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« Sur votre gauche,
vous pouvez apercevoir les glaces du Labrador …
_"
Le Commandant Dulac et son équipage sont heureux de vous accueillir à bord de
ce vol qui nous permettra d'atteindre Santiago du Chili en 10 heures. Nous vous
prions de ne pas fumer pendant le décollage et d'attacher vos ceintures."
Presque
banal, maintenant, le voyage sur un avion de ligne. On part pour Bangkok, pour
San Francisco, Pékin ou Abidjan, Zanzibar ou Tokyo. Julien Viaud, dit Pierre
Loti ne fait plus rêver, avec ses amours de Constantinople, ses histoires de
geishas, ses expéditions vers les temples d'Angkor. On voyage en Boeing 747,
avec son mari, ses enfants, son maillot de bain dans le sac de sport que l'on a
rangé dans un casier ad hoc, à porte basculante, dominant les sièges et les
hublots. L'air que l'on respire est filtré, pressurisé, aseptisé. Les moquettes
du couloir et les moulures en plastique beige velouté qui ornent les parois
sont apaisantes et douces. L'hôtesse a la voix flûtée en toute occasion. Les
moteurs chuintent avec régularité, un peu comme si l'on se trouvait assis dans
le T.G.V. On finit par ne plus les entendre. On boit : On boit de la bière, du
vin, du whisky, sur des glaçons. On lit, ou plutôt on parcourt les pages des
revues, garnies de photographies. On dort, ou bien, les écrans déroulés, on
regarde les images d'un film au scénario plus ou moins sirupeux. Des buses
réglables vous projettent un courant d'air frais. Vous les orientez comme il
vous plaît. Les impatiences des petits sont calmées par des cahiers de
coloriage.
_"
Sur votre gauche, vous pouvez apercevoir les glaces du Labrador."
On
incline le buste un peu, détachant pour cela, au besoin la ceinture. On regarde
par la vitre du hublot. Elle est là, la banquise, immense et toute petite à la
fois, rayée, bouleversée par endroits, étincelante ... On a des souvenirs de
Jules Verne, on a entendu parler des esquimaux et d'Amundsen, du Commandant
Charcot peut-être, plus sûrement de Paul Émile Victor. C'est fascinant, la banquise
!
C'est
merveilleux, un voyage en avion. Allant vers Brazzaville, j'ai vu les dunes du
Sahara, courant les unes après les autres, toutes semblables les unes aux
autres et pourtant si différentes ... Le visage de Charles de Foucault,
barbiche au menton, coeur sacré sur la soutane blanche ... Les méharées de
Bournazel, le miel, la myrrhe et l'encens, la caravane des Rois Mages, l'or de
la Reine de Saba marchant à la rencontre de Salomon ... Le Sahara, c'est une
merveille ! ... Mais on l'a trop vu à la télévision, à l'occasion des rallyes
automobiles se dirigeant vers Dakar.
Entre
Sydney et Perth, j'ai survolé le désert d'Australie: Le Sahara est jaunâtre, le
désert d'Australie est rouge, réellement rouge, et parfois rouge sang. Il
semble sans bornes, océan cramoisi entre deux océans monotones à force de
bleus.
Était-ce
aux alentours de Java ? ... Un volcan surgissait de la mer, un cône parfait, et
dont le sommet fumait. Inhabitable ... Et d'abord, comment pourrait-on en
escalader les pentes ? Superbe !
_"
Sur la droite de l'appareil, vous pouvez apercevoir les premiers contreforts de
la chaîne de l'Himalaya. À gauche, sous l'appareil, les bouches du Gange
..."
La
chaîne de l'Himalaya ! Sommets étincelants dans la lumière ... Le sherpa
Tensing et Sir Edmund Hilary, le "Premier 8000" ... Les yacks et le
Yéti ... Le " Toit du Monde " ! ... Sous le ventre du Boeing, le
delta du Gange s'étale comme une feuille dont le limbe aurait disparu : Il ne
resterait que les nervures. Dans le tiroir de mon bureau, très loin en Europe,
je garde une feuille de banian. Elle m'a été donnée, il y a très longtemps,
fixée sur une carte comme on en offre pour présenter ses voeux. On n'en a
conservé que le réseau de nervures. Le delta du Gange est un bijou, un
médaillon de filigranes finement ciselés.
Les
falaises de Victoria des Seychelles, de granit micacé cranté, les atolls des
Tuamotu, semblables à des anneaux d'oreilles, les archipels sous le vent,
vertes pelouses prises dans des lacis de courants d'opale, dans des corbeilles
de corail versicolores. Le ruban boueux du Mékong. Les sommets, les plateaux et
les vallées de la Cordillère des Andes, entre l'Argentine et le Chili, vastes
étendues de neiges immaculées ... À l'approche de Puerto Montt, les couches de
nuages éblouissants et , émergeant des nuages qu'ils percent, les sommets des
volcans, le volcan Osorno et ses frères, fumerolles ... Ah! L'arrivée, de nuit,
au-dessus de la ville de New-York : Les avenues éclairées, comme des quais et
des jetées dans un océan de ténèbres, les guirlandes d'un paquebot qui va,
s'éloignant, les fleuves de rubis et de diamants allumés par les phares des
véhicules sur les routes ! ... Arrivée nocturne à Dubaï : Étendues noire des
déserts, hautes flammes des torchères, sur les derricks des exploitations
pétrolières ... Le tapis d'Ispahan !
_"
Nous approchons de notre destination. L'appareil va bientôt commencer à entamer
sa descente. Le Commandant Dulac et sont équipage espèrent que vous avez fait
un agréable voyage. Ils vous prient d'éteindre votre cigarette, de relever le
dossier de votre fauteuil et d'attacher votre ceinture. Ils espèrent vous
revoir bientôt sur les lignes desservies par notre compagnie ..."
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