LES CHEMINS DE COMPOSTELLE
-Je
résiste encore ... Avec un téléphone portable, aurai-je toujours l'indépendance
nécessaire pour chanter à pleine voix "Les Filles de La Rochelle"
lorsque j'en ai envie, ou bien pour réciter "La Ballade des Pendus" ?
... J'ai récité la "Ballade des Pendus" sur la route d'Orsanco ... Je
veux pouvoir me la réciter encore sur les sentiers de Galice ...
Que
signifie " se ressourcer" ? _ J'ai lu beaucoup de livres traitant de
pèlerinages et parlant du Chemin de Compostelle ... J'ai même lu celui de Paulo
Coelho ... Il a eu le succès que l'on sait. Je ne l'ai pas beaucoup aimé : Que
vient faire ici cette histoire ésotérique de secte et d'épée ? Je ne prends pas
Le Chemin pour me faire Chevalier de l'Ordre du Sépulcre ou de celui des
Templiers ! ... Mais si ce livre vous a plu ... Quel droit aurais-je à le
critiquer ? _ Est-ce que je n'écris pas "Le Chemin", avec des
majuscules, moi-aussi ? ... N'est-ce pas, ainsi, reconnaître le mythe ? _ C'est
"Le Chemin Majuscule" pour nous-autres, occidentaux : Celui qui s'est
ouvert aux alentours de l'an mil, celui dont les abords sont semés, depuis
mille ans, de chapelles, d'oratoires, d'églises, de sanctuaires, de gîtes,
d'hôpitaux pour les pèlerins, de hameaux tout entiers habités par les "donats",
ces hôtes consacrés au soin des passants ...
L'oratoire
de Soiartz, en haut de sa colline, est propice à la contemplation. Le chemin
qui, de là, conduit jusqu'à la chapelle Saint-Nicolas d'Haranbeltz , caché sous
un feuillu de chênes rouges, ramène à la méditation. Chaque pierre de la
draille, chaque borne, chaque ornière, chaque gué et chaque pont font revenir
en mémoire la foule des pèlerins cheminant depuis un millénaire ... C'est cela
aussi, que vous êtes sans aucun doute venu chercher, pèlerin : La file continue
des hommes et des femmes allant par monts et par vaux ... On cheminait beaucoup
autrefois: Avez-vous oublié les brassiers qui allaient, la faucille à la main,
la fourche sur l'épaule, les bergers meneurs de troupeaux, les colporteurs
trimballant leurs éventaires, les pénitents, les fantassins, les prophètes ?
Toute
l'Europe a marché. Les chemins de Compostelle partent, à vrai dire,
d'Amsterdam, aux Pays-Bas, d'Arhus, au Danemark, de Gdansk, en Pologne, de
Budapest, en Hongrie, de Zagreb, en Croatie, de Naples, en Italie, de Lisbonne,
au Portugal, de Glasgow, de Londres et de Dublin, passant par le Mont-St.
Michel, par les ports de la Gironde, par ceux de Galice. C'est au sein de cette
cohorte de marcheurs, de pèlerins de toutes nationalités, de tous âges, de
toutes statures et conditions que vous allez prendre place, mettant vos pas
dans les leurs ... Vous allez les retrouver partout, leurs pas, marqués aux
parvis des églises, imprimés aux pentes et aux cols, au long des rivières et le
long des champs ... C'est pour cela aussi que vous allez prendre Le Chemin ...
...
Vous le prendrez, c'est tout à fait certain ... Pour retrouver vos racines,
pour vous ressourcer, pour retrouver votre famille de tous temps et de tous
lieux. Vous chercherez aux façades la coquille, la statue au carrefour, la
borne au coin du bois, la marque de peinture laissée là par ceux qui sont
passés devant ... Elle vous évitera l'égarement. C'est cela aussi, le
cheminement : La recherche de la marque, marque de l'autre, marque dans le
temps, marque dans l'espace, marque de l'homme, marque de Dieu.
...
Car il en est encore qui marchent pour Dieu ... Est-il un marcheur qui va pour
autre chose que pour Dieu, au bout du compte? ... Se "ressourcer",
qu'est-ce que cela veut dire ? ... Ce serait , me dit-on, "retrouver ses
racines", retourner à "l'essentiel", dépasser les contingences,
dépasser les modes, dépasser l'image, les mirages , outrepasser l'instant ...
Quelles racines autres que celles qui plongent dans la terre des sentiers et
des champs, dans les cailloux des vignobles, les fissures de la roche ? ...
Quelles racines autres que celles qui plongent dans les âges ? ... Quelles
racines, autres que celles qui se diversifient dans les familles et dans les peuples,
dans les nations et dans l'espèce ? ... Quelles racines, autres que celles qui,
à rebours, conduisent aux origines, expliquent ce qui paraît absurde, font
chanter les désespérés ?
Il
n'y a pas ceux qui marchent par esprit sportif, ceux qui le font pour chercher
une paix fugitive, d'autres, qui marchent pour s'enfuir, ni encore ceux, qui
seraient les seuls vrais pèlerins, les seuls purs : Ceux qui marchent pour
trouver Dieu au long des vallées, dans le haut des collines, tout au fond
d'eux-mêmes ... Je suis intimement et fermement persuadé que nous marchons tous
pour tout cela, tout à la fois ... Et si nous disions, tout simplement, que le
pèlerin marche... pour "être" ... Tout simplement pour être. D'autres
trouvent sans doute ailleurs le moyen d'exister ... Constatons que dans ces
années de fin de millénaire, il y a de plus en plus de pèlerins sur les
sentiers ... Cessons de nous demander pourquoi ils marchent ... Ce n'est que
très rarement sans doute parce qu'ils croient vraiment que le sarcophage de
pierre de Jacques-le-Majeur, flottant sur les océans, poussé par les vents,
porta jusqu'en Galice le corps décapité de l'apôtre ...
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