MENTON
Certaines villes ont une
couleur, une odeur, un costume ou des costumes, et même une température, une
atmosphère …
Vous allez à Menton ? … Jaune, indubitablement et sans
aucune hésitation : Jaune d’or, plus jaune que l’or … Le soleil, les
chapeaux de paille, les mimosas en février, les pièces de monnaie aux guichets
du casino.
Ocres : Ocre jaune et ocre rouge aux façades de la
vieille ville. Bleu, bien sûr, le bleu de la Méditerranée. Blanc des palais
« Belle Époque » : Le palais du Louvre, le palais d’Orient, le
palais Carnolès, le palais Gléna, Winter-Palace, Riviera, Lutecia, Imperial …
Que de balcons, que de fenêtres face à la mer !
Menton sent le citron, le citron … Jaune, jaune d’or !
À Menton, les avenues sont bordées de citronniers, d’orangers et de
mandariniers. À Menton, pour le carnaval, on construit des chars, des monuments
et des monstres débonnaires, ornés de citrons, d’oranges et de mandarines. Mais
le parfum du mimosa ! Et l’odeur de la mer, alors !
Vous avez dit Menton ? - Chapeaux de paille,
évidemment : On les appelle des panamas, je ne sais trop pourquoi ;
on pourrait tout aussi bien les appeler autrement. Capelines pour les femmes,
ou chapeaux niçois si vous voulez … Mais ici, ce n’est pas Nice. Chapeaux
hauts-de-forme aussi et peut-être plus encore … Bicornes, tricornes … Avec
plumets et sans plumets. Bonnets à poil, peut-être … Épaulettes garnies,
passepoils, baudriers, ceinturons et galons : Ambassadeurs, officiers de
haut-rang, importants industriels, sabres, épées, glands dorés et gants
blancs. Robes fourreaux, boas de plumes, escarpins à talons hauts…
Caniches toilettés, levrettes fragiles, chevaux à robes
lustrées, calèches ou cabriolets, capotes baissées, éventails. Les domestiques
et les grooms sont discrets, mais portent tunique et pantalon rayé d’un filet
rouge.
On parle l’anglais, on parle le russe, on parle l’italien,
on parle le français, qui est de bon ton. Les cannes sont d’ébène à pommeau
d’ivoire ou d’argent. Le cou des dames est orné de perles et de diamants, le
gilet des hommes est barré d’une chaîne d’or. Certains portent monocle,
d’autres lorgnon. Quelques amours de jumelles ou de lorgnettes ornées de nacre
… Dame, on les pointe sur les voiles qui s’inclinent devant la Promenade du
Soleil.
J’ai dit « jaune », évidemment : C’est pour
son soleil que l’on vient à Menton et l’on y vient surtout en hiver, bien
sûr !
Mais j’ajouterai le vert, tous les verts même : Aux
pentes des montagnes proches, c’est toute la gamme qui fait écrin. En janvier
ou février, il peut encore y avoir quelques écharpes de neige : hermine
… Leur luxueuse présence renforce le plaisir de la température ressentie.
Et puis, les jardins et les parcs : Jardins de la Madone, jardins de Val
Rhameh, jardins de Carnolès, jardins Biovès, les Colombières, le Clos du
Peyronnet, Maria Serena, Fontana Rosa : Citronniers et orangers,
mandariniers, pamplemousses, palmiers, aloès et cactées … Fleurs jaunes, fleurs
rouges … Et même des roses en février ! – Si, si, il y en a encore
quelques-unes !
J’y insiste : Menton, son casino, le Palais de
l’Europe, la Promenade du Soleil, celle de Garavan, l’abbatiale Saint Michel,
la rue Carnot et … Et … Comment y va-t-on ?
Eh bien, allons-y par le chemin de fer … Ah bien oui !
Le chemin de fer, quand on demeure à La Rochelle !
Souvenez-vous, pour aller à Séville par voie aérienne, vous
avez décollé en direction de … Londres ! – « Low-coast »
oblige ! Eh bien, pour aller de La Rochelle à Menton, par le train vous
passez … Par Paris ! - Vitesse oblige : Passer par Bordeaux, Toulouse
et Marseille, c’est beaucoup plus court et plus logique, mais cela vous
obligerait à emprunter des trains express régionaux, beaucoup plus lents et
s’arrêtant à toutes les gares. Cela vous obligerait aussi à changer de train au
moins trois fois, en traînant vos bagages sur les quais et ahanant dans les
escaliers des passages souterrains : Descendre aux enfers et
remonter péniblement vers le jour … Bref … (Si l’on peut dire !) En
passant par Paris, vous gagnez plus de trois heures et beaucoup de quiétude. Il
est vrai qu’à Paris, il faut changer de gare, prendre un bus pour cela et puis
reprendre le T.G.V. à la gare de Lyon …
De La Rochelle à Paris, le train ne s’arrête que trois
fois : Niort, Poitiers, Saint Pierre des Corps. On a aperçu les immeubles
de la périphérie de Tours, et puis on a traversé de vastes plaines à céréales.
Là où l’on aurait pu jouir du panorama, que l’on sait délicieux, des arbres,
souvent, cachaient la vue … Dommage ! On approche assez vite de
Paris : Les passagers s’agitent dans les couloirs, récupèrent les
vêtements sur les étagères des porte-bagages :
« Tu oublies ton écharpe : Elle était sous ta
veste!»
Files serrées, groupements impatients. Quelques voyageurs
philosophes restent assis. Certains, même, ont jugé qu’ils avaient encore le
temps de terminer leur lecture. Ce sont les sages.
Paris, gare Montparnasse. – « Où se trouve la
porte donnant accès aux autobus » ? – « Là » :
Descendre les escaliers … Esplanade, La tour … Il pleut.
« Prendre le
91 ! »
Des terrasses de cafés, des vitrines de magasins …
« Combien de stations encore ? »
Bon, cela s’est bien passé, nous sommes à la gare de Lyon …
Je vous passe le récit de ces instants, vous connaissez :
« Regarde tes billets : Quel est le numéro de la
voiture ? »
Bon, nous avons trouvé nos places. Le train avance,
doucement d’abord, puis il prend de la vitesse au moment où apparaissent les
bâtiments des zones industrielles … C’est parti. Il n’y a plus qu’à se carrer
dans son siège et laisser aller.
Je
reprends ma lecture … Ah ! oui, je ne vous l’avais pas dit : Depuis
La Rochelle, je lis « La Semaine Sainte », de Louis Aragon :
Prose superbe. C’est le récit du retour de Napoléon, après son exil à l’île
d’Elbe : La remontée vers Paris, un fourmillement de troupes, de généraux,
de maréchaux, de cavaliers épuisés, de fantassins boueux. S’en va-t-on vers
Calais ou bien vers Lille ? Où est le Roi ? Où est l’Empereur ?
… Pas facile de suivre le fil ! De la Rochelle à Paris, ça allait
encore : On était tranquille. Mais à partir de Paris ! … Comment
voulez-vous que je m’y retrouve parmi tous ces Princes, parmi tous ces Ducs,
tous ces Barons, ces Commandants et ces Capitaines ? D’autant qu’ils
emmènent pour la plupart, soit leur épouse, soit leur maîtresse : Vous
savez encore vous, qui était le Prince de la Moskova ? Qui, Marmont ?
Qui le général Ruty ? Quelqu’un se souvient-il que Macdonald n’a pas
toujours été le propriétaire d’une chaîne de restaurants « fast
food » ? - Qui prenait Madame de Visconti pour une productrice de
cinéma italienne ? - À tout ce monde-là se mêle Théodore Géricaud, le
peintre, dont il faudrait se souvenir qu’il fut Mousquetaire gris, avant de
peindre le « Radeau de la Méduse !!
Dans le calme, on parvient à suivre, à voir à travers cet
essaim échappé de son nid et qui bourdonne dans tous les sens … Mais quand vous
avez, à votre gauche, un quarteron qui ne cesse de rire à gorges déployées, en
s’en racontant « de bien bonnes » ! – Je ferme le livre au
premier arrêt : Ah oui ! Nous devons être à la hauteur de Lyon. Je ne
me souviens plus du nom de cette nouvelle gare, en rase campagne : Béton,
triste béton ... On ne s’arrêtera plus avant Avignon, puis
Aix-en-Provence. Regarder le paysage ! Ah bien oui ! – Le
paysage ! Le soleil gênait ma voisine : Elle a tiré le store. Plus de
paysage ! J’essaye de sommeiller, mais aller donc sommeiller quand les
conversations vont si bon train ! – En prendre son parti.
Après Aix-en-Provence … On ne vous l’avait pas dit ? …
Après Aix, le T.G.V. roule à la vitesse d’un T.E.R. J’ai été surpris : Il
ne s’arrête ni à Marseille, ni à Toulon je crois. Où ai-je aperçu la
Méditerranée pour la première fois … Si bleue, (Ah ! Je vous y prends,
vous l’attendiez, cet adjectif ! - N’est-il pas vrai ?)
Aix-en-Provence, Les Arcs-Draguignan, (Tiens, j’ai
laissé passer Le Cannet-des-Maures où j’ai vécu mes dix-huit ans au soleil des
jeunes filles en fleurs !), Saint-Raphaël-Valescure, Cannes,
Nice-Ville, Antibes … J’ai aperçu Marina-Baie-des-Anges (Après tout,
peut-être pas si moche que ça, cette pyramide de béton ?), Monaco (Ah !
Monaco !), Roquebrune-Cap-Martin … J’en oublie peut-être, et je ne
suis pas certain de les avoir citées dans l’ordre …
Menton … Enfin ! Il est dix-neuf heures ; nous
sommes partis de La Rochelle à sept heures du matin : On aurait eu le
temps d’aller à Los Angelès … par avion, il va sans dire !
Menton, c’est une ville d’artistes, tout le monde sait
cela. Mais pourquoi faut-il que les édiles aient cru bon de couper la tête à
tous les peintres, les sculpteurs, et, sans doute les écrivains qui ont
fréquenté les promenades de la ville : Les jardins de Carnolès me donnent
des frissons dans le dos lorsque, plongeant dans leurs collections d’agrumes,
je me vois obligé de déambuler entre les alignements de têtes qui semblent
avoir chu de l’estrade d’une guillotine ! – Têtes de pierre, il va sans
dire, que le temps, le soleil et les pluies ont grisées de mousses et de
lichens.
Et quand on parle d’artistes, on ne peut faire autrement
que parler de Jean Cocteau. Je l’avais laissé à Milly-la-Forêt, il y a bien des
années. Je l’y croyais toujours : Il était enseveli dans une chapelle dont
il avait lui-même décoré les murs. Sur la dalle de sa tombe est écrit « Je
Reste Avec Vous ». Il faut croire qu’il « reste avec nous »,
même quand on se trouve dans la ville française la plus éloignée de la région
parisienne : « Je Reste Avec Vous » … C’est écrit aussi à
Menton, sur une paroi du bastion qu’il a choisi pour lui servir de musée.
J’aurais bien voulu voir la chapelle de Villefranche, qu’il a aussi décorée …
Une autre fois !
Je n’ai pas une passion absolue pour Jean Cocteau, mais il
faut reconnaître qu’outre son statut mondain et apparemment léger, on
peut, sans hésitation, lui accorder le statut d’artiste … Qu’est-ce qu’un
artiste sinon quelqu’un qui est fondamentalement angoissé, obsédé par le
visage de la mort ? Pauvre Jean … Au bastion : Tapisserie d’Aubusson
représentant, d’un dessin hallucinant et de couleurs agressives Judith portant,
ensanglantée, la tête d’Holopherne, tranchée… Horreur splendide ! Sur les
parois de la salle des mariages, à la mairie, de superbes scènes énigmatiques
où ne peuvent se lire que l’épouvante, le désarroi et la détresse : Noces
aux airs de fatales corridas … Désespoir d’Orphée : Eurydice
s’évanouit aux Enfers ! Au plafond caracole le poète sur un fougueux
Pégase qui l’emporte on ne sait où dans le temps et dans l’espace : Dans
le vide … L’ange Heurtebise, déguenillé comme un sale gosse, lance les astres,
par poignées, à la face du poète.
Pauvre, pauvre Jean qui n’a cessé de chercher les cœurs
parmi les ors et les clinquants … Pauvre Jean, que l’épée d’académicien, arme
d’opérette, n’a pas su protéger tout à fait !
Sur la promenade, juste à côté du bastion, on construit un
nouveau musée, de béton, pour abriter les œuvres du pauvre Jean.
- « Je vous livre le secret des secrets. Les miroirs
sont des portes par lesquelles la Mort va et vient. Ne le dites à personne. Du
reste, regardez vous toute votre vie dans une glace et vous verrez la Mort
travailler comme des abeilles dans une ruche de verre. »
- « Ma démarche morale est celle d’un homme qui boîte,
un pied dans la vie, un pied dans la mort ».
On entend : - « Maman, tiens-moi la
main » !
Orphée, tu abandonnes ta lyre ? – Le clown est
triste : Sur le mur du fond, dans la salle des mariages, la capeline de la
mariée est de travers. À la place de l’œil du marié, Cocteau dessine un petit
poisson … Pirouette ! Mais la pirouette ne dissimule pas les affres du
poète.
Au fond, Jean Cocteau, je l’aime bien : Et
qu’importent les cabrioles … j’irai, la prochaine fois, si je le puis, voir la
villa dont il a décoré les murs, et puis, j’irai, nul doute là-dessus, j’irai
jusqu’à Villefranche pour en visiter la chapelle : Ce n’est pas très
éloigné de Menton.
Peut-être y retrouverai-je l’étoile qui suit sa
signature:
- « Je reste avec vous ! »
En y réfléchissant bien, je crois que c’est cela
Menton : Un éclat du soleil dans le coin d’un miroir, fugitif, trompeur…!
- Grimaces des pantins de carnaval, en ce jour de février, et masques des
enfants ! Le clown a besoin d’être mystifié, il le veut. Mais l’odeur
et les ors des citrons, oranges et mandarines!
Grimace : Sur le trottoir de la Promenade, à petit
pas, Carabosse pousse son déambulateur, à tout petits pas … Et ricane !
*
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire