LES CAMBODGIENS
DES CAMPS DE RÉFUGIÉS CAMBODGIENS
Bambous Bambous
riz en sacs
boîtes de thon
bois fendu saignant
Citernes percées
Norias de camions rouillés déglingués
bringuebalants
Pistes rouges de terre poudreuse
Anthrax des nuages levés par les roues
Rouges feuillages
Rouges les murs
Rouges les herbes et les toits
Mares rouges
Y baignent des buffles noirs
Fleur de lotus
Pays de cuivre
Arbres brûlés vifs
crucifiés
morts debout
Bassins secs des rizières craquelées
Ruines des temples d’autrefois
Latérite
Rocs
Casemates et fusils
Les pneus crissent
La radio grésille
Les voitures vastes vaisseaux climatisés
vitres levées
Parpaings nus des rues des villages
tôles
banderoles
Toitures cornues des pagodes dorées
Sculptures de monstres ailés aux becs et aux griffes aiguisées
Dragons et serpents
Sur les bas-côtés vitrines à roulettes des marchands de canards
laqués
boutiques
bassines multicolores
cuvettes d’aluminium
gelées roses
sucreries
mangues durions sapotilles pommes-cythère pommes-étoiles
mangoustans
multitude de fruits aux noms et aux saveurs inconnus
Feuilles de latex blanc qui sèchent sur un fil
comme une lessive sous les hévéas
Cages de bois où tressautent tourterelles et mainates
balais
paniers et nasses de rotin
marmites fumantes de soupe au poulet
Riz violet
Bambous
Bonzes épaule nue robe safranée en quête de leur repas quotidien
Dans la cour d’une école enfants
bleu et blanc
Qui saluent le drapeau
Haut-parleurs dans la ville
Toute circulation arrêtée à l’instant
Hymne national !
Comprenne qui pourra derrière les vitres fermées de nos
voitures bleues frappées aux marques des Nations Unies : Un spectacle à
travers le hublot d’un sous-marin !
Étranges insectes chromés nickelés transportant hommes et sacs sur trois
roues pétaradant : version moderne du vélo-pousse “sam-lô - Ne pas
oublier qu’on roule à gauche !
Ce soir, nous dînerons à Chantabury
Luxe
Hôtel
béton
piscine
orchidées
climatisation
chanteuses aigres-douces
légumes-fleurs dentelés en étonnantes corolles
Galons et étoiles généraux et colonels soieries
Qu’est-ce donc qui se négocie ici ?
À l’aube nos vaisseaux longeront des
collines écorchées sanglantes sous les griffes d’antiques installations
mécaniques : Ici on lave les terres à rubis.
C’est ici, non loin de Pailin, que se
joue la guerre, que s’échangent les armes et les gemmes. En de noirs ateliers
des artisans dépenaillés polissent les pierres qui ruissellent aux présentoirs
de la ville
Un pont sur le torrent
Descendre de voiture
Bambous, bambous, bambous
Claies de bambou murs et cloisons, toits, tables d’école, bancs
des écoliers
Chemins râpeux
C’est ici que rôdent les loups mais il ne faut pas le dire ...
Baudriers de munitions de mitrailleuses, pistolets automatiques,
casquettes vertes et treillis de même couleur, sandales de lanières taillées
dans le caoutchouc des vieux pneus, écharpes
Regards de profil
Seize ans peut-être
Les soldats de Pol Pot !
Et les femmes sont aux portes entrebâillées
vêtues de noir et portant leur enfant sur un bras
Masques de cuivre
Chaleur moite de serre
Frissons dans le dos
Nous sommes là dans l’un des camps qui abritent des Khmers
Rouges.
Sous la protection de l’armée Thaï et aux bons soins des Nations
Unies ...
Bambous, bambous, bambous
Trois cent mille Cambodgiens réfugiés dans les camps, tout au
long de la frontière thaïlandaise, depuis Surin, au nord, jusqu’à Trat, au sud
.
“Savez-vous comment on reconnaît un Cambodgien parmi d’autres asiatiques
?”
“-C’est celui auquel il manque une jambe, un bras ou un œil ... Les
mines !”
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