mercredi 29 mai 2013

LE VENT ... LE VENT.




LE VENT ...


                                                                   




Lorsque nous arrivâmes, la mer s’était 

retirée loin, très loin. Ce petit matin était 

tout blanc. Au bout du chemin bordé de 

tamaris, il fallut tout à coup dévaler la 

dune, à pic car elle avait été rongée par les 

dernières grandes marées.



                         



La largeur de la plage nous surprit, sa 

longueur tout autant. Pas un rocher, à 

peine quelques traînées de cailloux, 

quelques flaques sans profondeur, comme 

autant de morceaux de miroirs brisés. De 

petits oiseaux blancs couraient les uns 

derrière les autres. L’océan s’était éloigné. 

Les vagues déferlaient, rageuses, venant de 

loin. De l’autre côté, les pins, serrés, 

formaient une ligne sombre, bleue, que la 

crête des dunes amincissait. Sous nos 

pieds nus, le sable gris, très fin, était 

ferme. Le vent avait eu le temps d’en 

sécher la surface, mais seulement la 

surface.

                              


Sur cette plage, tant les sables sont fermes, 

on peut faire courir des chevaux. Des 

avions, même, s’y posent aisément : 

Espace propice à l’ivresse.



À perte de vue, la plage était vide … Tout 

au plus, à sa pointe extrème, devinait-on, 

minuscules, la jetée d’un port et les toits de 

quelques maisons. Mais tout cela était très 

loin … À la hauteur de la laisse de haute 

mer, là où le sable changeait de couleur, on 

voyait une forme bleue … Le cadavre d’un 

dauphin sans doute, rejeté là par le flot.



Mais le vent se leva très vite. En un 

instant, tout changea. Nous étions dans un 

autre monde … Les bords de mer, en mi-

saison, vous font de ces surprises …

                              


Le souffle du suroît s’installait, rapide, 

régulier. Il n’y eut ni rafales, ni sautes. 

Sans raison apparente, le vent était là, 

tiède. Il nous poussait dans le dos, 

fortement … Il fallut rentrer la tête, plier 

l’échine. Le monde changea. Nous eûmes 

tout de suite l’impression que tout 

bougeait, que tout courait … Notre 

environnement, tout à coup, était devenu 

virtuel en quelque sorte. Plus rien n’avait 

de forme. Il n’y avait plus rien de stable … 

Nous ressentions un peu la même 

impression que si nous nous étions trouvés 

subitement et sans l’avoir voulu debout au 

beau milieu d’un fleuve rapide. Le sable 

s’était soulevé dans son ensemble . Il 

partait vers le Nord … Il coulait. Nous 

marchions nous aussi vers le Nord, 

beaucoup plus lentement, bien sûr.

                            


Le sol était toujours aussi ferme sous nos 

pieds, mais il n’était plus visible … Ainsi le 

fond du lit d’un cours d’eau. Le sable sec, 

en grains serrés, courait à hauteur de nos 

mollets. Il atteignit bientôt nos genoux. Il 

s’était fait fluide, léger, rapide, agressif, 

nous harcelant de mille aiguilles. Le corps 

du dauphin mort n’était plus visible. Sans 

à coups, le vent forcit encore. Nous 

titubions comme des pêcheurs à la mouche 

au milieu d’une puissante rivière … Un 

gros buisson d’épinette passa près de nous 

… Ce n’était qu’une boule de branchages 

noirâtres, totalement effeuillée … Il roulait 

dans le flux. Alternativement, ses branches 

apparaissaient, disparaissaient. Il s’éloigna 

très vite, sans cesser de rouler.

                            


L’univers entier était en mouvement. 

Pendant quelques minutes, nous avons 

couru derrière le buisson … Nous étions 

trop essouflés pour en rire plus longtemps. 

La mer, qui devait monter maintenant, se 

couvrit de hachures et s’orna de crinières 

blanches. Les oiseaux avaient dû partir se 

mettre à l’abri ou bien ils s’étaient blottis 

dans un creux … Cette mise en mouvement 

avait envahi tout l’espace. C’était le temps 

qui envahissait tout … Le temps, le temps 

qui courait … Le seul choix possible était 

de le regarder passer … Regarder passer le 

temps, fluide, impalpable, invincible, 

vainqueur.


                         



À bien y réfléchir, ce qu’il y avait de 

parfaitement surprenant dans un tel 

spectacle, c’est que le temps, au lieu de 

venir au-devant de nous, arrivait de 

derrière et s’enfuyait dans le même sens 

que notre marche … Aussi vite que nous 

allions, il allait plus vite que nous. C’était 

totalement dérangeant …


                          


Le vent, le vent, le vent

         Vent qui se déroule

                   Le vent qui court

                            Le vent des marées

                                   Vent des saisons




             Nous en avons connu des peuples

             Qui ne sont plus

             Nous en avons connu des mondes

                            Aujourd’hui disparus !





Sur les pistes des déserts

Passent sans fin les dromadaires

Chargés d’étoffes

Chargés d’amours 

Chargés de rêves

De myrrhe d’encens de cannelle

Des peuples entiers les accompagnent

                Marchant des jours et des jours

                           Muets

               Allant vers des villes improbables




Le vent se lève

Sur le sable rouge

L’étendue tout entière

Court vers l’autrefois




Routes du sel routes de la soie

Caravanes de Chine ou bien d’Égypte

                            Routes enneigées

Que sont nos rêves devenus

Nos théorèmes

Et nos amours ?
                              … Éparpillés 

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