ROCHEFORT-SUR MER
C'est un beau bâtiment, qui se veut néoclassique en quelque sorte. Il se trouve
près de la place "Pique-Mouche", ainsi appelée parce qu'autrefois,
c'était là, tout autour, que se trouvaient les remises à chevaux de la ville. À
l'heure actuelle, il abrite un théâtre, mais au fronton, figure l'inscription :
" SOIS PROPRE " ---
Caton.
De mon temps, comme
disent toutes les personnes de mon âge, ce bâtiment abritait les bains douches.
Tous les dimanches matin, nous allions là pour nous laver. Notre mère nous
remettait à chacun une serviette et un morceau de savon, un peu de monnaie pour
payer l'accès en ce paradis.
On traversait le
terrain des "fortifications" et, dès que l'on atteignait les premiers
platanes du square, on entendait monter, confuse mais éclatante, la clameur des
bains douches. C'était au milieu de cette clameur amplifiée que l'on passait la
porte. La responsable avait là son poste, dès l'entrée du hall. On la
distinguait encore assez bien, malgré les volutes de buée qui s'enroulaient et
se déroulaient. Ici, on pouvait encore distinguer des formes, et même quelques
couleurs. L'employée était moins qu'avenante. On payait, elle donnait un
ticket, arraché d'un carnet à souches. On passait alors la deuxième porte. Là,
on ne voyait plus rien : Le brouillard était plus épais que dans les marais
écossais, en automne au bord du Loch Ness ! En se baissant un peu on
réussissait à apercevoir les portes des cabines. Il fallait en trouver une qui
soit vacante. Je ne sais trop où se trouvaient les chaudières, mais on les
entendait ronfler. On entendait siffler la tuyauterie. On entendait gicler les
pommes de douches. On entendait surtout les chants et les sifflements des gens
qui étaient en train de se laver ... On ne les verrait pas, chacun arrivant
dans le brouillard, s'enfermant dans sa cabine, repartant dans le même
brouillard.
Comment dire ? _
Aller aux bains douches, c'était s'enfoncer dans une fête barbare : Des voix de
stentors hurlaient des airs d'opéras ... Airs différents les uns des autres !
D'aucuns chantaient la Marseillaise, d'autres l'Internationale, certains
parvenaient, au milieu de tout cela, à faire entendre une romance de Tino
Rossi. Il y avait parfois des hurlements sauvages d'Indiens des Montagnes
Rocheuses, modulés, prolongés. Il y avait aussi des yodles tyroliens, que
sais-je encore ! Des portes claquaient. La responsable criait et tambourinait
des deux poings sur les portes :
_ " C'est fini !
C'est l'heure ! Il y en a qui attendent leur tour ! "
Protestations de ceux
qui affirmaient qu'ils venaient juste d'entrer ... On avait droit à dix
minutes. En fait, si l'on restait sourd aux vociférations et aux
tambourinements, on parvenait à faire durer le temps, un peu ...
Une fois refermée la
porte de la cabine, le verrou tiré, on était chez soi. Dans le brouillard
toujours, mais on était chez soi. On pouvait se déshabiller, accrocher aux
patères les vêtements et la serviette, ouvrir les deux robinets l'un après
l'autre, en se tenant de biais pour ne pas recevoir les premiers jets, ou bien
trop chauds ou bien glacés. L'eau coulait, en véritable cataracte. On hurlait
quand la savonnette nous glissait des mains. On frottait, frottait. On chantait
la Marseillaise, comme les autres ... Et l’on faisait, avec délices et ardeur,
mousser le savon. Dans nos pays, le sauna est une introduction moderne. Les
nuages de vapeur qui envahissaient nos douches devaient bien avoir sur nos
corps et nos esprits les mêmes effets toniques que ceux d'un sauna. En tout
cas, sortant de là, on avait vraiment l'impression de faire partie d'un peuple
et d'avoir communié avec ceux qui le composaient : L'établissement des bains
douches comme temple d'une république ... La République de Caton !
_ " Allez, c'est
fini ! Il y en a d'autres qui attendent! Il faut sortir »!
*
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire