BORDEAUX …
un dimanche de 1989
Quelle est donc
cette ville vide
Ville de notaires
Ville à vendre
Pas de portes
Et l'église des Carmes déchaux
Par appartements
Ville qui tourne le dos
Se ferme entre ses murs
Se clôt derrière ses mots
On la dit née du fleuve
On n'y peut jamais tremper la main dans l'eau
Mémoire du lotus
Parti à la dérive
Îles en escale
Au bout du cours du Chapeau Rouge
Place de la Comédie
Images en miroir
Îles de mémoire
Il est interdit de marcher sur les pelouses
Sous peine de poursuites
Ah ! Je veux qu'on me poursuive
Autour des magnolias ...
*
C'est fou, ce que l'on peut mettre
dans mon verre, vous savez, un beau verre de l'INAO (Institut National des
Appellations d'Origine ... ) ! ... C'est un verre à pied, un verre élancé,
tulipé. C'est un verre qui se gonfle et puis dont les bords se resserrent, pour
conserver au vin tout son arôme et tout son bouquet ... Ah ! mais ! ... C'est
que ce n'est pas la même chose, l'arôme et le bouquet ! Le premier est dû au
cépage et le second se développe au cours du vieillissement. Si vous ne
parvenez pas à distinguer toute la subtilité des différences, plongez le nez
dans votre verre et humez ...
Mais
avant de humer ainsi, et si vous ne voulez point déchoir dans l'estime des
connaisseurs, vous devez saisir le verre par le pied, le lever à hauteur de vos
yeux, à contre-jour, apprécier la robe du vin : Rouge sombre, rouge-rubis,
grenat, grenat brillant, grenat-pourpre, grenat-violet, grenat-sombre, noir,
grenat-noir, robe flamboyante à reflets violets ... C'est fou ce que les vins
de Bordeaux peuvent apporter comme nuances aux galbes de mon verre : En se
vidant, la bouteille le remplit de fleurs ou de gemmes en fusion.
Après avoir admiré, vous
pouvez sans crainte prendre l'air d'un connaisseur. Mais à ce moment précis,
les choses se compliquent : L'instant est venu d'apprécier le nez ... C'est le
vin, au bout du compte, qui a un nez, ce n'est pas vous ! Il vous faut saisir
le verre par le pied, entre deux doigts. On pourra vous expliquer que, si le
verre a un pied, c'est pour vous éviter de transmettre au vin, par
l'intermédiaire des flancs du verre, la température de votre paume. Car il vous
faut déguster chaque vin à une température spécifiquement adaptée. Il y a des
thermomètres pour cela; on en vend dans les caves bien fréquentées. Bon, tenant
votre verre entre deux doigts, par le pied, vous devez le faire tourner, pour
imprimer à la liqueur une rotation qui va créer en son coeur un tourbillon, un
Maëlstrom en réduction. Cela s'appelle aérer le vin.C'est indispensable pour
lui permettre de développer ses arômes et son bouquet. Attention, regardez bien
comment s'y prennent vos voisins avant de faire tourner votre propre verre : Le
petit Maëlstrom se creuse aisément et il arrive qu'un tsunami en réduction se
crée, vous arrosant les pieds ou le gilet ... Ou bien, tout à la fois, les
pieds et le gilet de votre voisin ! Vous avez réussi ? - Parfait ! Conservez un
air parfaitement dégagé et humez ...
Nez
de fruits rouges ou de fruits noirs, de cerises, de cerises confites, de
griotttes, de cassis, de fraises ou de framboises, de myrtilles, de gelée de
mûres, de pruneaux, nez de prunes rouges, de fruits compotés, nez de rose
rouge, d'épices douces, de pain d'épices, nez de grillé, nez de cuir (oui,
de cuir, et Jean de Lavarende n'y est pour rien là-dedans; n'en faisons pas un
oenologue averti ! ), nez boisé, nez cacao, nez café, nez de vanille, nez
de poivre, nez de poivron, nez de violette, de pivoine, de thym grillé avec des
notes de truffe et de muscade, beau nez réglissé, nez assez frais, explosif aux
arômes délicats, nez de fumée de bois ... Et si tout cela vous laisse pantois,
ne perdez pas votre air assurément compétent, dites : " Ce vin a un
caractère très expressif ! ", cela n'engage à rien.
Au goût ... Mais encore faut-il savoir
s'emplir la bouche, faire passer le vin sur et sous la langue, lui faire
baigner la luette et la gorge, le mâcher puis, éventuellement, le cracher dans
le bac à sable ... Regardez comment font les autres ! Au goût, il faut
apprécier d'abord la constitution générale du vin : La finesse, le corps ... Le
vin est corsé, charnu, charpenté, plein, équilibré, élégant, racé ... Ensuite,
on doit juger la douceur : Le vin est souple, moelleux, rond, coulant, velouté,
soyeux, tendre, gras ... Enfin il reste à évaluer la "vinosité" : Le
vin est nerveux, capiteux, chaud, généreux, puissant ... Autrefois j'entendais
dire que le vin avait " de la cuisse "... Ah! Ces vins qui avaient
" de la cuisse" ! Mais aujourd'hui, je crois que les vins n'ont plus
de " cuisse ", et je trouve que c'est bien dommage ! ... Il y a bien
encore un vin qui se dénomme " Cuisse de Nymphe "... Mais ce n'est
pas un grand vin paraît-il, et puis je crois que c'est un rosé !
De nos jours, on verse dans mon verre INAO tant de couleurs, tant de
gemmes, tant de fruits, tant d’épices ... J'y trouve tant de gras, tant de
tannins, l'attaque est si friande, la bouche est si serrée, si racée, la finale
si longue est si fruitée ! ... Il n'empêche, je regrette la " cuisse " !
...
Tout cela à propos des grands Bordeaux ... Mais une piquette bien fraîche, bue
à la régalade sous le jet d'une gourde en peau de chèvre ! Cela aussi vous a un
goût de petit bonheur !
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