mercredi 28 décembre 2016

TOULON ... ET APRÈS ...

                                      
TOULON et APRÈS ..





Liesse à Oran, pour la célébration de la libération de Paris. Tout le monde en fête, sans distinctions, les “Arabes” comme les Européens et tous au beau milieu de la rue. Drapeaux, lampions, musiques et chansons ; J’avais treize ans.

Peu après, nous avons rejoint la France à bord du tout premier paquebot en partance. Il s’appelait le “Médi II “. Nous avions, j’ignore à quel titre, mais sans doute était-ce parce que notre père s’était bien débrouillé, le statut de rapatriés sanitaires.


Nous avons débarqué à Toulon : ferrailles tordues de la flotte sabordée, ferrailles noires, acérées et sinistres, émergeant des flots ... C’était donc cela, la guerre ! Longues files d’hommes habillés de drap vert-de-gris, à calots ou bizarre casquette. On lisait les lettres P.G. dans leur dos, (prisonnier de guerre). Longues files d’hommes humiliés : Les “Fritz”, montant les passerelles, les redescendant avec des colis sur le dos, fourmis ... hommes de bât !

... Le train : Wagons sales et puants. Le train se détourne ou s’arrête, à chaque pont détruit ... C’est donc cela aussi, la guerre ! On nous oublie sur une voie de garage, cela arrivera plusieurs fois. Des jeunes femmes de la Croix Rouge nous découvraient, nous demandaient d’où on venait et où on allait. Elles nous apportaient du lait et du pain. Il nous fallut sept jours et sept nuits pour arriver à Bordeaux où notre père nous attendait. Nos cheveux étaient pleins de poux et nos mains avaient la gale. Nous sentions le rance et l’ordure.









Fossés anti-chars aux portes de la Rochelle, champs de mines dans les dunes d’Oléron, dans les bosquets de Port-des-Barques et ceux de Fouras. Je collectionnais les petits drapeaux en fer qui avaient servi à signaler les mines.


Canons tordus ... Tombes fraîches dans le sable, à Boyardville et à Saint-Trojan-les-Bains : Un piquet de bois surmonté d’un casque d’acier. À Rochefort, il y avait des affiches sur les portes de certaines maisons, proclamant des cas “d’Indignité Nationale” et de “Suppression des droits civiques”. On racontait des histoires de femmes tondues. On parlait des ruines de Royan “libéré”. On racontait des histoires de “Résistants de la dernière heure “.




Des prisonniers de guerre allemands ou autrichiens, que l’on appelait tous des “Boches”, n’est-ce pas ? coupaient du bois de chauffage à la campagne au bénéfice des familles d’officiers français, d’autres recousaient nos galoches et nos chaussures, d’autres encore, interminablement, portaient des charges sur leur dos. Un chirurgien de Constance faisait office de maître d’hôtel au carré des officiers. Il semblait qu’ils étaient tous là pour toujours ...

Nos parents faisaient du savon dans la cour de la maison, mêlant la soude et le suif. La lessiveuse bouillait. On mettait des œufs en conserve, dans une gelée de silicate à l’intérieur de la cuve en verre d’une batterie de sous-marin.


De longues expéditions en Vendée arrivaient des légumes, du beurre, des joues et des queues de bœufs, des mamelles de vaches parfois, dont notre mère faisait des ragoûts.

-”Sur la route de la Rochelle. Trois enfants ont sauté en jouant avec des explosifs.”

    Mon adolescence fut l’occasion de voir fleurir sur les murs des slogans d’ingratitude : “U.S. Go Home !” On distingue encore quelques-uns de ces graffitis, sur certains murs de la Rochelle. Je ne tardai pas à coller des affiches pour le compte de l’association « Paix et Liberté », ce qui me conduisit parfois au poste de police. Le Député, sur un coup de téléphone, nous en sortait vite, mais on nous confisquait nos pots de colle et nos pinceaux ! Le même député nous fournissait en bons d’essence pour nos ballades.

On apprenait de temps à autre quelque incarcération, pour marché noir la plupart du temps.









Mon ami Olivier travaillait à la S.N.C.F. Il était comptable à la gare de Rochefort.


-”Ne t’inquiète pas, le soir du Grand Soir, ils me trouveront.”





Il avait de sérieux titres de résistance. Il connaissait, disait-il, toutes les caches d’armes de la région. Dans les tiroirs de sa commode, il y avait un fusil-mitrailleur et quelques mitraillettes. Je croisais parfois dans son couloir une femme qu’il ne devait pas mettre ailleurs que dans son lit : Odeur de clandestinité là encore ! Il était mon ami. Je tairai son véritable nom. J’appris un jour qu’il avait puisé dans la caisse de la S.N.C.F. pour acheter un ou deux camions qu’il louait à des entreprises locales et un chalutier dans le port de La Rochelle ! C’est le chalutier qui le fit prendre je crois. On le jeta en prison. Il mourut peu après, d’un cancer … La Nature fait parfois bien les choses. Un, parmi tant d’autres, qui ne s’était jamais remis de sa guerre ... Je ne renie pas cette amitié.


Voilà ce que fut la guerre pour moi, ballotté, tâtonnant, le cœur en bandoulière. Il me fallut ensuite apprendre le reste, beaucoup plus tard, à l’issue de cinq ou six années obscures dans des internats hostiles où me conduisirent les affectations paternelles.

           

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