LA RÉPUBLIQUE DES SEYCHELLES ....
LA QUESTION LINGUISTIQUE
EN 1989
_ ( Oh ! Ne raillez pas la langue créole ... Combien les latins
ont-ils dû railler le Français ! )
Il peut paraître étonnant que la langue française perdure aux
îles Seychelles. Certes, elle n'est pas parlée dans les rues. Certes, la
librairie de Victoria propose peu de livres qui ne soient écrits en Anglais.
Dans les rues de Victoria, on parle Créole. Quand on lit, on lit en Anglais. La
radio et la télévision, cependant, présentent certains programmes en Français.
Le journal unique, ( quotidien et distribué gratuitement ), comprend des
articles rédigés dans les trois langues.
Certains spéculent et causent, mesurant en permanence
l'évolution prétendue de la place réservée à chacune des trois langues :
Jalousement, à la ligne près ... à la minute près...
Le Centre Culturel américain propose des activités en Anglais,
le "British Council" également. Le Centre Culturel Français parvient
encore, d'une façon ou d'une autre, à trouver des amateurs pour sa bibliothèque
et pour les spectacles qu'il organise : Il y met du sien et l'on raconte que,
pour cela, il fait distribuer des billets d'entrée gratuits... Par
l'intermédiaire du "Parti Seychellois"... Il offrirait même les
places d'autobus gratuitement ?
Depuis mille neuf cent quatre vingt un, dans les écoles,
l'enseignement débute en langue créole : Les enfants apprennent à lire dans
leur langue maternelle, (Ils y gagnent certainement en aisance ... ). Très tôt,
on enseigne l'Anglais puis, dès la cinquième année d'école primaire, la langue
anglaise devient le vecteur de toutes les disciplines académiques : L'accés aux
technologies nécessite en effet l'utilisation d'une langue à large audience,
ouvrant la possibilité de consulter des documents en nombre suffisant.
L'enseignement du Français est introduit en quatrième année,
mais il n'obtiendra jamais le statut de langue d'enseignement.
Après quelques année de fonctionnement, on s'aperçut qu'en fait,
l'Anglais souffrait de son propre statut : Lorsqu'il prend en charge les autres
matières, et particulièrement celles qui relèvent des domaines scientifiques,
il n'a pas eu le temps de mettre en place le vocabulaire et la structuration
indispensables : Les concepts de base ont été installés en langue créole ...
L'Anglais en souffre, la progression des acquisitions aussi.
Le Français, lui, souffre de l'absence complète de statut : Il
ne sert à rien : On apprend à le parler, mais on ne le parle pas. On le
comprend, presque sans même l'avoir appris, tant le Créole lui est proche. On
apprend à le lire, mais on le lit si peu ! Quant à l'écrire!
De plus, à cause même de sa proximité avec le Créole, il est
difficile à apprendre, étant victime de toutes les contaminations et
interférences possibles ... Imaginez un enfant qui passe d'une langue créole à
graphie phonétique et syntaxe simplifiée à une langue française dont chacun
connaît les pièges ... syntaxiques et orthographiques ! Le Français , en fait,
est enseigné parce qu'il est la "langue-mère", d'où est sorti le
Créole.
Nous fûmes longs , en France, avant d'évacuer l'enseignement du
latin ( ... Pour autant que ce soit ce que l'on ait fait de mieux ...) : Dans
un processus psychanalytique, il est bien difficile de "tuer la mère"
)... "Tuer le père" était plus facile : C'était le colonisateur ...
Et puis, disent les Seychellois : _" Nous avons conservé le Français
pendant les cent cinquante années de la colonisation britannique alors que
notre pays n'a été français que pendant quarante ans. Pourquoi ne le
conserverions nous plus maintenant ? "
_ En fait, les administrateurs britanniques ont fait peu pour
imposer leur langue : La maîtrise des voies maritimes vers leur empire indien
leur importait plus qu'une anglicisation et plus qu'un peuplement. Les
Seychelles étaient catholiques ... Le Français était, et reste encore la langue
liturgique principale, ( tout comme l'était en France le Latin, au temps de mon
enfance...) _ La langue française a perduré grâce à Dieu !
Mais l'état de paix qui pouvait sembler régir l'utilisation des
langues a disparu ... Point tant du fait des Seychellois que de celui des
Français et des Britanniques ...
Tirant à leur façon les conclusions de faits observés ailleurs,
dans leurs territoires et départements d'outre-mer, les Français se sont
aperçus qu'il pouvait être politiquement utile de développer autour de la
Réunion des voisinages amicaux ... Une communauté de langues pouvait y être
favorable...
Lorsqu'on l'étudie, le Créole des Seychelles est plus proche du
Français que celui des Antilles ... Il n'a pas semblé absurde d'espérer qu'en
prenant appui sur le Créole, on pourrait donner un nouveau développement au
Français. Certains semblent avoir pronostiqué l'accroissement de l'aire
francophone aux Seychelles, au détriment de l'aire anglophone.
Le Créole, "langue-fille" pouvait-il engendrer sa
"langue-mère" ? Le calcul n'est pas absurde : On voit très bien les
difficultés de l'Anglais à l'école. Les Britanniques et les Seychellois l'ont
senti : On a augmenté le nombre des bourses d'études dans les universités
anglophones et on a décidé, de plus, que les futurs professeurs passeraient
deux années à l'université du Sussex... Ne parle-t-on pas, même, de former
là-bas les futurs professeurs ... de Français !
L'Ambassade, la Mission Culturelle, et le Ministère des Affaires
Etrangères - français - s'activent ... Et font souvent des impairs ! Les
étudiants Seychellois, boursiers de l'Etat français, sont envoyés à grands
frais dans les universités de la Réunion, ou dans celles de Bordeaux, Paris,
Aix - en Provence, Besançon, Nice, ou ... Trifouillis-les Oies ! Ils ne sont ni
encadrés, ni préparés à ce qu'ils devront découvrir. On a vu, même, une
étudiante partir ... Pour Clermont- Ferrand, je crois, afin d'y poursuivre des
études de Français : Elle est revenue quelques années plus tard, ayant
bénéficié d'une réorientation ... Nantie d'une maîtrise ... d' Anglais !
Pour l'heure présente, on réfléchit. Les Français ont peut-être
fini par s'apercevoir que les études conduisant au Diplôme Universitaire d'Etudes
Générales, ( D.E.U.G. ) n'étaient pas adaptées aux Seychellois . Ils vont sans
doute proposer une formation spécifique ( Pour trois ou quatre étudiants par
an, à l'Université de la Réunion. )
Les Seychellois, eux, méditent : Ils ont été échaudés par les
échecs de plusieurs promotions aux épreuves du D.E.U.G. ... Et puis ils
acceptent difficilement l'idée d'envoyer leurs étudiants à la Réunion alors que
l'Angleterre leur propose des études en Europe ! D' où l'idée d'envoyer tout le
monde dans le Sussex ... Si la France n'était pas le principal bailleur de
fonds des Seychelles !
... Cette année, en attendant, aucun étudiant seychellois n'est
parti en formation pour devenir professeur de Français. Le gouvernement
seychellois recrute donc, de bric et de broc, pour enseigner le Français dans
les écoles, des Guinéens, des Mauriciens, des Algériens ... Et des Malgaches
qui, dès leur arrivée, font valoir leur double nationalité pour bénéficier des
allocations dispensées au bénéfice de leur famille ... Par la France !
Cependant, Monsieur l'Ambassadeur de France a bon espoir : Il a
fait un rêve ! ... Sur la montagne, la France finance l'installation d'une
antenne parabolique qui permettra de capter "Antenne 2" en direct et
vingt quatre heures sur vingt quatre : Victoire de la langue française en
perspective ! ... Peut-être, peut-être ... Suite au prochain numéro !