le petit caboteur qui vient régulièrement de Papeete décharge non moins régulièrement le tissu, le riz, les produits d’entretien, les bouteilles de gaz, les casseroles, les boîtes de petits pois ou de corned-beef, la bière (Ne pas oublier la bière en bouteilles !) … La marque est indiquée sur l’étiquette : Hinano … Elle est fabriquée à Tahiti. On m’a souvent dit que la cargaison de bière du bateau était aussi vite consommée que déchargée !

Au fond des magasins, des congélateurs s’ouvrent et se ferment : Ils contiennent les réserves de poisson et de viande. C’est un peu plus loin, sur le bord d’un petit ruisseau, que l’on abat les bovins … On dit que les anguilles, énormes, abondent là où « le Chinois » jette les tripes …

Au bord du lagon, quelques appontements qui servent à charger le coprah. On voit aussi, sur un sol de grillage, un élevage de poules : Nul besoin de nettoyer les déjections, qui passent au travers du grillage : Cela simplifie la vie …

Carrément dans le lagon, à portée d’un jet de pierre, on voit de petites cabanes de bois et de bambous, surélevées sur des plates-formes : La porte est voilée d’un paréo aux couleurs éteintes par le soleil … Ce sont les « commodités » vers lesquelles on peut voir se diriger « Tané » et « Vahiné » quand un besoin pressant et non moins naturel les y pousse. On dit que là aussi, le poisson abonde !


























                 On ne se promène pas, à Uturoa : On y vient pour accompagner ses enfants à l’école, pour aller à la poste, pour aller au bureau de l’administrateur ou encore pour faire des achats, pour faire entretenir son bateau, pour une convocation au tribunal, ou pour faire ses dévotions le dimanche. Que viendrait-on faire d’autre, dans cette ville fantôme, enlaidie par les lignes électriques tirées n’importe comment, n’importe où, d’un transformateur à l’autre  (Et les transformateurs sont d’affreuses boites suspendues aux poteaux) !

Des hôtels … J’y reviens, au fait … Il y en a bien un : Classiques paillotes sur piliers de bois, au ras de l’eau …Six ou huit paillotes sans doute, chacune possède son plancher à fond de verre, qui permet de voir le monde sous-marin. Bambous et toits de feuilles de pandanus. L’allée est ornée de grands « Tikis » taillés dans des troncs de cocotiers. Cela s’appelle le « Bali Haï » et l’on aperçoit des « speed-boats » à moteurs hors-bord, qui convoient des retraités américains que l’on mène aux plages blanches des îlots, (Là-bas, on dit les « motu »). Un petit avion « Twin-Otter » les ramènera dans quelques jours vers Tahiti.
























             Le grand changement est d’abord venu subrepticement : Personne ou presque n’était au courant. Presque rien n’avait eu lieu … Des géomètres étaient venus au pied de la montagne, dans la plantation de citronniers. Ils avaient dressé des lunettes et des mires. On les voyait s’incliner, saluer, se relever, marcher et griffonner : C’était un lycée professionnel que l’on devait bâtir ici, pour l’ensemble des enfants des Îles-Sous-Le-Vent. Les citronniers ne furent pas coupés tout de suite, mais l’on posa les clôtures de fil de fer barbelé. La maison du gardien chevauchait la clôture ? – Qu’importe, on ôta une planche au mur, à l’Est … Une autre planche au mur de l’Ouest : Par les ouvertures, on passa le fil de fer. Il traversait donc la maison ! … Peu importe, et le gardien chinois s’en accommoda.

J’ai connu le grand chambardement, à Uturoa.  Lui, il vint tout à coup.

On conserve, dans les studios d’Hollywood les décors des villages du Far-West : Ils serviront pour de prochaines prises de vue. Ici, tout le village est tombé d’un seul coup, ou presque. On avait construit quelques bâtiments de parpaings, en y prévoyant des magasins nantis de belles vitrines … On abattit toutes les constructions de bois, toutes, tout au long de la rue, toutes à la fois ! – Cela commença par les toitures : On avait dressé les échelles, on arracha les tôles, qui tombèrent au sol avec des bruits de tonnerre. Certaines tombaient verticalement, net !… D’autres planaient un moment avant de heurter le sol. On les empilait toutes en tas … Cela peut resservir. On s’attaqua ensuite aux charpentes : tenailles, marteaux, pieds-de-biche … Cela allait bon train : Les termites avaient fait leur travail, il n’était pas trop difficile de le terminer ! Puis ce furent les persiennes, les portes et les fenêtres … Les parois enfin, dans de grands craquements et de nombreux nuages de poussière.

Les rats avaient filé depuis longtemps. On les avait vus prendre la clef des champs.

En trois ou quatre jours, il ne restait plus rien : Ville de pionniers, ville disparue ! En a–t-on conservé quelques photos ? Ah-Tchoung a rassemblé ses marchandises derrière sa vitrine, amoncelées, comme autrefois !

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